La mélancolie selon Kirsten Dunst

La mélancolie selon Kirsten Dunst

"Comme toutes les personnes intelligentes, Kirsten Dunst a fait une dépression". L'auteur de ces mots s'y connait en mood chafouin puisqu'il s'agit de Lars Von Trier. Le chemin de Kirsten Dunst vers la melancholia du maître danois semblait toute tracée depuis le début de sa filmographie. Retour sur les soleils noirs de la carrière de l'actrice...

  • La mélancolie selon Kirsten Dunst
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ENTRETIEN AVEC UN VAMPIRE
Neil Jordan, 1994

Née en 1982, Kirsten Dunst apparaît pour la première fois à l'écran à 7 ans dans un des segments de New York Stories, celui signé Woody Allen, et pour lequel elle ne sera pas créditée. C'est ensuite chez De Palma qu'on la retrouve (Le Bûcher des vanités) mais il faudra attendre la sortie de Entretien avec un vampire pour qu'on remarque vraiment Kirsten Dunst à l'écran. Son rôle dans l'adaptation du roman de Anne Rice par Neil Jordan pose les jalons d'une filmographie marquée par la mélancolie. Car en face de Tom Cruise qui fait des étincelles dans le rôle viva la diva déca-décadente de vampire rock star se lançant dans des solos de clavecin enflammés (le rôle était fait pour lui), il y a une fillette d'une dizaine d'années dont le jeu développe une force d'une rare maturité pour son âge. La mélancolie de Claudia, qu'interprète Dunst, est celle d'un ange déchu. Et bien avant celle du film de Lars Von Trier, la mélancolie de Entretien avec un vampire ne se limite pas à une tristesse, aussi profonde soit-elle. C'est une conscience aiguë et tragique de son propre état, séductrice enfermée à jamais dans un corps de fillette, vampire dans un monde d'hommes, qui font la mélancolie du personnage, génie dans sa bouteille. Kirsten Dunst n'a que 12 ans à la sortie du film, et dès lors, son visage ne quittera plus les écrans.

VIRGIN SUICIDES
Sofia Coppola, 1999

De ses adolescentes solaires et pourtant suicidées (Virgin Suicides) à sa star de cinéma abimée (Somewhere) en passant par sa jeune reine vacillante (Marie-Antoinette), l'œuvre entière de Sofia Coppola est placée sous le signe de la mélancolie. Une mélancolie dont les dorures servent de leurre, comme les cheveux incroyablement dorés des sœurs Lisbon, dans Virgin Suicides, qui ne sont qu'une illusion ou un rêve de garçon. Dans les veines des sœurs, et celles de Lux Lisbon qu'incarne Kirsten Dunst et dont le prénom ne semble déjà être que lumière, c'est pourtant un poison noir de mélancolie qui coule. Comme Justine dans Melancholia ou Claudia dans Entretien avec un vampire, Lux vit parmi les humains mais semble ailleurs, créature mythique et vampire, divinité détentrice d'un oracle ou ici simple jeune fille mais pourtant irréelle beauté blonde d'un coin si triste du Michigan. Le mystère des blondes suicidées demeure, comme celui de l'indicible mélancolie de son héroïne.

MARIE-ANTOINETTE
Sofia Coppola, 2006

7 ans séparent Virgin Suicides de Marie-Antoinette, qui signe les retrouvailles de Kirsten Dunst avec Sofia Coppola. Entre temps, Dunst est devenue bankable grâce à du rollercoaster tout sauf mélancolique (Spider-Man et sa suite, où l'on préfère la tremper de pluie tandis qu'elle porte un t-shirt léger), mais a également trouvé un second rôle dans une des oeuvres les plus mélancoliques de la décennie passée: Eternal Sunshine of the Spotless Mind de Michel Gondry. Avec Marie-Antoinette, Dunst trouve peut-être son premier rôle d'adulte, dans un film qui repose sur une tête qu'on fera bientôt voler. La gaieté de Marie-Antoinette est une joie d'apparat, gamine catapultée dans un univers inconnu, prison dorée certes mais prison malgré tout. Les macarons, fontaines de champagne, amoureux rêvés ne font qu'habiller une mélancolie bien imprégnée, et les loups des bals masqués n'y feront rien. La jeune reine de Coppola se caractérise par la même clairvoyance vaincue que la Justine de Lars Von Trier, Ophélie reconstituée et tragique héroïne de peinture romantique. Par la puissance du regard épuisé mais pourtant invaincu de la comédienne, le dernier repas partagé par Marie-Antoinette et Louis XVI pourra bien se passer de mots.

MELANCHOLIA
Lars Von Trier, 2011

Dans le dernier opus de Lars Von Trier, la mélancolie donne son titre au long métrage. Et comme dans Antichrist, les héroïnes féminines sont avant tout des projections de Von Trier et de la dépression qu'il traverse. Ironique dès lors de voir le Danois généralement conspué par la partie la plus tartuffe de la presse cannoise quand ses jolis reflets féminins sont eux loués, et même doublement récompensés au palmarès, en 2009 pour Charlotte Gainsbourg puis en 2011 pour Dunst qui reçoit là son premier prix d'interprétation important. En conférence de presse, Lars Von Trier n'a pas hésité à évoquer la propre dépression qu'a connue Kirsten Dunst, presque une connivence entre eux deux. Justine dans Melancholia est une lointaine cousine de Marie-Antoinette (que Von Trier n'aurait pourtant pas vu). Même palais, mêmes beaux couverts, et pourtant même mélancolie. Le visage de l'actrice semble s'y prêter: mine de poupée mais regard cassé, grand sourire mais canine rebelle, on a bien essayé de la rentrer dans le moule des productions hollywoodiennes léchées (comme Le Sourire de Mona Lisa, entièrement conçu pour moissonner des Oscars en 2002, totalement condamné à éclairer les soirées de la TNT aujourd'hui) mais c'est dans des univers plus sombres que l'actrice s'est épanouie, sous le soleil noir de la mélancolie.

par Nicolas Bardot

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