DAD MAX : FAMILY ROAD
Il y a quelque chose d'assez unique au sujet du personnage de John Rambo. C'est l'un des rares héros de franchise à avoir été défini davantage par le deuxième épisode de sa licence que par le premier. L'image de Rambo dans la conscience populaire est celle d'un soldat increvable, infaillible, alors que dans son aventure originelle, il s'agit d'un vétéran traumatisé, replongé malgré lui - et chez lui - dans l'enfer de la guerre. Cette caractéristique si particulière s'avère encore plus frappante pour une autre icône du cinéma d'action forgée dans les années 80, Max Rockatansky. Toutefois, contrairement à la caricature qu'est devenu Rambo au fil des films avant d'être réhabilité par Stallone, l'anti-héros de George Miller, qui n'a jamais quitté la saga, bénéficie d'une évolution parfaitement cohérente d'un chapitre à l'autre, d'un père de famille à... un autre?
SELF-MADE MAX
Contrairement à ce que pourrait croire un spectateur abreuvé d'images de celui que l'on nomme "Mad Max", dans le film éponyme, Max n'est pas encore "mad" et l'apocalypse ne semble pas encore avoir eu lieu. Le futur est clairement dystopique mais il reste encore une civilisation plus proche de la notre que celle des autres épisodes. En réalité, la découverte tardive du film donne l'impression de voir non pas un premier chapitre mais une "préquelle", conçue pour raconter comment un jeune officier de police baptisé Max Rockatansky est devenu le Mad Max que l'on connaît. Néanmoins, cela n'empêche pas Miller de bâtir son icône dès les premiers plans, bien avant le basculement qui s'opérera une heure plus tard. Le genre du film post-apocalyptique est intimement lié au genre du western (civilisation balbutiante, contrées désertiques, héros solitaires) et Miller en reprend les codes, remplaçant les chevaux par des V8 et faisant de son shérif un homme sur le point de glisser du côté obscur.
FAG MAX
À ce titre, le film est chargé d'un sous-texte crypto-gay assez déroutant, pour ne pas dire maladroit. Les antagonistes sont des mecs maquillés vêtus de fourrure et des mecs en cuir (rouge) à moustache ou blond péroxydés et les jeunes semblent être les boys des plus vieux. Dans les deux premiers films de la saga, Miller semble, quelque peu puritainement, assimiler l'homosexualité à la dépravation et la dépravation au mal, et brouille les pistes en caractérisant les collègues de Max de façon tout aussi équivoque. Il faut voir la scène où Max - le héros hétéro, le seul avec femme et enfant - vient voir son supérieur, Macaffee - surnommé Fifi pendant tout le film! - pour démissionner parce qu'il "sent qu'il devient comme eux", et que ce dernier, un chauve à moustache qui l'accueille torse nu avec une écharpe en soie autour du cou et un pantalon en cuir, lui dit "non, reste avec nous". BE GAY. D'ailleurs, c'est un peu ce à quoi mène le récit au bout du compte, en tuant sa femme et son gosse pour le forcer à se débarasser de son style de vie hétéro, l'amenant à devenir ce à quoi il essayait de résister. Peut-être est-ce une manière de souligner la dégénérescence de la civilisation (représentée par la police et le mariage, valeurs "de base"), encapsulé dans le parcours du protagoniste (Max devenant Mad) et l'évolution de son monde (de pré-apocalyptique à post-apocalyptique).
FAMILY GUY
Si les scènes bucoliques de vacances en couple composent le ventre mou d'un film à l'énergie folle pour son époque, elles témoignent déjà de l'obsession chère au cinéaste dans la première moitié de sa carrière, l'idée de la famille (réelle ou adoptive) comme indispensable pour s'en sortir. Dans Les Sorcières d'Eastwick, la famille paraît nécessaire au bien-être, dans Lorenzo ce sont les parents du personnage éponyme qui luttent pour sa guérison et dans Happy Feet 2, Miller étend la notion de famille au l'écosystème tout entier, en soulignant l'importance de l'interconnectivité. Mais c'est dans ce qui était encore sa trilogie, vraisemblablement close, que l'auteur a le plus travaillé cette thématique. Le second volet, souvent désigné par son titre américain, The Road Warrior, est celui qui a fait le mythe Mad Max. Dès le départ, c'est totalement différent. Adieu le saxo kitsch, bonjour la bande originale intemporelle. Au revoir la photo contrastée, place à la richesse visuelle du chef opérateur Dean Semler et à un 2.35 autrement mieux utilisé. La saga gagne vraiment en ampleur. Dès l'introduction, avec cette voix off de légende sur un mélange d'images d'archives et d'images du premier film, en N&B et en 4:3, on est dans quelque chose d'autre. Les spectateurs de l'époque ont dû être déconcertés par cette suite qui n'a presque plus rien à voir. Il y a toujours des histoires de bagnole mais l'importance du pétrole prend une vraie place dans l'intrigue et le monde civilisé semble avoir cette fois complètement disparu. Max n'est peut-être plus aussi Mad que dans le dernier acte vengeur du premier film, il est quand même devenu un gros connard, vrai mercenaire.
LONE WOLF & CUB
Et ainsi continue l'arc du personnage... À l'issue du premier film, notre héros semble perdu. Suite à l'annihilation de sa famille, l'humain semble avoir déserté Max. Au fur et à mesure des films, le récit va montrer le besoin du solitaire de se recréer une famille de substitution, de rejoindre la civilisation. D'ailleurs, cela se fait de manière complètement asexuée. Il n'y a jamais de romance dans les deuxième et troisième volets. Il n'y a que des enfants. Et des bikers en cuir. Les méchants passent des punks pervers du premier à des Village People - Humungus est constamment en slibard et Wez porte un fut en cuir qui laisse ses fesses à l'air - avec des rapports de domination frisant le SM (Wez a une sorte de boy et plus tard, il est tenu en laisse - de chaîne - par Humungus). L'homosexualité (et donc, par essence, l'infertilité) est-elle le symbole de la fin de la civilisation? Une analogie maladroite entre l'absence de reproduction et la fin de la race humaine? Loin des , il y a la relation entre Max et le Feral Kid, qui parvient à être touchante sans le moindre dialogue. C'est tout de même en cela que Mad Max, icône badass qui rappelle Blondin ou Snake Plissken, diffère de ces derniers, par ce rapport à l'enfant et à la famille. Et la suite n'allait que le confirmer.
WE DON'T NEED ANOTHER HERO
Comme de nombreux troisièmes opus, Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre souffre d'une réputation peu reluisante mais l'ouvrage mérite d'être réhabilité. À vrai dire, ce dernier chapitre en date est sans doute le plus riche de la trilogie, toujours aussi politique (nouvelle ville, nouvelle civilisation, loi médiévale, jeux du cirque) et inventive (le Thunderdome, les élastiques, la tronçonneuse!) et avec un climax musclé, mais l'intérêt est ailleurs. Miller a beau remplacer le pétrole comme simili-McGuffin à son univers par le méthane et par un personnage capable de manier ce gaz, il se désintéresse assez vite de cette voie, qu'il emprunte dans le premier acte, pour raconter totalement autre chose, et continuer de développer l'arc narratif du personnage de Max Rockatansky. Le premier reproche qui sort de la bouche des détracteurs est probablement "Les gamins, c'est pas possible". Pourtant, c'est la suite logique du chemin de Max, toujours d'une grande cohérence. C'est même de cette manière que le projet a été initié - l'histoire de gamins perdus qui attendent l'adulte qui viendra les sauver - et c'est en s'interrogeant sur la nature de cet adulte que Miller et le scénariste Terry Hayes ont pensé à Mad Max, et ont transformé leur scénario en un chapitre de la saga. Sans surprise, c'est ce qui constitue le coeur du film.
WE NEED A FATHER
Avec l'inclusion de cette seconde civilisation, faite d'enfants, qui doit autant à Peter Pan qu'à Sa Majesté des mouches, et de leur prophétie faites de brics et de brocs (peintures rupestres, vieilles diapos de compagnie aérienne, et mots déformés comme "l'Époque Eclipse"), le récit bifurque à nouveau et de manière franchement audacieuse et stimulante. En 1997, Miller a réalisé un documentaire, 40.000 Years of Dreaming, où il retrace l'Histoire du Cinéma (Australien) en comparant le septième art à la tradition aborigène des histoires liées au monde des rêves, et y évoque également le concept du monomythe de Joseph Campbell. Mad Max 3, c'est déjà tout ça. Pour preuve, ce sublime passage où l'aînée des enfants se met à raconter, avec ses néologismes simplistes et une conjugaison douteuse, leur Histoire et leur prophétie (qu'ils se sont fantasmé?), en tenant devant elle un cadre rectangulaire (format Scope!) au travers du quelle elle montre la frise retraçant les événements qu'elle narre à son peuple. On est en plein métafilm. En 1985, Miller assume à 4600% ce modèle aujourd'hui éculé du monomythe et évoque au sein même de la diégèse le parcours à effectuer pour son anti-héros qui, évidemment, refuse l'appel, avant de devoir s'y plier.
BEYOND "BEYOND THUNDERDOME"
Renaître au contact des enfants est la conclusion naturelle de l'arc de Max. Le trip gay a totalement disparu ici, il ne s'agit plus d'assumer ses déviances, Max doit endosser pour de bon un rôle de père. Par ailleurs, on retrouve Bruce Spence dans un rôle quasi-identique à celui qu'il tenait dans le précédent (un voleur volant) mais c'est un nouveau personnage - une manière de dire que les archétypes se retrouvent d'histoire en histoire - qui est cette fois-ci également un père. La famille, voilà ce qui réside "au-delà du dôme de tonnerre", au-delà de la cage dans laquelle s'est emprisonné Max depuis la mort de sa femme et de leur enfant. Ce parcours étant arrivé à terme, la question qui se pose à présent est de savoir ce que va raconter la nouvelle trilogie envisagée par Miller. Et qui commence avec Mad Max Fury Road.