Qu'est-il arrivé à Baby Jane?
What Ever Happened to Baby Jane?
États-Unis, 2009
De Robert Aldrich
Avec : Joan Crawford, Bette Davis
Durée : 2h09
Jane et Blanche Hudson sont deux sœurs. Jane Hudson, est une véritable enfant vedette dans les années 1920, grâce à une chanson reprise par toute l’Amérique. Mais passée l’adolescence, le public l’a complètement oubliée. Et c'est sa sœur, Blanche, qui devient célèbre à son tour, en devenant une actrice de cinéma renommée et appréciée du public. Un terrible accident de voiture met cependant fin à sa carrière, la rendant complètement dépendante de sa sœur déchue. Cette situation sera l'occasion pour Jane de faire payer à sa sœur, dévoilant au fil du temps toute son aigreur, sa jalousie, et son effrayante folie...
HOLD ME THRILL ME KISS ME KILL ME
Des pleurs de marmot et une tête de clown grimaçante laissant elle aussi échapper une larme: Qu'est-il arrivé à Baby Jane? contient tout son drama grotesque dans ses trois premiers plans. Sur scène, on découvre une Shirley Temple appliquée, anônnant la mélodie crispante d'"I've Written a Letter to Daddy", blond pantin dupliqué en 36 poupées en biscuit, tandis qu'en coulisses, la soeur lésée, forcément brune, ne peut contempler que sa mise à l'écart. Les années passent, les deux suivent leur bonhomme de chemin hollywoodien, jusqu'au drame. A l'écran, c'est la Crawford et la Davis qui s'affrontent. Quelques décennies de carrière, deux monuments du mythe hollywoodien, un choc des Titans qui se croisent pour la première fois sur le plateau de tournage du même film. Baby Jane raconte aussi leur histoire, celle de deux femmes qui se sont s'imposées dans le royaume machiste des studios hollywoodiens avant d'en être rejetées, mais qui savent se servir de gants de boxe. Baby Jane parle évidemment de leur rivalité, une haine cordiale née des années auparavant. Première dans les starting-blocks, Joan Crawford est une des seules stars rescapées de l'âge du muet. Elle cotoie quelques une des grandes vedettes de la MGM lorsque Davis commence à se faire remarquer à l'écran. Ni l'une, ni l'autre ne sont conventionnelles. Crawford impose un personnage, se façonne un look (sourcils dessinés, épaulettes de l'espace), rayonne en bitch ou en victime. Davis, dont le physique est aux antipodes des doux visages adorés par les boss des studios, jouera la transformation, la composition, actrice acharnée dont l'envie déborde à l'écran. Lorsque la MGM, des années plus tard, remercie Miss Crawford, celle-ci tourne Le Roman de Mildred Pierce pour la Warner. Un scénario d'abord refusé par la reine de la maison, Bette Davis. Cette dernière n'est d'ailleurs pas dupe des entourloupes de Crawford qui tente de se la mettre dans la poche à coups de chocolats et de jolies roses. Mais Crawford gagne l'Oscar et la bisbille est née, renforcée par leur voisinage forcé dans le même studio: il ne peut y avoir qu'une souveraine.
Qu'est-il arrivé à Baby Jane? et son grand ring de catch est donc le terrain rêvé de toutes les anecdotes vachardes. Les coups que Bette Davis donne à Joan Crawford sont distribués avec tant de zèle que cette dernière doit être rafistolée sur le plateau. Au jeu de la plus maline, Crawford n'a pas dit son dernier mot, glissant des briques dans ses poches pour les scènes où Davis doit, courbée, la porter et la trainer. Résultat: une hernie et la balle au centre. La discorde s'étend loin des feux des projecteurs, jusque la moindre des broutilles. Mariée à un ponte de Pepsi, Joan Crawford tente de placer son produit gazeux dès qu'elle le peut, si possible à l'image. Davis, elle, fait livrer des distributeurs Coca Cola sur le plateau. Pendant ce temps, Bette ne sait pas qu'elle porte une vieille perruque utilisée sur un ancien tournage pour la tête... de Joan. Le 8 avril 1963, lors de la cérémonie des Oscars, Bette Davis attend fébrilement qu'on ouvre l'enveloppe désignant la meilleure actrice. Excitation renforcée par l'absence, parmi les actrices retenues, de Joan Crawford. Cette dernière s'est néanmoins proposée pour récupérer en son nom l'Oscar d'Anne Bancroft, absente, si celle-ci gagne. Lorsque Bancroft est annoncée, Crawford, triomphante, passe à côté de Davis, dépitée - "excuse-moi, j'ai un Oscar à recevoir". Mais le chef d'oeuvre de Robert Aldrich n'est pas qu'un joujou à ragots, et constitue également un sommet cinématographique dans les carrières respectives des deux comédiennes.
Un rouleau compresseur. Plus habitué ces derniers temps à l'atmosphère virile des westerns et des films de guerre, Robert Aldrich shoote ses comédiennes dans un affrontement psychologique aussi tendu qu'un thriller, tirant son mélodrame sur les terres du film d'horreur (les scènes finales dans la maison gothique où Jane, au chevet de sa soeur, est éclairée comme un fantôme). Baby Jane joue la Norman Bates en jupon, toquée en robe d'enfant, coeur sur la pommette et Mytosil étalé sur la figure, tandis que Blanche est une sorte de Madame Bates, maman très chère comme momifiée dans son fauteuil roulant, tandis qu'une image de sa splendeur passée trône au-dessus de son lit. Une dizaine d'années plus tôt, Gloria Swanson, possédée, réclamait chez Billy Wilder son gros plan à Mr De Mille. Qu'est-il arrivé à Baby Jane? marche un peu comme un Sunset Boulevard dément et grand-guignol sur les mythes hollywoodiens évanouis, dans ce long métrage où défilent des images d'anciens films de Bette Davis ou de Joan Crawford, puis vient le déclin tragique - qu'est-il arrivé à la poupée blonde pour qu'elle se transforme en monstre travelo? Quand l'une s'éteint, abandonnée sur la plage, l'autre entame une danse macabre, enfermée dans son cercle, tandis que la foule ébaubie observe une créature d'un autre temps. Le film, bien que hué à Cannes, est un triomphe public. Aldrich prépare la suite, davantage ancrée dans la série B, Chut, chut... chère Charlotte, et compte bien réunir à nouveau ses deux stars. Las, Crawford, malade, déclarera forfait, laissant sa place à Olivia de Havilland. Qu'est-il arrivé à Baby Jane? restera la seule confrontation entre les deux légendes, temple enflammé au culte immortel.