L'Inconnu
Unknown (The)
États-Unis, 1927
De Tod Browning
Scénario : Waldemar Young
Avec : Lon Chaney, Joan Crawford
Photo : Merritt B. Gerstad
Durée : 54m
Un lanceur de couteaux travaille dans un cirque sous le nom de scène de l'Homme sans bras. Des bras que l’homme a toujours, mais qu’il dissimule pour le spectacle...
PAS DE BRAS, PAS DE CHOCOLAT
Cinq ans avant de marquer l’Histoire du cinéma de genre (et du cinéma tout court) avec sa Monstrueuse Parade, Tod Browning avait déjà planté sa caméra sous d’inquiétants chapiteaux avec L’Inconnu, film court où un cirque ambulant sert de décor à un suspens macabre. Au cœur du film se trouve déjà la question de la monstruosité humaine, cette fois sous les traits d’Alonzo, un lanceur de couteaux amputés de deux bras, amoureux de son assistante à la phobie des plus étranges : le peur des mains des hommes! Mais là encore, la monstruosité n’est pas forcément celle qu’on croit, et c’est lorsque la malformation physique d’Alonzo s’avère être un leurre que se révèle en parallèle sa véritable nature criminelle. La filiation avec Freaks se poursuit également dans le ton employé par le film, qui mélange déjà récit fantastique et romance. La toute première scène de L'Inconnu à ce titre éloquente : le film débute directement sur la piste, avec justement le numéro d’Alonzo où chaque couteau lancé vient déshabiller sa jeune assistante posée sur la cible.
Par la suite, tout le scénario se bâtit à cette image sur un double suspens, à la fois sentimental (parviendra-t-il à conquérir son cœur ?) et criminel (jusqu’où ira-t-il pour s’approcher d’elle ?). Cette double angoisse se cristallise justement autour de Nanon, ce personnage féminin à la présence aussi érotique que décalée. Le coté grotesque de sa phobie, à la fois risible et dérangeante, résume presque à elle seule l'ambiance gothique générale du film et donne beaucoup d'épaisseur au personnage. D'ailleurs, la toute jeune Joan Crawford (dont la carrière se terminera 40 ans plus tard à nouveau par des films fantastiques) déclare alors à la fin du tournage « Ce n’est qu’en travaillant avec Lon Chaney que j’ai enfin appris la différence entre rester plantée devant la caméra et être actrice ». La performance de ce dernier en faux-estropié mais vrai-ordure est en effet l’une de nombreuses qualités du film. Trois ans avant, il avait déjà crevé l’écran en clown de malheur lâché parmi les fauves dans Larmes de clown, où la piste de cirque était déjà le cadre d’une renaissance et d’une cruelle mise à mort.