Festival de Cannes 2016: le bilan !

Festival de Cannes 2016: le bilan !

L'édition 2016 du Festival de Cannes a ressemblé à un tour de montagnes russes: une sélection conservatrice sur le papier qui s'est finalement révélée variée et excitante, mais couronnée d'un palmarès ringard et à côté de la plaque. Retour sur une année pas banale...

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Il y a trois moment où l'ont peut juger de la sélection d'un festival de cinéma. Premièrement, au moment de l'annonce des films retenus (quels cinéastes reviennent? Quels pays émergent? Quelle place pour la nouveauté?). Deuxièmement, à la fin du festival, quand tous les films ont été vus (comment se sont-ils combinés? Quel impression générale se dégage?). Puis troisièmement, un an après (Les films ont-ils trouvé leur public? Ont-ils brillé lors de la saison des prix?). Lors de l'annonce de la sélection, l'édition 2016 avait un avant-goût très conservateur. Sur les 21 films concourant pour la palme, seuls 4 étaient signés de cinéastes jamais venus en compétition, dont 2 jamais venus à Cannes. Ces nouveaux noms pourraient avoir l'air d'une bouffée d'air frais, mais on a plutôt tendance à penser qu'il s'agit du strict minimum. On attend d'un festival comme Cannes qu'il prenne le pouls du cinéma d'auteur contemporain, le renouvellement devrait y être la norme, et non l'exception.

L'attente était donc forte en ce qui concernait les sections parallèles, mais à quelques exception près, celles-ci nous ont laissé sur notre faim. On a vu des excellents films à Un Certain Regard (Harmonium), à la Semaine de la critique (I Tempi felici) et à l'Acid (Le Parc), mais leurs auteurs étant déjà identifiés, aucun d'entre eux n'est une réelle découverte. La plupart des jeunes ou nouveaux cinéastes sélectionnés nous ont donné l'impression de vouloir rentrer sagement dans des cases. Comme si les différents comités avaient voulu mettre en avant les élèves appliqués plutôt que les têtes qui dépassent. Pour trouver des révélations radicales, on est prié d'aller chercher ailleurs (à Locarno ou à la Berlinale, par exemple). Si nous n'avons pas encore vu le lauréat de la Caméra d'or Divines, il se trouve que les rares premières œuvres à nous avoir marqués sont... trois films d'animation : La Jeune fille sans mains (Acid), Ma vie de Courgette (l'un des rares films de la Quinzaine à avoir eu beaucoup d'écho) et La Tortue rouge (qui réunit une telle équipe de production qu'on peut difficilement parler de nouveauté). Peut-être un indice que le Festival devrait rester ouvert aux formes et aux formats différents.

Au moment où le festival a débuté, sur la petite centaine de films retenus (toutes sections confondues), seule une poignée n'avait pas encore de distributeur français. Comme si (surtout en ce qui concerne les sections parallèles), les sectionneurs s'étaient contentés de piocher dans les catalogues des futures sorties. Quelle place reste-t-il pour la pure découverte? Un film d'un cinéaste inconnu, sans producteur ou distributeur français, a-t-il beaucoup de chance d'être repéré par Cannes ? En parallèle de cela, la compétition paraît toujours réservée à des habitués, qui héritent de leur place même quand leurs films sont mineurs ou redondants. On se pose la question: dans ces conditions, où est concrètement le travail de tri opéré par les sélectionneurs? Cela fait quelques années que les sélections de Thierry Frémaux demeurent conservatrices (à tel point qu'en l'espace de onze ans, le nombre de cinéastes doublement palmé est passé du simple au double !). Dans les sélections officielles, on a souvent l'impression qu'une fois qu'un cinéaste a mis le pied dans la porte, il est sélectionné d'office à vie, et on ne peut s’empêcher de se demander si les films les plus mabouls et géniaux de cette édition ne doivent pas leur sélection qu'à la fidélité envers leurs auteurs. The Neon Demon (film de genre sur des femmes, soit ce qu'on ne voit vraiment jamais à Cannes) aurait-il été sélectionné en compétition si cela n'avait pas déjà été le cas des deux précédents films de Nicolas Winding Refn ? Même chose pour Ma Loute de Bruno Dumont et, hors compétition, The Strangers de Na Hong-Jin. Mais il faut savoir voir le verre à moitié plein...

Justement, et c'est la le grand paradoxe de cette édition: le compétition du Festival fut excellente, d'un niveau rarement atteint, à la fois éclectique et contemporaine. Il n'était pas aisé de faire des pronostics sur le palmarès, tant les favoris étaient nombreux. Si, comme dans les sections parallèles, certains cinéastes se contentaient de rester sur des rails prévisibles (pour le meilleur ou le pire, selon les goûts), d'autres n'ont pas eu peur d'imposer leurs propres recettes. Avec parfois un certain culot : films composés uniquement de gros plans, films où une actrice seule ne fait presque qu'envoyer des sms, films quasi dépourvus de dialogues, films amoraux... Vive les films qui n'ont pas peur de déborder, que ce soit par leur durée (il n'est pas anodin qu'un quart des films concourant pour la palme dépassait cette année les 2h30) ou par leur genre (y a-t-il déjà eu en compétition un film qui ressemble autant à un vrai film d'horreur que The Neon Demon ?). Encore plus imprévu: il y avait cette année dans la course non pas une ou deux mais trois comédies : Ma Loute, Toni Erdmann et Elle. De quoi tordre le cou à plus d'un cliché. Oui, les comédies sont présentes à Cannes (mais seulement les bonnes, na). Oui, les critiques et le public les aiment (coucou Toni Erdmann). Ceux qui n'en veulent pas... ce sont les jurés.

Un mot sur Toni Erdmann, d'ailleurs. Alors qu'il avait tout pour ne pas être sélectionné (une réalisatrice! Allemande! Pas connue! Qui fait une comédie! Qui dure presque 3 heures!), le film a réussi à se faufiler dans la section reine on ne sait trop comment, et il y a bénéficié d'un plébiscite sans pareil. Les chiffres ne sont pas tout, mais ils parlent d'eux mêmes: 6 palmes dans le tableau du Film Français et une moyenne jamais vue de 3,7/4 dans celui de Screen Daily. Comme nous l’écrivions dans notre Palmomètre, même si le film n'a pas du tout le profil d'une palme, quand un film peut sérieusement prétendre à la fois à un prix du scénario, un prix de la meilleure actrice et un prix du meilleur acteur, et qu'il bénéficie d'un accueil aussi unanime qu'inattendu, c'est qu'il peut prétendre plus haut. La question sur toutes les lèvres n'était pas "le film sera t-il au palmarès?" mais "lequel des prix qu'il mérite le jury va t-il lui donner?". Son absence totale au palmarès est décevante pour plusieurs raisons. A Cannes comme ailleurs, les films sont avant tout commentés et critiqués par des hommes, et les réalisatrices y sont généralement accueillie avec davantage de suspicion (inconsciente?) que leurs confrères masculins. Que le film favori pour la Palme soit signé d'une femme est une situation inédite, et plus d'un observateur cannois s'est surpris à sérieusement imaginer qu'enfin, le temps était venu pour qu'une seconde cinéaste gagne la palme. Toutes les conditions semblaient réunies, et patatras. En conférence de presse, les membres du jury se sont réfugiés derrière l'argument classique "les films ont été uniquement jugés sur leurs qualités". Poussés dans leurs retranchements, ils ont fini par lâcher qu'il n'y avait même pas eu débat sur la question des réalisatrices. Il est à la fois glaçant et déprimant que ceux-là même qui ont le pouvoir de changer les choses, qui ont une responsabilité particulière, considèrent que cela ne vaut même pas la peine d'en parler.

Cette excellente compétition s'est en effet terminée dans un palmarès en forme de douche glacée. Le jury est parvenu à slalomer entre les nombreux coup de cœur publics, pour aboutir à un résultat à peu près entièrement à côté de la plaque. Deux prix pour un même film, un autre prix ex-aequo, et des récompenses pour les films les plus consensuels... nul autre que les jurés ne sait comment se sont déroulées les délibérations, mais le palmarès fade semble traduire une très grande difficulté à se mettre d'accord. La conférence de presse du jury qui a immédiatement suivi l'annonce des prix a comme confirmé cette impression. "Nous avons débattu plus longtemps que tous les autres jurys avant nous" a annoncé d'emblée George Miller, tandis qu'autour de lui, l'ambiance paraissait tendue: certains membres se muraient dans leur silence, refusant presque de participer.

On peut reconnaître au jury d'avoir récompensé trois films très clivants (le Dolan, le Assayas et le Arnold), mais les autres prix (la mise en scène à Baccalauréat, le prix du scénario au Client...) traduisent une vision vieillotte du cinéma d'auteur: des sujets sérieux et de la dignité avant tout. On est content de retrouver le bouillonnant Ma' Rosa au palmarès, que l'excellente Jaclyn Jose tient effectivement sur ses épaules. Mais dans le contexte d'un palmarès aussi conservateur, récompenser l'actrice dans une année où plus d'un film était character-driven et bâti autour de personnages féminins hors-normes (Aquarius, Elle, etc.) a quelque chose d'un peu convenu. Cela appauvrit un peu la récompense d'un film à qui on aurait plutôt donné un prix de la mise en scène.

La Palme d'or pour Ken Loach ressemble à une blague triste, que personne n'a vue venir. Non content d'être le cinéaste le plus souvent sélectionné de l'histoire moderne du Festival (vous avez dit disproportion ?), voilà le réalisateur britannique doublement palmé, alors même que son cinéma est figé dans une formule similaire et en perte de vitesse depuis une vingtaine d'années. Moi, Daniel Blake, c'est un discours social inattaquable derrière lequel on imagine bien le jury éclectique se retrouver, mais c'est surtout la palme la plus dépourvue d'idées cinématographiques depuis longtemps. Manichéen à l’extrême, mis en scène et monté comme un téléfilm, le long métrage ressemble à une caricature de Ken Loach. Chaque année, les observateurs râlent du retour en compétition des mêmes cinéastes abonnés. L'inclusion de Ken Loach avec l'un de ses films les plus pantouflards avait de quoi faire grincer des dents. La Palme qui lui est attribuée a suscité une incompréhension presque générale (et internationale, pas juste chez les français râleurs), immédiate, qui a d'ailleurs valu au jury d'être hué lors de son arrivée en salle de conférence. Cette Palme est représentative d'une vision anachronique du cinéma social, elle en devient même paradoxale : en recevant son prix, Ken Loach disait qu'un autre monde était possible. Mais comment rêver d'un autre monde en faisant et promouvant un cinéma aussi classique et sans prise de risque?

Qu'attendre après cette Palme? D'une part, Ken Loach ne voudra peut-être plus prendre sa retraite, et s'il refait des films, il ne risque plus de changer de formule. Quant à Thierry Fremaux, il ne risque pas non plus de changer la sienne. Avec un palmarès où tous les lauréats (sauf Assayas) avaient déjà reçu des prix par le passé, il n'a aucune raison de ne pas continuer à sélectionner des films-à-sujets-pour-festivals, mais surtout des réalisateurs déjà bien identifiés et habitués. La formule a bien marché pour lui cette année...

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par Gregory Coutaut

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