New York, New York

New York, New York
Envoyer à un ami Imprimer la page Accéder au forum Notez ce film
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York
  • New York, New York

New York, 1945, Johnny (saxophoniste) et Francine (chanteuse de swing) célèbrent la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec leurs amis. L’histoire de deux êtres à la recherche de l’accord majeur, tiraillés entre leur art et leur amour, d’auditions brillantes en scènes de ménage violentes.

LE COTE OBSCUR DE LA FORCE

Juin 1977, le nouveau film des prodiges de Taxi Driver, accompagnés par l’étoile de Cabaret, débarque sur tous les écrans américains. Le fracas est immense. Face à la machine Star Wars, en route depuis un mois, cet hommage aux monuments musicaux d’après guerre fait figure de relique. Le nom de Marcia Lucas au montage ne change rien à la donne, bien au contraire, il creuse l’écart. Perplexe devant un tel objet, qui se vautre avec délectation dans l’artificialité des années 40 tout en se moquant de ses happy ends, le public boude les salles. A l’heure où les héros sont des princesses, des vauriens, des Jedi, des cyber-Laurel et Hardy prêts à sauver un système planétaire tout entier, qui peut bien se soucier des tiraillements existentiels de deux communs des mortels dont le seul plaisir est d’égrainer leurs notes de ballroom dans des bars enfumés? Le film ne restera à l’affiche que deux semaines. 1981, le succès de Raging Bull et la notoriété de la chanson New York, New York (version de Frank Sinatra) aidant, Martin Scorsese ressort son vilain petit canard, restauré et rallongé d’une quinzaine de minutes. Le public, curieux, se précipite. New York, New York reprend vie. Les défauts soulignés par la critique trois ans plus tôt deviennent l’âme du film. Les happy ends ne sont plus à la mode - même chez Lucas qui a signé l’épisode le plus sombre de sa saga un an auparavant – les anti-héros commencent à faire leur apparition. D’une décennie à l’autre la donne a changé.

WHAT ARE YOUR CHARMS FOR?

En achetant le scénario de New York, New York Robert Chartoff et Irwin Winkler s’imaginaient produire une comédie musicale tout ce qu’il y a de plus classique. Dès l’arrivée de Scorsese, le projet se transforme, se modèle. Le réalisateur veut en faire un réel hommage aux productions des années 40; c’est dans une approche historique très précise et minutieuse qu’il se lance alors. Il installe son tournage dans les vieux studios de la MGM et obtient Liza Minnelli (qui, jouant de son carnet d’adresses, ramène dans ses bagages le compositeur John Kander et la coiffeuse Sydney Guilaroff, sans oublier son père qui visitera le plateau à quelques reprises) pour interpréter le rôle de Francine. De plus, il reconstruit de toutes pièces une esthétique Technicolor (à défaut d’utiliser la réelle pellicule épuisée à l’époque) grâce aux costumes, maquillages et éclairages finement étudiés. Il apportera la même minutie dans la composition des plans, les cadrages et les mouvements de caméra, laissant de côté les gros plans à la mode pour se focaliser plutôt sur des plans américains et des plans séquences. L’hommage se dessine également dans les thèmes abordés et certaines scènes empruntées à des monuments du genre. On retrouve ainsi la longue séquence d’exposition qui révèle d’emblée les caractères des personnages et les enjeux qui vont se nouer entre eux. Ici, des héros typiques, une chanteuse et un musicien devant choisir entre leur carrière et leur relation, une femme radieuse amoureuse d’un homme abusif, deux approches du couple complémentaires que l’on pouvait déjà explorer entre autres dans Une étoile est née.

A travers ce travail esthétique finement documenté, baigné dans du bebop et du swing, c’est toute l’artificialité et la beauté des grandes productions d’après-guerre que Martin Scorsese se plaît à reconstruire. Mais plus qu’une simple transposition du genre, son hommage se veut être avant tout une réflexion, un regard critique sur cette époque bénie du vieil Hollywood. A la plastique factice de l’ensemble, il oppose un jeu très naturaliste des acteurs, issu de séquences d’improvisation. Il crée ainsi une nouvelle façon de mettre en mouvement ces gens du spectacle souvent magnifiés, d’examiner leurs émotions, leurs sentiments, souvent trop lisses et manichéens. Scorsese détourne également la fonction de la musique. Là où généralement elle ne prend le dessus sur l’action et les personnages que dans les scènes musicales, la musique est ici constamment au premier plan, rythmant la vie des protagonistes, régulant l’évolution de leur relation. Elle imprègne le film de part en part, jusque dans sa forme, orchestrant les mouvements de caméra, la durée des plans. Cette réflexion sur le genre se retrouve également dans la seule scène de comédie musicale du film, intitulée ironiquement Happy Endings et l’épilogue qui s’en suit. Hommage aux scènes à rallonge que l’on trouvait en fin de métrage de films comme Un Américain à Paris, Red Shoes, Chantons sous la pluie, la séquence est en réalité une satyre des fameux happy ends qui clôturaient généralement chacune de ces œuvres. Le tout se trouve souligné par le plan mélancolique (emprunté à la séquence Girl hunt de Tous en scène) de Johnny attendant en vain Francine appuyé à un lampadaire.

JUST YOU, JUST ME

Au cœur de cet hommage critique, le couple Francine / Johnny. Sur fond d’armistice, une nouvelle bataille se prépare. Elle, chanteuse au répertoire traditionnel, impeccable, sans fausse note. Lui, saxophoniste, pro de l’impro, du nouveau son et du désordre. Deux conceptions différentes de la musique qui s’entrechoquent, précipitant d’emblée ce couple naissant à sa perte. Les concessions et les preuves d’amour s’amenuisent, les coups bas de la part de Johnny et les prises d’indépendance de Francine se multiplient. Le conflit inévitable se nourrit de leurs ambitions respectives et se noue autour de leurs deux collaborations: leur fils et la chanson New York, New York. Voulant sans cesse prendre le contrôle l’un sur l’autre, laissant une certaine jalousie les consumer, Francine et Johnny s’embarquent dans une compétition qui trouvera son point de non retour dans le choix du nom de leur enfant. Leur créativité a gangrené leur amour; entre ces deux êtres, un happy end ne sera jamais possible. Martin Scorsese joue sur la trame classique des comédies musicales et la fait éclater en mille morceaux dès la première demi-heure du film. Cet homme et cette femme que tout semble opposer n’attendront pas la fin du métrage pour consommer leur amour. Scorsese brûle les étapes, étale la romance en petites touches dès les premières scènes pour mieux la déconstruire par la suite. A la manière de Francine en début de film, le réalisateur pose ainsi la question de la place de chacun des éléments de cet accord majeur auquel croit Johnny: amour, musique, argent.

IF I CAN MAKE IT THERE, I’LL MAKE IT ANYWHERE

Catalyseur de l’ensemble du film, la chanson éponyme: New York, New York. Tel un kaléidoscope elle révèle, selon l’angle d’approche que l’on pose sur elle, une nouvelle facette de cette œuvre. La structure double du titre, tout d’abord, reflète toutes les dualités présentes dans le film: hommage / critique, artificialité maîtrisée / improvisations propices aux faux raccords, passion amoureuse / travail passionné, Francine / Johnny. La mélodie gémissante et chaotique et les paroles enthousiastes finement travaillées de la chanson illustrent, quant à elles, les caractères de ses deux compositeurs de fiction. Alors que Johnny laisse vagabonder sa créativité le long de notes égrenées au piano, Francine tente de la fixer en collant sur chaque mesure les mots que lui évoque leur relation. Enfin, le thème se place comme un clin d’œil au genre que Scorsese dissèque ici. Si le titre rappelle bien sur la chanson que chante Frank Sinatra dans Beau fixe sur New York, c’est principalement dans son interprétation que l’hommage réside. Derrière la partition, nul autre que John Kander (compositeur, entre autres, avec Fred Ebb, de Cabaret et Chicago) pour accompagner Liza Minnelli, qui propose une prestation endiablée devenue culte. Un morceau monument qui puise toute sa force dans le caractère ironique de sa renommée. Oublié aux Oscars en 1978, il sera remis au goût du jour par Frank Sinatra en 1979, et permettra la renaissance du film en 1981. Autre ironie, alors que l’œuvre de Martin Scorsese n’est pas une comédie musicale mais une exploration de ses rouages, le morceau est devenu l’emblème de ce genre finalement mal connu.

par Julie Anterrieu

Commentaires

Partenaires