Maman très chère
Mommie Dearest
États-Unis, 1981
De Frank Perry
Scénario : Christina Crawford, Robert Getchell
Avec : Rutyana Alda, Faye Dunaway, Steve Forrest, Mara Hobel, Diana Scarwid
Photo : Paul Lohmann
Durée : 2h09
Joan Crawford, sa vie, son œuvre: gloire et décadence d’une reine d’Hollywood, entre détergents, chapeaux-cheveux, cintres en fer et combats de catch.
MAMAN RACONTE MOI UNE HISTOIRE
Maman très chère est probablement le meilleur plus mauvais film du monde. Expérience métaphysique, paradigme du mauvais goût ou cirque improbable, il est devenu dès sa sortie l’antithèse absolue de son ambition. A l’origine de ce foirage intégral on retrouve Christine Crawford, fille aigrie de la divine Joan, qui relate dans un livre écrit après la mort de celle-ci sa vie d’héritière humiliée, mal-aimée, et qui n’a pu que subir les désordres psychiques de sa star de génitrice. Le projet est monté à partir de ce matériau plus qu’amer par la Paramount (pour qui Joan Crawford n’a jamais tourné) comme une revanche qui dévoile les noirs secrets de l’ancienne reine d’Hollywood. Mais le regard plein de rancœur fait tourner le lait et ressemble au final au train fantôme des souvenirs pleins de haine profonde. De son vivant, Crawford avait proclamé que seule Faye Dunaway, autre belle plante volcanique et hiératique, serait capable de retranscrire sa vie. Lorsque le projet échoit dans les mains de cette dernière, elle met un point d’honneur à ôter le masque de l’histoire officielle et à révéler au monde le vrai visage de l’Antéchrist. Mais l’enfer est pavé des meilleures intentions: entre les producteurs distraits et perdus, un faiseur miteux derrière la caméra (Frank Perry), un casting stressé à en perdre ses dents, la baraque s’écroule sur elle-même en un salmigondis involontairement rigolard.
WHAT EVER HAPPENED TO THIS MOVIE?
Vaste foutoir irréfléchi au possible, Maman très chère trône au royaume du "so bad it’s so good". La grande Faye d’abord: poussant la volonté d’être la plus authentique possible, l’actrice se brûle vive dans la démesure. Son jeu fait passer Nina Hagen pour une interprète de théâtre kabuki à force de grimaces inhumaines, de mimiques XXL et de hurlements à faire se défriser un caniche. Toujours pour imiter l’idole, des litres de Dulux Valentine aux coloris divers lui recouvrent le visage comme les gribouillis diaboliques dont se grimait Joan Crawford pour se croire montrable au monde. Dans la très fameuse scène des "wire hangers" - l’actrice avait développé une phobie des cintres en fer qui lui rappelaient son enfance modeste, et sa fille avait le malheur d’en mettre dans son placard (sic) - ce sont pêle-mêle Evil Dead et L’Exorciste qui sont convoqués, jusqu’au passage "on s’asperge hystériquement de farine dans la salle de bains". La moisson de tulipes à la hache ("Tiiiina, bring me the aaaxe!!!!") en pleine nuit qui ressemble à un shabbat de déments participe aussi à la légende. Mais attention, il faut hurler classe, et bien habillée. Toute une garde robe dessinée par un styliste aveugle ou taquin donne donc la mesure à Faye quand elle barrit et nous viole le cerveau.
TOUT LE MONDE SE FAIT DES CHEVEUX
Citons pour l’exemple les magnifiques chapeaux-cheveux, sortes de perruques hypertrophiées sous lesquelles pourrait se cacher le dernier dodo ou Ben Laden, et qui rendent inutiles les oreillers. On peut y ajouter une toque grande comme un ours ou des rubans ridicules. Ça impressionne forcément plus quand on veut faire sa diva ou juste latter sa fille et la jeter par terre en hululant comme une chouette. Et Christina justement, ce nœud gordien de l’affaire? Petite, elle est jouée par une sorte de Dakota Fanning atteinte de progeria, son faciès de mémé à peine cachée par la perruque (encore une) de travers. Ce couple improbable traverse et modèle le film sur un mode ineffable de fausseté et de grotesque. Le glas en est sonné et re-sonné, la catastrophe inévitable. Pendant sa première au prestigieux Grauman’s Chinese Theater en 1981, les petits rires gênés se muent vite en cascades jouissives et le public se renverse de rire. Le cauchemar est total. Et le demi-succès au box office, car le film rapporte cinq fois sa mise, ne peut remplacer ni l’humiliation subie par Faye Dunaway qui renie très vite toute l’affaire - Maman très chère lui plantera sa carrière de longues années -, ni les neuf nominations aux Razzies, dont cinq victoires. Aujourd’hui, avec son statut de quasi Rocky Horror Picture Show et des rituels équivalents comme les masses de fans en nuisette de satin armés de cintres qui hantent les projections récurrentes du film dans les salles ad hoc, celui-ci appartient définitivement à la postérité du nanar.