Wake in Fright
John Grant, un jeune instituteur, fait escale dans une petite ville minière de Bundayabba avant de partir en vacances à Sydney. Le soir, il joue son argent et se soûle. Ce qui devait être l'affaire d'une nuit s'étend sur plusieurs jours...
LE GRAND, LE TERRIBLE OZ
Il a fallu attendre longtemps pour retrouver la piste de Wake In Fright. Présenté en compétition officielle à Cannes en 1979 (la même année que Walkabaout, tiens tiens), le film avait marqué les mémoires avant de voir ses copies tout d’abord censurées pour cause de nudité (on se demande bien laquelle), puis éparpillées au point de disparaître. Pour l’anecdote, lors d’une interview donnée il y a déjà longtemps, Isabelle Huppert s’était elle-même plainte de la rareté de ce film qui l’avait marquée et avait exprimé son désir de le revoir. Son souhait, le nôtre et celui des bienheureux qui avaient découvert l’excellent roman éponyme de Kenneth Cook, sont aujourd’hui exaucés. Cook est peut-être plus célèbre pour ses hilarants recueils de nouvelles animalières, mais Wake in Fright n’est pas une partie de franche rigolade. L’humour y est particulièrement grinçant et paranoïaque. Et comme ce protagoniste inapte, comme les copies du film lui-même, il y a de quoi craindre de se perdre dans cet Outback, sans espoir de retour.
En 1975. Ted Kotcheff n’était pas encore le célèbre réalisateur de Rambo, mais le concept d’Ozploitation étaient en train de faire le tour du monde. Le terme désigne une famille de films australiens, souvent à petits budgets et proche de la série B, mettant en avant la sauvagerie primitive de la nature australienne, dans les paysages violents comme dans les attitudes frustes de ses habitants. Les Voitures qui ont mangé Paris, Long Weekend, Razorback ou encore bien sûr la trilogie Mad Max… En plongeant souvent un homme « civilisé » en pleine bestialité, ces films-là effrayaient le spectateur occidental à peu de frais, mais ils allaient plus loin que cela. La terreur paranoïaque y prend des accents métaphysiques. Le désert infini de l’Outback, cœur mort d’un pays grand comme un continent, fonctionne autant comme un no man’s land sans merci que comme le symbole de l’inconscient brutal qui sommeille en chacun.
Si certains de ces film ont viré au surnaturel où à l’horreur, Wake in Fright ne suit pas cette piste. Le parcours de ce jeune professeur prend néanmoins rapidement les traits d’un calvaire asphyxiant. Mais la perversité du roman et du film est de faire de son protagoniste non pas la victime d’une méfiance face aux étrangers, mais au contraire d’une hospitalité tellement disproportionnée et impérieuse qu’elle en devient angoissante. Comme un home invasion inversé, où le désert n’offre aucune autre échappatoire que la folie ou l’alcool en quantité industrielle (le plus souvent les deux). Coucher en groupe avec la fille de son pote, ok. Massacrer à mains nues des dizaines de kangourous (scènes impressionnantes ou les bêtes ne sont pas fauchées pour de faux), ok. Mais malheur à celui qui refuse une bière. Cela vous fait sourire ? Avec nulle part ou fuir, vous devriez plutôt avoir froid dans le dos.