Tokyo Godfathers
Japon, 2003
De Satoshi Kon
Scénario : Satoshi Kon, Keiko Nobumoto
Avec : Ahn Sang-Hoon
Durée : 1h32
Sortie : 01/01/2003
Noël approche dans les rues illuminées de Tokyo. Un soir, trois clochards trouvent parmi les sacs poubelle un bébé abandonné.
TOKYO EST A NOUS
Après seulement trois films, Satoshi Kon a construit son œuvre, charmé les critiques, rameuté ses fans. Le réalisateur tranche avec les figures purement japonaises de ses deux premiers longs-métrages (une chanteuse de j-pop dans Perfect Blue et une grande actrice du cinéma de l’archipel dans Millennium Actress) pour un résultat cette fois plus cosmopolite. Si Satoshi Kon situe son récit dans la capitale nippone, il n’oublie pas de saupoudrer largement la mégalopole d’un goût de vieille toile américaine. Ces trois parrains éponymes tout d’abord, débarqués d’un western de John Ford (Three Godfathers, 1948) où trois cow-boys traversaient le désert pour mettre en sécurité le bébé d’une femme mourante. Les aménagements de Kon tiennent en de petits détails miettes: Tokyo comme diagonale opposée de la pampa inhabitée, la nuit scintillante contre le soleil de plomb, et un travesti à la place de John Wayne. En place pour la marche triomphale au son des instruments désaccordés.
IT’S A WONDERFUL LIFE
Les trois trublions qui arpentent la capitale (dans l’ordre une gamine gouailleuse, un vieil ivrogne et ledit travesti) s’agitent comme de beaux diables, et ce dans une revigorante euphorie, mais Tokyo Godfathers reste une œuvre qui s’éloigne assez radicalement de la nervosité débridée des deux précédents opus du cinéaste. Aux narrations alambiquées et ambiances proches de l’hystérie succède un calme quasi blanc, comme la neige adoucit les durs contours des bâtisses de béton tokyoïtes. Le fil narratif est linéaire et suit les traces de pas de ces anti-héros, loin des lumières aveuglantes et spots multicolores dirigés jadis vers les stars adulées. Ici on se penche plutôt vers l’homme de la rue avant de chanter que la vie est belle – ainsi plus que Ford, c’est le fantôme bienfaisant de Frank Capra qui semble habiter les rues de Tokyo pour en repeindre les façades plongées dans la nuit. Satoshi Kon orchestre son conte de Noël avec des qualités d’humanisme dont on ne le soupçonnait pas jusqu’alors, dons qui se révèlent être le plus beau des joyaux de ce troisième film.
HANA BI
La ville s’est drapée de noir, mais Tokyo Godfathers est probablement le film le plus lumineux de son auteur. Nouvelle marche franchie vers l’excellence après les hésitations formelles de Perfect Blue et les pièges narratifs de Millennium Actress, son troisième long-métrage est le plus abouti visuellement, le plus mûr et le plus solide d’un point de vue scénaristique. Il compense ainsi les manques techniques de l’un tout en effaçant les quelques errances de l’autre. A l’image des classiques de la comédie américaine, Kon tire des situations tragiques (enfant abandonné, personnages sans logis ou violence urbaine) un décalage comique, l’énergie du désespoir trempée dans l’acier de l’optimisme, juxtaposant de manière brute la dureté d’un passage à tabac dans un square aux bouffonneries de ses figures bibliques et déjantées. Hymne à la joie revisité, Tokyo Godfathers est le chef d’œuvre miracle de son auteur.