Cate Blanchett en 5 rôles
Cette année, le 39ème festival du cinéma américain de Deauville a rendu hommage à la comédienne australienne Cate Blanchett. Blanchett illumine le dernier film de Woody Allen, Blue Jasmine, en salles ce mercredi 25 septembre. Gros plan en 5 rôles-clés.
Désormais superstar internationale, Cate Blanchett n'est pourtant pas une actrice hollywoodienne comme les autres. Toujours remarquable, toujours marquante, toutes ses interprétations ont une intensité et une légère étrangeté qui la démarquent de toutes ses collègues. Grande comédienne de théâtre - elle dirige actuellement, avec son mari Andrew Upton, la Sydney Theatre Company -, il faut l'avoir vue en face de soi pour réaliser à quel point cette sorte d'aura que l'on perçoit à l'écran n'est pas un mythe : Cate Blanchett a réellement une lumière intérieure. Si les spectateurs parisiens ont eu la chance de la voir sur scène en 2012 dans la pièce de Botho Strauβ «Grand et Petit», le reste du public doit se contenter de l'admirer sur le grand écran, mais sa carrière au cinéma est heureusement aussi fournie qu'éclectique. Depuis son rôle révélation de la reine Elizabeth dans le film éponyme, jusqu'à son interprétation de Katherine Hepburn dans Aviator de Martin Scorsese, qui lui valut l'Oscar du second rôle, Cate Blanchett est aussi passée par des personnages plus atypiques, par exemple dans le singulier Heaven de Tom Tykwer ou dans Chroniques d'un scandale de Richard Eyre, où elle livre une performance particulièrement inhabituelle. Cate Blanchett peut-elle tout jouer ? Retour sur cinq de ses rôles les plus marquants.
Galadriel dans la trilogie Le Seigneur des Anneaux
«The world has changed, I feel it in the water, I feel it in the earth, I smell it in the air.» C'est par ces mots que s'ouvre la trilogie de Peter Jackson, offrant au spectateur un prologue essentiel pour comprendre le monde de Tolkien et pour s'imprégner, non seulement des enjeux du récit, mais aussi de son atmosphère mythologique et épique. Pour cette tâche difficile, quoi de mieux de la voix profonde de Cate Blanchett ? Avec le rôle de Galadriel, elfe majestueuse qui règne sur la paisible Lothlórien, Cate Blanchett est propulsée dans une production énorme, baignant dans les effets spéciaux, les costumes et tous les artifices nécessaires à la création de l'univers. Pourtant, loin de s'y noyer, la comédienne y semble, comme partout, parfaitement à son aise. Galadriel est un personnage avant tout de pouvoir, mais aussi de lumière (par sa nature elfique) et de charme infini, produisant un envoûtement qui n'a d'égal que l'étrange inquiétude qui l'accompagne. Blanchett incarne tous ces aspects avec un naturel désarmant, au point que l'on se demande qui d'autre aurait pu interpréter ce rôle.
La scène-clé : Galadriel se met elle-même à l'épreuve en se faisant offrir l'anneau de pouvoir par Frodon, se métamorphosant l'espace d'un instant en la reine sombre et terrible qu'elle pourrait devenir, mais résiste à la tentation et redevient elle-même, laissant l'anneau à son porteur. All shall love me and despair.
Meredith Logue dans Le Talentueux Mr Ripley
Le Talentueux Mr Ripley d'Anthony Minghella est une nouvelle adaptation du roman homonyme de Patricia Highsmith et par là-même un remake de Plein Soleil de René Clément. Le personnage de Meredith Logue, qu'incarne Cate Blanchett, n'apparaît dans aucun des deux. Scénaristiquement parlant, cet ajout semble en effet superflu, car Meredith n'est qu'un élément supplémentaire pour embrouiller les jeux et les mensonges de Tom Ripley qui se fait passer pour Dickie Greenleaf. Néanmoins, à la vision du film, on ne peut regretter un seul instant la présence de ce personnage, tant Cate Blanchett y est magnétique. Dans un style rétro délicieux, avec béret, cheveux lisses et rouge à lèvres écarlate, la comédienne insuffle à ce personnage, a priori très simple, une douceur et une mélancolie infinies, mêlées d'une ironie assez mordante (en particulier sur le monde des riches héritiers en villégiature, dont elle fait partie et qu'elle cherche pourtant à fuir). C'est l'un des rares personnages à aimer réellement celui de Matt Damon, sauf qu'à l'inverse de Peter Smith-Kingsley (Jack Davenport), elle ignore, du début à la fin, la véritable identité de celui dont elle est secrètement éprise. Cate Blanchett, dans ce rôle plus que secondaire, réussit à emporter l'attention dans chacune de ses scènes, et fait réellement exister un personnage créé de toutes pièces, dont on a l'impression, par un seul regard de l'actrice, de connaître la vie entière.
La scène-clé : Meredith, qui s'est mise à fréquenter Dickie (en fait, Tom Ripley) à Rome, se retrouve par hasard (en fait, piégée par Tom) à une terrasse de café face à Marge, petite amie du vrai Dickie. Elle croit être ainsi source de discorde dans le couple puisque Dickie a, de notoriété publique, quitté Marge. Meredith, voulant éviter toute confrontation, décide de se retirer, non sans avoir précisé à Marge que Dickie lui reviendra et est toujours amoureux d'elle. La noblesse de Cate Blanchett dans cet embarras et sa délicatesse sont époustouflants, surtout face à la réaction pincée et outrée de Marge, très bien assumée par Gwyneth Paltrow.
Cate / Shelly dans Coffee and Cigarettes
Le problème des films à sketches, c'est que souvent, on n'en retient qu'un ou deux. Pour Coffee and Cigarettes de Jim Jarmush, on n'hésite pas longtemps. Le segment le plus mémorable du film est «Cousins», où Cate Blanchett interprète, dans une scène en champ-contrechamp, deux personnages que tout oppose. La performance ne s'arrête pas là, puisque l'un des deux personnages est tout simplement... l'actrice elle-même. Ainsi, pendant une tournée promotionnelle dans un hôtel de luxe, Cate prend quelques minutes pour voir sa cousine Shelly, aussi brune qu'elle n'est blonde, aussi pauvre qu'elle n'est riche, aussi loseuse qu'elle n'est au sommet de sa carrière ; mais laquelle est la plus oublieuse et la plus égocentrique ? Difficile de savoir dans lequel des deux rôles la comédienne est la plus savoureuse, mais le look rock'n roll de Shelly est plus inhabituel et lui sied à merveille, accentuant sa voix grave et adoptant une gestuelle qu'on ne lui connaît que peu. Pour autant, en face, dans son propre rôle, elle ne cède pas à l'appel de l'auto-caricature et se contente de percher un peu sa voix, et de se laisser aller à quelques minauderies, avec une tendre pointe d'auto-dérision.
Le moment-clé : Shelly reproche à sa cousine d'être inaccessible à cause de sa célébrité, au point de n'avoir pas reçu le CD du groupe de son petit ami, qu'elle lui a envoyé. Avant de réaliser qu'elle ne l'a simplement pas envoyé.
Jane dans La Vie aquatique
Au milieu de l'équipage masculin de Steve Zissou dans le film de Wes Anderson, La Vie aquatique, deux figures féminines brillent comme deux phares : celui, sombre et mystérieux, de l'épouse (Anjelica Huston), et celui, lumineux et fascinant, de la journaliste enceinte interprétée par Cate Blanchett. L'enjeu principal du film se situe entre Steve Zissou (Bill Murray) et son fils (Owen Wilson), mais le personnage de Jane, qui observe et interviewe, est essentiel à l'équilibre du duo. Il n'y a dans ce rôle que très peu de composition, ou de travail émotionnel poussé. Au point qu'on a l'impression très nette qu'il suffit à Cate Blanchett d'être, tout simplement, pour faire exister son personnage. Visage presque lunaire par la blondeur de ses sourcils et un maquillage qui lui fait une sorte de masque blanc autour des yeux, la comédienne incarne cette femme qui est enceinte par accident dont on ne sait pas si elle assume réellement sa grossesse (le père est un homme marié). Coïncidence : Cate Blanchett a découvert, au tout début du tournage alors qu'on lui posait sa prothèse ventrale, qu'elle était réellement enceinte. Est-ce de là que vient cette étrange sensation, quasiment hormonale, qui se dégage de son personnage ?
La scène-clé : la douce Jane se révèle particulièrement incisive dans une interview face à face avec Steve Zissou, le mettant au pied du mur, dans un champ-contrechamp avec, en arrière-plan, un chaton siamois d'un côté, et un orque facétieux de l'autre.
Jasmine dans Blue Jasmine
Cate Blanchett chez Woody Allen. Pourquoi n'y avait-on pas pensé plus tôt ? Le new-yorkais s'amuse ici à faire une grande variation autour d'Un tramway nommé désir, la pièce de Tennessee Williams dans laquelle Cate Blanchett a justement interprété, il y a quelques années, le rôle de Blanche Dubois, équivalent de la Jasmine de Woody. Parfaitement crédible en femme de la haute société grâce à son élégance naturelle, la comédienne s'élance aussi, sans aucune hésitation ni retenue, vers les endroits les plus sombres de son personnage, depuis son mépris pour la vie de sa sœur et pour la médiocrité en général, jusqu'à, bien sûr, ses pires accès de névrose, qui basculent finalement dans la folie. L'actrice ne se ménage pas, ne se protège pas, et donne à son personnage de vrais moments de détresse absolue. Rien de surprenant à cela, car le travail qu'elle a fait sur les planches pour Blanche Dubois est encore là, profondément inscrit sous sa peau. Sa solitude, et sa si belle intransigeance cachée derrière son aveuglement.
La scène-clé : face à ses deux petits neveux médusés, Jasmine raconte ses malheurs comme elle le ferait avec des adultes, avec, peut-être, une pointe de sincérité supplémentaire.
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