Festival de Cannes 2015: le bilan !
Le rideau est tombé sur le Festival de Cannes 2015 ! Quels ont été les temps forts et les tendances de cette 68e édition ? FilmDeCulte fait le point.
« Cocorico ! » C’est le cri du cœur suscité par le palmarès très francophile du jury présidé par les frères Coen. Trois des cinq films français présentés en compétition ont reçu une récompense : Vincent Lindon et Emmanuelle Bercot pour leurs interprétations dans La Loi du marché et Mon roi, et bien sûr Jacques Audiard couronné par la Palme d’or pour Dheepan. Quitte à passer pour des grincheux, on a été moins enthousiasmés que les Coen par la sélection française. Sans que cela ne constitue une vérité irréfutable, trois des quatre dernières places du tableau de notes international de Screen Daily sont occupées par… des films français. La presse étrangère n’a, en effet, pas été tendre avec nos films. Les journalistes étrangers avec qui nous avons pu échanger pendant le festival étaient assez fatalistes : « c’est un festival qui se déroule en France, il doit donc soutenir la production locale ». Jusqu'à la disproportion ?
Consacrer plus d’un quart de la compétition (5 films sur 19) à la France était un risque. Les aigreurs d’estomac de quelques journalistes ont promptement été dépassées par le plébiscite au palmarès du cinéma hexagonal et Thierry Frémaux peut largement estimer avoir gagné son pari. Pourtant, dans un lieu ouvert sur le monde comme Cannes, dans un festival où devraient se faire les découvertes, qu’une sélection soit aussi franco-centrée a quelque chose de déprimant. D’abord parce que le quotidien français est déjà suffisamment franco-centré pour que Cannes ne s’y mette pas lui aussi. Il y a, par exemple, quelque chose d’assez désobligeant à voir, le premier jour, deux projections de presse dans la salle géante de Debussy pour le film d’ouverture La Tête haute (français, lui aussi) tandis que les deux projections de presse du nouveau film de Kore-Eda (japonais, donc) étaient parquées dans une salle beaucoup plus modeste, alors que seul ce dernier était en compétition. Si le comité de sélection a estimé que ces cinq films (Dheepan, La Loi du marché, Mon roi, Marguerite et Julien, Valley of Love) méritaient d’être en sélection, c’est que ses membres les ont aimés. Mais quelle place pour la diversité ? Pour la curiosité ? Les critères pour sélectionner des films français en compétition nous ont paru beaucoup moins exigeants que pour les films étrangers (un Marguerite et Julien coréen aurait-il eu les honneurs de la compétition ?). Tout comme la sur-présence italienne (3 films et zéro pointé au palmarès), qui nous ramène à une époque désormais révolue où le cinéma transalpin était au centre du monde.
Il y a eu en tout cas de quoi se réjouir sur un parti-pris de la compétition 2015 : celui de faire du neuf. L’an passé, nous regrettions qu’une large partie des films en compétition étaient signés par des « habitués » qui reviennent, et c’est plus ennuyeux, avec des films parfois très inférieurs à leurs précédentes sélections. Le traditionnel « à Cannes, c’est toujours les mêmes » était plus faux que jamais cette année avec pratiquement la moitié des sélectionnés qui venaient pour la première fois. Il y a quand même plus d’excitation à voir ces films qu’à découvrir le nouveau Ken Loach qu’on a déjà vu dès la lecture du pitch. On a pu voir des défis parfaitement relevés comme la sélection audacieuse du premier film Le Fils de Saul. Le long métrage n’a pas fait l’unanimité mais a également suscité une forte admiration, et a remporté le Grand Prix. Il y a eu, malheureusement, des déceptions face à ce qui s’est parfois révélé comme de la fausse audace. Joachim Trier, dont l’excellent Oslo 31 août avait été découvert à Un Certain Regard, a été sélectionné en compétition avec l’infiniment inférieur Plus fort que les bombes, film plus lisse avec des stars. Justin Kurzel, sélectionné à la Semaine de la Critique avec le dérangeant Les Crimes de Snowtown, est retenu en compétition avec le scolaire Macbeth, pétard mouillé avec des stars. Guillaume Nicloux déboule en compétition avec la miniature Valley of Love, film qui tient essentiellement… sur ses stars. Qu’est-ce qui fait la différence entre une sélection à Un Certain Regard et un passage en compétition ? On a parfois eu la désagréable impression que le tapis rouge avait son mot à dire sur l’inclusion ou non d’un film en compétition. Néanmoins (et malgré une palme d’or qui n’est pas notre premier choix), on peut dire que le jury des frères Coen a su mettre en avant la plupart des meilleurs films de cette compétition, et les récompenser pour de bonnes raisons.
On a pu pourtant entendre pas mal de huées à Cannes cette année, plus que d’habitude (pour La Forêt des songes, Youth ou encore Macbeth). Il y avait cependant largement de quoi voir si l’on ne se contente pas de la compétition. Avant même le début du festival, l’année 2015 était annoncée comme énorme pour l’Asie. C’était le cas : la quasi-totalité des meilleurs films de Cannes sont venus d’Asie, même si cela s’est traduit par une présence ridiculement réduite en compétition (trois films et basta). Après une présence plutôt discrète à la Berlinale en début d’année (ce qui reste relatif puisque son splendide Ours d’or, Taxi Téhéran, est iranien), l’Asie a dominé le reste du monde de la tête et des épaules. En compétition, The Assassin de Hou Hsiao Hsien et Mountains May Depart de Jia Zhang Ke (pour nous, le seul vrai oublié du palmarès) ont particulièrement brillé. Plus modeste en apparence, Notre petite sœur de Kore-Eda est une petite merveille. Ses compatriotes Kiyoshi Kurosawa et Naomi Kawase se sont également illustrés à Un Certain Regard (dont la sélection était d'un excellent niveau). La Corée, sans pouvoir prétendre à la compétition, a confirmé son éclectique talent (le film noir avec The Shameless, l’über-mélo avec Madonna, le thriller horrifique avec Office) tandis que l’Inde s’est distinguée avec l’attachant Masaan. Côté Asie du sud-est, Brillante Mendoza a à nouveau impressionné avec Taklub tandis que l’un des films les plus remarquables de l’année a été Cemetery of Splendour, nouvelle pépite du palmé Apichatpong Weerasethakul. Tout cela valait bien un Marguerite et Julien.
On aurait pu croire que ces films allaient souffrir d’être ainsi « relégués » à Un Certain Regard (tandis que des films occidentaux nains –à nos yeux - ont pu accéder à la compétition). Or, ce choix de Thierry Frémaux pourrait finalement leur rendre service. En effet, les films d’Un Certain Regard sont largement moins vus que ceux de la compétition, et l’on sent une volonté de protéger certains films plus fragiles de l’accueil parfois très dur réservé aux longs métrages en compétition. C’est aussi une façon de ne pas froisser les journalistes obtus et allergiques au cinéma asiatique qu’on peut subir chaque année à Cannes. Cela a valu à Weerasethakul, Kurosawa, Kawase ou encore Mendoza des accueils bien plus uniformément chaleureux que lors de leurs précédentes et périlleuses présences en compétition. On peut trouver triste de priver la compétition de personnalités plus radicales pour avoir du Sicario à la place, mais c’est aussi une façon de rendre service aux films.
L’une des tendances de cette année a été d’observer des cinéastes à l’univers très personnel, aux films intimistes, s’ouvrir vers un nouveau public tout en conservant leur style. Kore-Eda avait déjà eu un gros carton au Japon avec Tel père, tel fils (ainsi qu’un beau succès dans les salles françaises), son adaptation de manga Notre petite sœur peut elle aussi séduire un large public. An est le film le plus mainstream de Kawase (dont le film Still the Water a été son meilleur succès en France alors qu’il n’a pas pu profiter du buzz offert par un prix cannois) tandis que The Lobster de Lanthimos, avec son cast international, a un plus grand potentiel commercial que ses précédents films tout en conservant sa précieuse particularité. On peut faire la même observation sur le nouveau Jia Zhang-Ke, mélodrame plus immédiatement émouvant que ses films d’il y a quelques années. C’est une question qui se pose à Cannes : comment le festival peut-il accompagner les auteurs et aider au mieux leurs films ? Il y a quelque chose d’encourageant à voir ces réalisateurs ne pas s’enfermer vers un public niche tout en ne faisant guère de concessions sur leur cinéma.
Enfin, à l’heure où certains envisagent le cinéma de manière assez ringarde comme une sorte de grand-messe doloriste (Las Elegidas ou le cyniquissime Chronic en étant des exemples assez frappants), à Cannes, le cinéma (du moins chez les meilleurs réalisateurs) a fait du bien. Certains ont traité des sujets les plus sombres, d’autres les ont laissés à l’arrière plan, mais on est sorti de films comme Carol, Notre petite sœur, Cemetery of Splendour, Le Trésor, An ou même Vers l’autre rive le cœur léger et gonflés à bloc. Cameron Bailey, directeur artistique du Festival de Toronto, a d’ailleurs commenté : « Notre petite sœur de Kore-Eda et Cemetery of Splendour de Weerasethakul m’ont rendu heureux d’être vivant ». Il y avait une élégance remarquable dans ces films qui ne s’apitoient pas, à la différence de bon nombre de films de festivals. C’est une facilité dans laquelle ils auraient pu se rouler : c’est, au lendemain de la clôture du festival, de ces beaux films-là qu’on se souviendra le plus.
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