Berlinale 2014: le bilan !
Rideau sur la 64e édition de la Berlinale ! Quels ont été les temps forts et les tendances ? Quelles découvertes et quelles surprises ? FilmDeCulte fait le bilan.
Mix d'action et de western chinois, documentaire à suspens, drame argentin expérimental, comédie vengeresse ou comédie horrifique, new new queer cinema, SF vietnamienne, chronique familiale tournée pendant une douzaine d'années: tout cela et bien plus était au programme de la 64e Berlinale. L'image d'un festival à la sélection austère recroquevillée sur ses fictions politiques où le cinéma passe au second plan n'est vraie que pour les spectateurs... qui ne voient pas les films de la Berlinale. Ou pour ceux qui viennent à la Berlinale pour voir le dernier Clooney et des projets américains de seconde zone. Ou encore pour les journalistes qui quittent en masse au bout d'un quart d'heure la projection d'un film aussi bizarre que Historia del miedo (compétition) en jetant l'éponge dès qu'apparaît à l'écran l'ombre d'une narration singulière. A l'opposé, un film comme 71 est applaudi alors qu’il a dû passer sur le billard où on lui a extirpé façon liposuccion toute trace d'ADN de personnalité. Voilà pour la presse "cinéphile" qui adore revoir sans cesse le même film.
Le palmarès remarquable et curieux du jury présidé par le producteur James Schamus est parvenu à retranscrire l'éclectisme de la compétition 2014. L'an passé, il y avait moyen de mettre en valeur des films hors des clichés berlinois, mais le jury de Wong Kar Wai avait préféré laisser une large part à des œuvres déjà ringardes, comme avec le double gros prix pour La Femme du ferrailleur. Cette année, outre 71, parmi les films robots de faux-auteurs, on avait par exemple Inbetween Worlds de Feo Aladag, qui fait comme s'il n'y avait pas déjà eu une dizaine d'années de fictions sur la guerre américaine au Moyen-Orient, ou comme si Kathryn Bigelow n'avait pas existé. On passe sur l'insupportable polar Stratos qui ne semble là que pour son sous-texte politique (on y revient) ou pour l'incroyablement mal torché Aloft qui ne semble être là que... pour quoi déjà ? Le jury a ignoré tous ces films tièdes et froids, et a définitivement choisi le cinéma.
Qu'il s'agisse du superbe film noir de Yinan Diao au mystère entêtant (Black Coal, Thin Ice, qui fait un très bel Ours d'or), du film-monde de Richard Linklater (Boyhood, projet hors normes qui aurait pu lui valoir l'Ours), du drame puissant de l'Allemand Dietrich Brüggemann (Kreuzweg, accueil très chaleureux à Berlin alors qu'on entend d'ici les cris d’orfraie qui l'auraient accompagné à Cannes), du mélo hors du temps du vétéran Yoji Yamada (l'élégant et minimaliste The Little House, qu'il sera aisé de moquer), du splendide retour de Lou Ye (Blind Massage, la proposition la plus impressionnante d'une point de vue formel) ou du nouveau Wes Anderson (The Grand Budapest Hotel, où une grammaire typiquement andersonienne emmène son cinéma ailleurs), Schamus et ses acolytes ont choisi de récompenser un cinéma ambitieux qui va de l'avant. Mille bravos. Et même si nous n'avons pas aimé Aimer, boire et chanter, difficile de dire que le prix Alfred Bauer (remis à un film qui « ouvre de nouvelles perspectives dans l’art cinématographique ») n'était pas mérité pour le nouvel ovni d'Alain Resnais.
Dans notre entretien, Dieter Kosslick avait parlé de son souci de la démocratisation. C'était pour mettre en avant le fait que la Berlinale était aussi un festival auquel le public pouvait se rendre (et il s'y rend en masse). Mais cette démocratisation se retrouve également dans les choix opérés en compétition. Quatre premiers longs métrages se sont glissés dans la catégorie reine, offrant un peu d'imprévu là où la compétition cannoise, certes indéniablement supérieure, manquait parfois de surprise ces dernières années. Par ailleurs, quatre réalisatrices ont pu chasser l'Ours d'or. La Berlinale a évidemment plus de liberté que Cannes dont la compétition ressemble souvent à un combat de boss de fin de niveau, où les places sont plus chères que partout ailleurs (et où le faible nombre de réalisatrices dans l'industrie du cinéma reste un problème au moment de composer une sélection hyper-compétitive). Mais cette diversité berlinoise a participé à rendre la compétition vivante.
On a vu beaucoup d'enfants en vedette des films à la Berlinale. Mais on a surtout beaucoup parlé de pères, qui en ont pris plein la figure. Lorsqu'ils ne sont pas absents et fantômes (Macondo, Jack), ils sont des pères d'un autre âge, des brutes qui ont une idée bien précise de ce qu'être un homme un vrai signifie. Le père lâche et baiseur de La Tercera orilla, le père bougon de The Better Angels, le père largué de Boyhood, le père rustre de Land of Storms... ils étaient partout et ils n'étaient pas beaux à voir. De l'autre côté de l'arbre généalogique, quelques enfants ou ados qui ne correspondent pas aux canons de virilité très "siècle passé" chers aux plus réactionnaires: artiste (Boyhood), effacé (La Tercera orilla), sensible (The Better Angels), voire, horreur des horreurs, homo (The Land of Storms). Ironiquement, l'un des gamins les plus épanouis de la Berlinale se trouvait dans Quick Change (Panorama), élevé par... une transsexuelle.
Quelles nouvelles écritures cinématographiques pour cette Berlinale 2014 ? En attendant de voir quelques premiers films portés par la rumeur (Forma de la Japonaise Ayumi Sakamoto, Ye du Chinois Zhou Hao), FilmDeCulte a pu découvrir de vraies propositions singulières. Historia del miedo de Benjamin Naishtat raconte une menace sans jamais que celle-ci ne soit clairement exposée. En jouant à fond la carte du hors champ, en faisant débuter ses séquences toujours un peu avant ou un peu après que quelque chose n'arrive, Naishtat explore et touche juste. Parmi les jeunes cinéastes, deux autres réalisateurs sont à retenir: le Grec Athanasios Karanikolas (et son drame At Home, Forum) et le Coréen Lee Yong-Seung (et son récit d'apprentissage 10 Minutes, Forum). Pas nécessairement des films révolutionnaires, mais deux grandes réussites qui ouvrent les perspectives de cinématographies (grecques et coréennes) qu'on a vite tendance à caricaturer. Ces films-là ont surpris. Tout comme a surpris l'une des propositions les plus singulières de la Berlinale, qui vient de cinéastes plus chevronnés: l'envoûtant The Galapagos Affair de Daniel Geller et Dayna Goldfine (lire notre entretien), documentaire plus romanesque et mystérieux que bien des fictions. Un pari hybride qui est une des signatures de la Berlinale.
Parmi les tendances, on a pu noter un certain retour de l'Argentine (avec Naishtat donc mais aussi Celina Murga), pourtant sur une pente sérieusement descendante ces dernières années, tandis que le Chili et le Mexique semblaient définitivement avoir pris le leadership en Amérique Latine. Mais c'est la Chine qui se paye la part du lion avec trois réussites extrêmement variées en compétition ou avec des essais réussis en section parallèle (Shadow Days de Zhao Dayong, Forum).
En définitive, pour s'ennuyer à la Berlinale, il fallait vraiment le vouloir ou le faire exprès.
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