Les Rohmeriennes
Dans ses premiers films (notamment les Contes moraux) Eric Rohmer mettait en scène des héros masculins soumis à la tentation et tournés en dérision. A partir des années 80, ces derniers laissent place pour de bon à des héroïnes. Des rôles de jeunes femmes sages ou perdues, bavardes et mystérieuses, souvent confiées à des actrices inconnues, devenues fidèles au fil des années, au jeu si particulier que le terme a été inventé pour elles : les actrices rohmeriennes. Voici celles que l’on croise le plus souvent chez le cinéaste.
MARIE RIVIERE
C’est THE égérie. D’une part parce que c’est celle qu’il a le plus souvent employée, même si elle n’a eu le rôle principal qu’une fois, et d’autre part parce que justement ce rôle principal (Delphine dans Le Rayon vert), est l’un des personnages les plus émouvants de la galaxie Rohmer. De film en film, Marie Rivière semble souvent reprendre le même personnage : une jeune femme un peu triste et dans la lune, avec de grands yeux toujours en mouvement, parfois pétillants mais toujours au bord des larmes. Dans La Femme de l’aviateur, son long monologue en petite culotte est à la fois érotique et triste, et dans Conte d’automne, son personnage en apparence plus joyeux ne se départit pas, au final, d’une certaine nostalgie ambigüe. Elle est créditée au générique du Rayon vert parce que tous ses dialogues ont été improvisés, mais même dans d’autres films, son jeu garde souvent la richesse de la spontanéité, moitié murmuré moitié précipité, avec des hésitations et des respirations en plein milieu de phrases. Comme de nombreuses autres Rohmeriennes (Lucy Russel, Françoise Fabian…), on l’a revue par la suite chez Francois Ozon, à deux reprises : en mère compréhensive dans Le Temps qu’il reste, et en fan de bébé inquiétante dans Le Refuge.
Notre entretien avec Marie Rivière
1978 Perceval le Gallois
1981 La Femme de l’aviateur
1986 Le Rayon vert
1987 4 aventures de Reinette et Mirabelle
1992 Conte d’hiver
1998 Conte d’automne
2001 L’Anglaise et le duc
2007 Les Amours d’Astrée et de Céladon
BEATRICE ROMAND
Apparue dès 1970 en très jeune fille à la fois sensuelle et très sure d’elle dans Le Genou de Claire, Béatrice Romand est la seule actrice Rohmerienne à avoir joué dans tous les cycles de son auteur. Contrairement à Marie Rivière qui a un peu l’air d’avoir toujours le même âge de film en film, on a donc pu la voir vieillir, et voir évoluer son jeu, qui suscite des avis beaucoup plus tranchés que chez ses collègues. Elle est en effet parfois considérée au premier abord comme la moins facilement aimable des actrices rohmeriennes. L'explication se trouve peut-être dans un jeu hyper-articulé et appuyé, qui brouille involontairement les pistes entre l’actrice et ses personnages souvent fatigants : bornée dans Le Beau mariage (rôle qui lui vaudra tout de même la coupe Volpi à Venise en 1982), envahissante dans le Rayon vert, amorphe et plaintive dans Conte d’automne. Ses personnages sont en tout cas toujours très droits, au point d’être têtus, et la posent donc en contrepoint aux autres actrices aux tergiversations plus cérébrales.
Notre entretien avec Béatrice Romand
1970 Le Genou de Claire
1972 L’Amour l’après-midi
1982 Le Beau mariage
1986 Le Rayon vert
1987 Quatre aventures de Reinette et Mirabelle
1998 Conte d’automne
ARIELLE DOMBASLE
Arielle Dombasle a certes une carrière très riche (contrairement aux autres actrices citées ici), à la fois au cinéma, sur scène et dans la musique mais c’est bel et bien Rohmer qui la découvre à 25 ans et lui fait tourner son premier rôle : une princesse médiévale dans Perceval..., où on la reconnait d’ailleurs à peine. On la retrouve dix ans après, deux ans de suite, et son jeu ainsi que son physique ont évolué. Loin de son coté fofolle extravagante d’aujourd’hui, elle parvient très bien à rendre la minauderie amoureuse dans Pauline à la plage (dans une scène-clé où elle expose sa conception de l’amour en se caressant le cou l’air de rien). Dix ans encore après, dans L’Arbre, le maire, la médiathèque, on a déjà plus l’impression de la retrouver telle qu’on la connait aujourd’hui, avec son phrasé si particulier et sa double casquette intello/fantasque : elle n’hésite pas, par exemple, à interrompre le cours du récit pour se lancer dans une discussion très sérieuse sur les gaz carboniques, et à clore le film en chantant sur les générations futures avec un chœur de vieilles dames. Elle avait d’ailleurs déjà chanté Paris m’a séduit, le générique de fin de La Femme de l’aviateur.
1978 Perceval le Gallois
1982 Le Beau mariage
1983 Pauline à la plage
1993 L’Arbre, le maire, la médiathèque
PASCALE OGIER
Bien que Rohmer l’ait en réalité dirigée deux fois (elle fait un peu plus que de la figuration dans Perceval), et qu’elle tienne également le rôle principal dans un Rivette auprès de sa mère Bulle (Le Pont du nord), Pascale Ogier restera toujours comme l’actrice d’un seul film (l’un des plus « aimés » de son auteur): Les Nuits de la pleine lune. Son jeu complètement hagard, ses grands yeux endormis et sa lenteur naturelle, qui donnent l’impression qu’elle vient toujours de sortir de sa couette, colle parfaitement au trouble du personnage rohmerien. Elle n’a jamais l’air elle-même complètement convaincue de ce qu’elle raconte, et c’est l’illustration parfaite du décalage entre ce que le héros rohmerien dit et ce qu’il fait. Sa voix de souris et sa choucroute sur la tête lui valent en tout cas, à elle aussi, le prix d’interprétation à Venise. Le film (dont elle signe également les décors) est un grand succès, Pascale est nommée aux César et bénéficie du coté très attachant de son personnage (dont l’indécision permanente est plus comique que pitoyable), mais elle meurt d’une overdose deux mois seulement après la sortie du film. Renaud lui écrit la chanson P’tite conne, et Jim Jarmush lui dédie son film Down By Law. Mais la toute première fois, en réalité, que Rohmer l’avait engagée, c’était au théâtre, pour lui donner le rôle principal de sa mise en scène de Catherine de Heilbronn, de Kleist. Où elle avait pour partenaires … Marie Rivière, Rosette (qui remplaçait Beatrice Romand), et Arielle Dombasle.
1978 Perceval le Gallois
1984 Les Nuits de la pleine lune
ROSETTE
Un adolescent voit Rosette en tenue d’Eve et s’exclame « Elle est trop excitante cette bouffonne ! ». Vous ne rêvez pas, cette phrase provient bien d’un film de Rohmer, en l’occurrence Pauline à la plage, où le spectateur peut lui aussi, à sa grande surprise (le temps d’un plan furtif mais bel et bien là) partager l’intimité de Rosette en full frontal. Rohmer n’a jamais offert le rôle principal d’un de ces films à Rosette (de son vrai nom Françoise Quéré), mais on peut toutefois la croiser régulièrement dans son œuvre, du début des années 80 jusqu’au tout dernier. Elle incarne la frivolité, joue des personnages secondaires complètement excentriques, lookés par Cyndi Lauper ou Punky Brewster, et maquillées par Sophie Ellis Bextor. Elle est la caution à la fois comique et érotique, avec un coté plus terre à terre et gouailleur que les autres Rohmeriennes (grâce à son accent de titi), plus franche dans son plaisir de la séduction, même si toujours reléguée à l’arrière-plan. Elle a par ailleurs réalisé plusieurs courts-métrages mettant en scène son propre personnage, et dans lesquels jouent également toutes les actrices sus-citées. Egalement chanteuse, elle a demandé à Rohmer de réaliser le clip de Bois ton café, où, décidément, elle apparait encore dans le plus simple appareil.
1981 La Femme de l’aviateur
1983 Pauline à la plage
1986 Le Rayon vert
1992 Conte d’hiver
2001 L’Anglaise et le duc
2007 Les Amours d’Astrée et de Céladon
AMANDA LANGLET
Tout comme Pauline a du mal a trouver sa place dans le monde des adultes, Amanda Langlet ne s’intègre pas tout de suite dans l’univers rohmerien. D’une autre génération que toutes les autres actrices de cette liste, elle semble reprendre exactement le même personnage à treize ans d’intervalle entre Pauline à la plage et Conte d’été. Un rôle pas complètement rohmerien d’ailleurs, car elle n’est jamais victime d’elle-même ou des autres, elle observe ceux qui l’entourent (les adultes dans le premier, Melvil Poupaud dans le second), sans être dupe de leur hésitations amoureuses. D’où un jeu différent, plus réaliste que les autres. Dans Conte d’été, sa détermination de grande fille sage à l’œil qui brille rappelle Béatrice Romand dans les années 70, mais à l’exception d’Arielle Dombasle, elle n’a croisé le chemin d’aucune autre égérie rohmeriennes.
1983 Pauline à la plage
1996 Conte d’été
2004 Triple agent