Disney, l'âge d'or en 2D
La sortie de Chicken Little, premier long métrage d’animation de Disney entièrement réalisé en images de synthèse, marque un tournant dans l’histoire du studio. Tiraillé entre vieilles ficelles (Frère des ours, La Ferme se rebelle) et soif de renouveau (Atlantide, l’empire perdu, La Planète au trésor, Lilo & Stitch), le tout-puissant royaume n’a pas résisté aux sirènes de la 3D, à l’instar du concurrent DreamWorks (Shrek, Madagascar) et du petit prodige Pixar. De plus en plus contesté, échaudé par les succès fulgurants de ses voisins et en sacrée perte d’imagination, Disney tourne le dos à près de soixante-dix ans d’animation traditionnelle en 2D et ferme son plus vieux département. Neveu de Walt, Roy Disney a été démis de ses fonctions au sein du conseil d’administration. En 2005, c’est au tour de l’emblématique PDG Michael Eisner de tirer sa révérence et de laisser le fauteuil à son numéro 2, Robert Iger. Mais Pixar semble prêt à prolonger son contrat de partenariat et Chicken Little s’est hissé aux premières places du box-office, en engrangeant plus de 119 millions de dollars (pour un budget estimé à 60 millions). On l’oublie souvent, mais Disney le fer de lance a longtemps régné sans partage sur le monde de l’animation, et suscité d’innombrables vocations (dont celle d’Osamu Tezuka au Japon). Découpée en trois thèmes récurrents (le conte, le roman culte, la fable animalière), une rétrospective sur ce fameux âge d’or s’imposait. Titres incontournables et coups de cœur de la rédaction.
1- IL ETAIT UNE FOIS
BLANCHE NEIGE ET LES SEPT NAINS
Snow White and the Seven Dwarfs
(Walt Disney – Etats-Unis – 1937)
1937, date phare. Les studios Disney marquent de leur sceau l’Histoire du cinéma mondial en réalisant le premier long métrage animé: Blanche Neige et les sept nains, adapté du célèbre conte des frères Grimm. S’il se place comme le réel pionnier d’un nouveau genre cinématographique (et se verra de fait récompensé d’un Oscar honorifique en 1939), le film va également servir de base à la recette Disney qui séduira le public pendant près de trente ans. Adapter en chants et en couleurs un conte, une légende, un univers féerique, que petits et grands connaissent par cœur. Se basant sur l’idée que chacun maîtrise la trame principale de l’œuvre initiale, Disney se permet d’en changer des scènes, des personnages, afin d’y incorporer des éléments plus contemporains. Il en édulcore les fins tragiques pour proposer des mariages princiers flamboyants, donne des noms aux personnages secondaires, et s’approprie pleinement ces histoires qui prennent alors un nouvel éclairage aux yeux du public. Ainsi dans Blanche Neige, exit les multiples tentatives de la belle-mère sorcière qui étouffait la jeune fille avec des corsets trop serrés, seule subsiste la scène de la pomme empoisonnée. De même, ce ne sera plus une simple secousse qui réveillera Blanche Neige de son funeste sommeil mais le baiser d’un prince charmant. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants.
Julie Anterrieu
CENDRILLON
Cinderella
(Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske – Etats-Unis – 1950)
Sorti en 1950 après huit années d’interruption dues à la Seconde Guerre Mondiale, Cendrillon marquait le retour tant attendu des longs métrages Disney. Pour ce sixième film, les studios ressortent leur formule magique en adaptant le plus célèbre des contes de fées. Issue de la culture populaire, l’histoire de Cendrillon existe sous près de 350 versions différentes, dont les plus célèbres sont celles de Charles Perrault et des frères Grimm. Disposant ainsi d’un terreau hautement fertile, Disney va piocher à droite à gauche pour renouveler le récit, l’assimiler, au point d’en faire la version la plus connue du public. Sous l’influence de Mary Blair, le dessin animé s’habille de couleurs pastels, d’ombres envoûtantes, de scintillements féeriques, envoyant directement aux oubliettes la morosité de Perrault et le sanguinolent des frères Grimm. Des trois bals que donne le prince en son palais, il n’en reste plus qu’un, le plus important, le dernier, laissant ainsi le temps aux deux premiers tiers du film de développer les personnages secondaires et les scènes comiques. Chez Disney, les bonnes fées ressemblent à des super mamies aimantes, les souris et les petits oiseaux arborent fièrement des gilets colorés et narguent avec grâce le chat Lucifer, pourtant capable de se confondre avec des marches d’escalier.
Julie Anterrieu
LA BELLE AU BOIS DORMANT
Sleeping Beauty
(Clyde Geronimi – Etats-Unis – 1959)
Les princesses somnolentes ont la cote. Après Blanche Neige et son teint de nacre, voici Aurore, son épaisse chevelure blonde et ses traits calqués sur Audrey Hepburn. Doté d’un superbe graphisme anguleux, tout en pointes et en lignes symétriques, La Belle au bois dormant affiche une vertigineuse ambition. Avec un budget avoisinant les 6 millions de dollars, le film est alors le plus cher du studio Disney et le plus cher tout court de l’Histoire de l’animation. La pellicule 70mm, les emprunts à Tchaïkovski, au folklore russe, à l’art médiéval, les décors encore peints à la main, l’étude pointilleuse du mouvement corporel: la fine équipe veut frapper un grand coup. Le conte de Charles Perrault subit quelques retouches. Les 7 fées (13 chez les frères Grimm) sont réduites au nombre de trois (Flora, Pâquerette et Pimprenelle), le Prince n’a plus seulement des ronces à écarter mais un dragon à abattre. La version de Disney s’arrête au baiser salvateur, alors que le conte de Perrault va plus loin. Aurore est en réalité le prénom donné à l’un des enfants du couple bienheureux (le second s’appelle Jour). Les dernières péripéties les voient confrontés à un épineux problème culinaire avec une reine-mère ogresse. Conçu parallèlement à la mise en chantier du parc Disneyland, La Belle au bois dormant coulera malheureusement à pic au box-office. La silhouette de la divine Maléfique influera sans doute sur celle de Jafar pour Aladdin.
Danielle Chou
MERLIN L’ENCHANTEUR
The Sword in the Stone
(Wolfgang Reitherman – Etats-Unis – 1963)
Il arrive parfois qu’une seule scène suffise à graver un film dans l’Histoire du cinéma. Si Merlin l’enchanteur, premier long métrage des studios Disney attribué à un seul réalisateur, l’illustre Wolfgang Reitherman (Le Livre de la jungle, Bernard et Bianca…) n’est pas, à proprement parler, un chef-d’œuvre de l’animation, le combat de sorciers, génial morceau de bravoure, préfigure sans doute la Harry Potter mania actuelle et annonce le morphing, quarante ans avant l’heure. En une séquence de quelques minutes, Merlin et Madame Mime se transforment à volonté. Une prodigieuse idée met fin à cette lutte homérique. Alors que la méchante sorcière s’est changée en dragon, l’enchanteur se métamorphose en bactérie et contamine peu à peu l’organisme de son ennemie. Une belle leçon de science appliquée, du plus grand au plus petit organisme vivant… Inégal, le film relate une version très personnelle de la formation d’Arthur, alias Moustique, futur Roi d’Angleterre à l’époque des chevaliers de la table ronde. Le scénario avance par digressions plus ou moins efficaces et le ton professoral de Merlin peut agacer. Cependant, outre la baston de magots déjà décrite, Merlin l’enchanteur possède de sérieux atouts pour charmer la jeunesse comme le hibou Archimède ou les nombreux interludes musicaux complètement déjantés.
Yannick Vély
TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE
The Black Cauldron
(Ted Berman, Richard Rich – Etats-Unis – 1985)
S’il faut désigner un mouton noir dans la filmographie des studios Disney, le nom de Taram et le chaudron magique est tout trouvé. Bénéficiant de cinq ans de préparation, doté d’un budget record pour un dessin animé (25 millions de dollars), Taram, adapté des Chroniques de Prydain de Lloyd Alexander, est né dans un contexte de crise, après le départ de Don Bluth, dans une période où les recettes sont en baisse. Disney cherche un nouveau public, les ados, qu’il pense séduire avec un film d’heroïc fantasy, sans chanson (une première), et d’une noirceur telle qu’il a dû subir une classification PG aux Etats-Unis. La direction, en pleine contradiction, refuse le travail d’un certain Tim Burton, jugé trop sombre. Après un premier visionnage, les mots de Roy Disney sont sans équivoque: "On a un vrai problème". La production fut chaotique et l’échec critique et public cinglant. Il reste pourtant aujourd’hui un film qui, s’il souffre d’une narration totalement bordélique et d’une technique un peu vieillie, jouit de quelques fulgurances visuelles (l’apparition du méchant) ainsi que d’une atmosphère crépusculaire, d’un imaginaire plus riche et plus ambitieux que la plupart du reste de la filmographie maison, faisant de Taram un objet aussi mal-aimé que culte.
Nicolas Bardot
LA PETITE SIRENE
The Little Mermaid
(Ron Clements, John Musker – Etats-Unis – 1989)
Symbole du Danemark, qui expose fièrement sa statue à Copenhague, la petite sirène d'Andersen a été réhabilitée par Disney. D'un conte triste à la fin quelque peu fumeuse, la maison aux grandes oreilles a tiré une histoire dont la trame reste fidèle à l'original certes, mais où la comédie et la magie allègent la tension dramatique. Ainsi, plus de langue coupée par la méchante sorcière, mais une voix dorée capturée dans un coquillage, permettant plus tard sa restitution à sa propriétaire, la princesse Ariel - ici, les personnages ont enfin un nom. Reprenant les ingrédients du succès, Clements et Musker affublent Ariel de deux sidekicks l'accompagnant dans ses aventures: Polochon le poisson et Sébastien le homard - celui-ci n'hésitant pas à pousser la chansonnette au clair de lune pour aider la belle à conquérir le Prince Eric (le film gagnera même l'Oscar de la meilleure musique et de la meilleure chanson). Passionnée par les fourchettes et autres ustensiles typiquement humains, la jolie rousse est prête à tous les sacrifices pour épouser celui qu'elle aime et, tandis qu'Andersen la faisait mourir - Eric lui préférant une autre femme -, Disney ravit ses spectateurs en offrant à la sirène la fin qu'elle mérite: son mariage avec le Prince.
Marlène Weil-Masson
LA BELLE ET LA BETE
Beauty and the Beast (Gary Trousdale, Kirk Wise – Etats-Unis – 1991)
Requinqué par le triomphe de La Petite Sirène, Disney décide enfin de se lancer dans un projet que le studio tente de monter depuis les années 30: La Belle et la bête, adapté du conte français de Mlle Leprince de Beaumont datant de 1757. Mais on trouve des versions de ce récit dans de nombreuses cultures, grecques, indiennes, chinoises ou africaines, et ce à travers les siècles. La petite souris s’attaque ainsi à une histoire d’amour intemporelle, avec comme seule crainte de "faire moins bien que la version de Cocteau". Si la noirceur du conte a été atténuée, il en reste les ambiances de romantisme gothique, qui font l’une des réussites de cette adaptation, comptant comme l’un des derniers vrais succès artistiques de Disney en matière de romanesque à l’ancienne et au total premier degré. Mélangeant inspirations picturales (du réalisme de Bambi aux peintures de Fragonard) et styles musicaux (de l’opérette à Broadway), tranchant avec quelques petites habitudes disneyennes (l’intro dite du "livre qui s’ouvre" laisse place à des vitraux, l’héroïne a le goût pour… la lecture), La Belle et la bête cultive un profond mystère jusque dans son final au souffle passionné. Récompense méritée, le film fut le premier (et unique) dessin animé nommé à l’Oscar du meilleur film.
Nicolas Bardot
ALADDIN
(Ron Clements, John Musker – Etats-Unis – 1992)
Aladdin est un film charnière. En choisissant d’adapter (très librement) un conte des Mille et une nuits, Disney entreprend un retour au souffle d’antan. Le choix du tandem de scénaristes Ted Elliott et Terry Rossio y est pour beaucoup. Devenu depuis spécialiste du film d’aventures (la trilogie Pirates des Caraïbes), le duo signe un monstre du calibrage parfait. Du récit comprenant destin, romance et traîtrise jusqu’à son climax apocalyptique, en passant par le moindre sidekick comique animalier (Abu, Iago, Raja), le scénario est un modèle du genre, ce que tout blockbuster devrait être, remettant au goût du jour une histoire du passé. L’actualisation est rendue encore plus harmonieuse par la performance tout en improvisations délirantes de Robin Williams. Donnant lieu à de l’humour anachronique là aussi utilisé avec une précision et une pertinence sans égales, le personnage du Génie ne tombe jamais dans le gag facile ou le clin d’œil gratuit. A la barre, on retrouve Ron Clements et John Musker, animateurs pour la maison de la souris depuis, respectivement, 1977 et 1981. Apportant leur indéniable savoir-faire, les deux vétérans se permettent de semer dans l’animation les prémices d’une nouvelle ère. Inaugurée sur leur précédent film, l’utilisation d’images de synthèse prend ici une nouvelle dimension, avec notamment une Caverne aux Merveilles et un tsunami de lave qui tiennent encore le coup aujourd’hui. Aladdin, c’est le retour à de l’aventure grand large, la collaboration de grands esprits et un aperçu du chef-d’œuvre à venir avec Le Roi Lion…
Robert Hospyan
MULAN
(Barry Cook, Tony Bancroft – Etats-Unis – 1998)
La Chine est un marché au potentiel phénoménal et cela fait longtemps que les Américains l’ont compris. Lorsque Miramax s’attire les foudres du gouvernement chinois avec Kundun, le biopic du Dalaï Lama de Martin Scorsese, Disney voit en Mulan l’occasion de se racheter. En appliquant à la culture chinoise sa recette ancestrale (choisir un conte ou une légende populaire propre à un univers), la firme de Mickey se renouvelle en sortant de ses vieilles valeurs occidentales. C’est toutefois sans trahir son héritage qu’elle s’empare de l’histoire de Mulan: on y retrouve les thèmes habituels du courage face à l’adversité, de la fausse rébellion face aux traditions, de la persévérance ou bien de l’amour triomphant. Rien n’est épargné, du bellâtre fadasse mais brave jusqu’aux inénarrables sidekicks comiques (ici démultipliés, entre le dragon Mushu et les compagnons d’armes maladroits de Mulan), sans oublier les animaux mignons qui oeuvrent à de minis intrigues parallèles, comme le grillon ou le cheval de l’héroïne. Malgré tout, la sauce prend. L’issue est sans surprise et pourtant, grâce à une mise en scène inspirée, des dessins forts réussis et la participation hilarante d’Eddie Murphy, Mulan se tient au-dessus du panier. Certes sans aller jusqu’à taquiner les meilleures productions maison, mais il remplit à merveille son rôle de divertissement haut de gamme aux teintes orientales.
Nicolas Plaire
2– C’EST UN BEAU ROMAN
ALICE AU PAYS DES MERVEILLES
Alice in Wonderland
(Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske – Etats-Unis – 1951)
"Qu’on lui tranche la tête!!!", s’époumone une rustaude Dame de Cœur. Après l’ultimement pépère Cendrillon (plus gros succès historique du studio), Alice au pays des merveilles et son univers totalement toqué font office de chien fou dans une maison bien rangée. La blonde gamine n’a d’ailleurs jamais plu à son père d’adoption, Walt Disney, probablement en partie parce que l’entreprise fut un désastre au box-office. Adapté de deux contes de Lewis Carroll (Alice… donc et De l’autre côté du miroir), le génial long métrage baigne dans une atmosphère surréaliste (dont Carroll est un précurseur), où l’on mange des champignons qui font grandir, où l’on hume une fumée qui enivre, dans une odyssée droguée qui enfile comme des perles les scènes ou personnages cultes, du repas de non-anniversaire aux dernières heures des petites huîtres, du chat chafouin au lapin blanc, le tout au rythme d’une démence bariolée où l’on manque de se noyer et de se perdre dans un labyrinthe aux roses fraîchement repeintes. "Walt nous en voulait", affirme l’animateur Ollie Johnston, "toujours est-il qu’Alice est devenu un film culte et que les jeunes d’aujourd’hui nous demandent avec quoi on se dopait pour travailler". Probablement une mauvaise herbe un peu folle cueillie dans le jardin ordonné de Mickey.
Nicolas Bardot
PETER PAN
(Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske – Etats-Unis – 1953)
En 1913, le tout jeune Walt Disney découvre sur scène une pièce de théâtre qui le bouleverse, mélangeant imaginaire et aventures, une épopée de l’enfance intitulée Peter Pan. Dès lors, il projettera de devenir un nouveau James Barrie, un conteur magique. Les années passent, Walt devient le père de Mickey et du monde féerique des studios Disney. A la fin des années trente, alors que Blanche Neige vient de sortir, il se penche sur une version animée de cette pièce qu’il aime tant dans le but de lui donner une autre dimension, montrer les rêves et la magie qui n’étaient alors que suggérés sur scène. En 1939, les studios obtiennent les droits de l’adaptation et Walt fait appel à David Hall (qui avait travaillé en 1938 sur les décors d’Alice au pays des merveilles) pour créer l’esthétique générale du film en aquarelles. Les premières illustrations réalisées apparaissent bien plus sombres et sinistres que l’atmosphère de la pièce et que les dessins habituels estampillés Disney. A la fin de l’année 1941, alors que la structure de base de l’intrigue voit enfin le jour, la production du film est interrompue par l’entrée en guerre des Etats-Unis, les studios préférant se concentrer sur les courts métrages et leurs œuvres en post-production comme Dumbo et Bambi.
LE LIVRE DE LA JUNGLE
The Jungle Book
(Wolfgang Reitherman – Etats-Unis – 1967)
Avec Le Livre de la Jungle, 19ème et dernier long métrage d’animation produit de son vivant, Walt Disney touchait à un rêve: mettre en images l’un de ses livres de chevet, le chef-d’œuvre de l’écrivain anglais Rudyard Kipling. Malgré sa maladie et le décès de son épouse Lilian, il a tenu à superviser le moindre détail de cet ultime projet, confiant la réalisation à Wolfgang Reitherman (Merlin l’enchanteur, Les 101 Dalmatiens) et modifiant la première partition musicale qu’il jugeait trop sombre. Récit initiatique d’un jeune garçon qui doit choisir entre la vie sauvage et la société humaine, Le Livre de la jungle version Disney respecte l’esprit du roman original en lui apportant une franche tonalité groovy. Les aventures de Mowgli et ses amis, Baloo, Baghera et Hathi ("ours", "panthère" et "éléphant" en langue hindi) ont rencontré immédiatement un énorme succès mondial. Impossible de ne pas fredonner les chansons (Etre un homme comme vous, Il en faut peu pour être heureux) ou de ne pas s’attendrir devant les obstacles rencontrés par Mowgli. Premier Disney à représenter la faune africaine, 27 ans avant Le Roi Lion, Le Livre de la Jungle est un euphorisant intemporel.
Yannick Vély
TARZAN
(Chris Buck, Kevin Lima – Etats-Unis – 1999)
Inspiré de la création d’Edgar Rice Burroughs, Tarzan présente une fois de plus le talent de Disney pour rafraîchir les vieilles légendes. S’éloignant du roman original, le scénario conserve l’idée de l’homme élevé par des singes. Evoquant tour à tour divers produits de la major (du Livre de la jungle au Roi Lion), le récit prend des allures de film d’apprentissage et s’articule une nouvelle fois autour du thème inévitable de la filiation, en y liant ceux de l’identité, de la famille, et le tout sans jamais être niais ou bêtement moralisateur. Traités avec subtilité, ces thèmes donnent naissance à quelques très belles scènes, illustrant notamment ce qui tient au culte du personnage, comme son mythique cri ou encore le célèbre " Moi, Tarzan, toi Jane". Cependant, la meilleure idée quant à l’actualisation du protagoniste est d’en faire un simili-super-héros. Tel un héros de comics, il est doté de pouvoirs que les autres humains n’ont pas (bouger comme un singe, parler avec eux), évolue dans la jungle tel Spider-Man en ville (grimpant aux arbres avec aisance, se déplaçant avec les lianes) et se retrouve impuissant face au métal qu’il ne peut maîtriser, comme s’il s’agissait de Kryptonite (la scène sur le bateau). Le parallèle est même rendu évident par ce plan où il ouvre sa chemise (redevenant Tarzan) tel que le fait Superman, révélant son costume caché de héros. Par ailleurs, le film se conclue par un long plan-séquence identique à celui qui clôt Spider-Man. Ce n’est pas pour rien que le surnom le plus courant de Tarzan est "The Ape-Man" (l’homme-singe). Une technique révolutionnaire (le procédé 3D Deep Canvas) et une mise en scène à la hauteur achèvent de faire de Tarzan un petit bijou.
Robert Hospyan
3– 30 MILLIONS D’AMIS
DUMBO
(Ben Sharpsteen – Etats-Unis – 1941)
Après les échecs commerciaux que furent Pinocchio et Fantasia, Disney avait bien besoin de renflouer ses caisses avec un projet plus sûr et plus modeste. Dumbo sera la solution et inaugure le bestiaire animé qui fera, des années durant, le succès de la maison. Court (à peine plus d’une heure) et économique (800.000 dollars de budget contre 2.2 millions pour Fantasia), Dumbo fait la part belle à ses bestioles, de l’adorable éléphanteau éponyme à sa souris loyale de partenaire, en passant par une troupe de corbeaux farceurs. Les humains sont réduits à portion congrue, maquillés en clowns ou dessinés en ombres chinoises derrière la toile du chapiteau. Un cirque qui explose de couleurs là où le nœud dramatique se crée: Dumbo, séparé de sa mère, est la risée de la compagnie, à cause de ses oreilles démesurément grandes. Un poids de plomb qui deviendra un atout lorsque le touchant pachyderme se mettra en tête de voler, aidé par une plume magique en forme de placebo. Préfigurant les rapports mère-petit de Bambi (dans une veine plus délirante, voir la géniale séquence hallucinée au champagne), Dumbo s’est taillé une place d’or parmi les stars du studio, dont il signe le second succès au box-office après Blanche Neige et les sept nains.
Nicolas Bardot
BAMBI
(David Hand – Etats-Unis – 1942)
"Ta mère ne pourra plus jamais être près de toi." Bambi, l’âge du traumatisme et des premiers émois. La longue lignée des orphelins de Disney trouve ici son plus célèbre ambassadeur. Réputée mièvre, la nursery a gardé intactes sa poésie noire et sa puissance évocatrice. Arraché à une enfance arc-en-ciel, rythmée par les bonds de lapin et les "Bonjour Petit Prince" extatiques, un faon cherche en vain le cadavre de sa mère avant de disparaître sous la neige. Scindé en deux parties (la tendresse maternelle, le devoir paternel), Bambi égrène au fil des saisons de magnifiques parenthèses bucoliques, lueurs au berceau et frissons amoureux, perles de neige et tourbillons de feuilles roses. Adapté d’un roman de Felix Salten, paru en 1929, le film aspire à plus de réalisme et plus de cruauté. A l’origine, Bambi devait retrouver un cadavre ensanglanté et le chasseur fautif montrait son visage. La main de l’homme, invisible de bout en bout, véhicule la mort et dévaste la nature. Poursuivi par une meute de chiens, Bambi tente d’échapper à une forêt en flammes. Walt Disney en personne voulait mettre en scène le film. Il se contentera d’envoyer ses troupes au zoo, de les mitrailler de photos et de témoignages rapportés d’un voyage d’études en Argentine. Un couple de faons (prénommés Bambi et Faline) sera même envoyé aux animateurs. L’image de la boucle temporelle et générationnelle sera ressuscitée dans Le Roi Lion.
Danielle Chou
LES 101 DALMATIENS
101 Dalmatians
(Clyde Geronimi, Hamilton Luske, Wolfgang Reitherman –Etats-Unis – 1960)
Echaudé par le bide en salles d’une Belle au bois dormant qui représentait pourtant un véritable défi technique, le studio s’est rabattu, pour son film suivant, sur une recette qui, quelques années auparavant, a constitué un solide succès via La Belle et le clochard: une histoire de chiens animés. Mais Les 101 Dalmatiens ne servirent pas que de décalque cupide, ils marquèrent la première utilisation de la Xérocopie chez Disney, permettant de multiplier plus facilement les chiots à l’écran. Les aventures des dalmatiens se sont également singularisées par leur contexte: il s’agit ici du premier dessin animé Disney situé dans un décor contemporain. Et si les chiens occupent tout l’écran, il leur faut parfois laisser un bout de couverture à l'une des méchantes les plus mémorables dans le royaume du rongeur. Cruella D’Enfer, copier-coller démoniaque de la star Tallulah Bankhead, chauffarde enfumée et accro aux fourrures de toutous. Le film est un triomphe et inspirera une version live trois décennies plus tard. La scène dite de la suie, où les chiens se tartinent au charbon pour passer incognito, avant d’être dévêtus par quelques gouttes de pluie, reste l'un des moments les plus populaires parmi les longs métrages de tonton Walt.
Nicolas Bardot
LES AVENTURES DE BERNARD ET BIANCA
The Rescuers
(John Lounsbery, Wolfgang Reitherman, Art Stevens – Etats-Unis – 1977)
Bernard et Bianca, ou le passage de relais de toute une tradition: dernier film ensemble pour quelques animateurs phares de Disney (Ollie Johnston, Milt Kahl, Frank Thomas), et dernier volet de la trilogie anthropomorphiste des 70’s après Les Aristochats et Robin des Bois. Et si les humains sont totalement absents de ces deux derniers films, ils font leur retour dans les intrigues des deux mulots. Ceux-ci ont leur propre petit monde, leur trafic aérien comme leurs Nations Unies ("SOS Société, nous sommes là pour vous aider"). Bianca, élégante souris de Hongrie, et Bernard, concierge réservé, vont s’embarquer pour une escapade inattendue à la rescousse de Penny, fillette séquestrée par Mme Medusa, nouvelle méchante chauffarde après Cruella (Disney n’a pas toujours été progressiste), doublée en VO par la grande Geraldine Page ("La meilleure voix de tous les films Disney" selon Thomas). Côté bestiaire, Capitaine Orville, albatros empoté, la libellule Evinrude ou les crocos Néron et Brutus complètent le tableau d’un marécage hanté qui recèle quelques trésors, et dont le climax se situe lors d’une pêche au diamant où Penny manque d’être emportée par la marée – chose impossible dans un bayou. Mais pour les deux héros rongeurs, rien n’est inconcevable, y compris de passer, lors d’un vol, devant une fenêtre où une demoiselle (de chair) s’exhibe topless. L’anthropomorphisme a ses limites.
Nicolas Bardot
LE ROI LION
The Lion King
(Roger Allers, Rob Minkoff – Etats-Unis – 1994)
Mené de main de maître par des quasi-débutants (premier long métrage des réalisateurs, des scénaristes), Le Roi Lion est le monument du renouveau Disney. Tout d’abord, il y a un scénario exemplaire, bouillon de culture piochant dans Hamlet (et dans un mythe égyptien similaire) et son histoire d’un roi assassiné par son frère jaloux, de l’exil de l’héritier avant son retour vengeur, après la visite de l’esprit de son défunt père. Le thème de la figure paternelle et de la filiation parcoure les scènes les plus émouvantes du film, qui prend également des allures de récit initiatique. Substituant la savane et la jungle au royaume du Danemark, Le Roi Lion se pourvoit d’une dimension impériale sublimée par la mise en scène. Qui a oublié l’ouverture tonitruante du film, où tous les animaux d’Afrique répondent à l’appel du roi à l’occasion de la naissance de son fils? Empruntant l’image mémorable des personnages sur la falaise au Roi Léo d’Osamu Tezuka, les réalisateurs entament une entreprise riche en iconographies de divers horizons. Ainsi, lors de l’un des premiers numéros chantés, les backgrounds adoptent un style traditionnel africain fait de rayures et autres motifs tribaux tout en y mariant une utilisation intensive de couleurs outrancières. Le film embrasse alors ouvertement le registre de la comédie musicale. Plus loin, toujours pour illustrer une chanson, une séquence sera le miroir d’une scène dans Le Triomphe de la volonté de Leni Riefensthal, où des soldats nazis marchent au pas de l’oie devant le Führer. Autant de démarches ambitieuses et originales qui feront accéder Le Roi Lion à un stade supérieur, celui de chef-d’œuvre de l’animation.
Robert Hospyan