Vincent Gallo, chansons du mal-aime

Vincent Gallo, chansons du mal-aime

De Vincent Gallo, le dandy excentrique, on connaît surtout les déclarations tonitruantes, gonflées d’ironie et de convictions fielleuses. Recluse dans des sphères moroses, sa tanière musicale est à mille lieues de ces mascarades médiatiques. Qui aurait cru Gallo capable de chansons aussi douces et inoffensives qu’un nuage de lait? A l’écoute de When sa première profession de foi et de ses poussins sagement alignés (bandes originales en tête), le persifleur disparaît derrière le guitariste appliqué, armé de ses enceintes vintage. Le vrai Vincent Gallo se cache peut-être là. Soudain, les rafales d’aigreur ne donnent à entendre que les murmures d’un petit garçon qui, un beau matin, s’est décidé à aimer.

C’EST QUAND LE BONHEUR?

Les pochettes de Vincent Gallo racontent à elles seules une histoire. Fiancée griffonnée, lapin mignon, photos jaunies, légèrement froissées… La mise en page, écolière et spartiate, réfléchit un monde désuet, aussi accueillant qu’inquiétant. L’orchestre frémissant de Gallo appelle à l’aide les mêmes compagnons d’infortune: Good Bye Sadness, Hello Death, Lonely Boy, No More Papa Mama, Glad To Be Unhappy… Il faut avoir le cœur bien accroché pour abandonner une oreille dans un attrape-névroses intimidant – mais délicatement ourdi. Compilation de quatre bandes originales, Recordings of Music for Film édité chez Warp pose le décor: capharnaüm glaçant, charivari de guitares écartelant des notes orphelines. Pipelette invétérée, Vincent Gallo excelle étonnamment dans l’art du dénuement. La maison ne cautionne ni la rime ni la respiration de trop: when you come near to me / I go away / what is clear for me / I go away / what is not here for me / I go away (extrait de When). Le musicien se veut aussi illettré que le réalisateur est volubile. Les contradictions du seul maître à bord en disent long sur la genèse des deux longs métrages, Buffalo ‘66 et Brown Bunny. Le livret de Recordings… signé Gallo se fend pourtant d’un historique détaillé du cheminement créatif, de ses souvenirs au sein de Gray, groupe fondé en 1979 (avec Jean-Michel Basquiat) aux démêlés financiers avec Lion’s Gate Films.

ALLONS VOIR SI LA ROSE

La sobriété toute sophistiquée de When a servi de point d’ancrage à Brown Bunny. Une autoroute zébrée d’un arc-en-ciel, un lapin chipant la vedette à une mannequine en photo et déjà, un amour blessé. Gallo materne sa "sweetie pie" prête à risquer un couple fluet (and when you think / of getting high / I’ll think of nice things / to make you smile / ‘cause when you drink / it makes me cry, extrait de Apple Girl). Endeuillées par les mêmes incertitudes, les retrouvailles tardives entre Bud Clay et Daisy illustrent presque mot pour mot la chanson. The Way It Is composé au début des années 80 pour le long métrage d’Eric Mitchell, évoque en sourdine des Brown Daisies, ramasse les cendres d’une amitié fuyante (Fishing for Some Friends). Downtown ‘81 s’enquiert d’un Me and Her. Les spectres féminins n’en finissent plus de hanter des veillées maussades (Her Smell Theme, The Girl of Her Dreams, A Picture of Her). Chan Marshall (Cat Power) lui avait dédié une chanson, Vincent Gallo retourne le clin d’œil à une capricieuse héritière (I Wrote This For The Girl Paris Hilton et ses accords onctueux). Blondes consolatrices ou méchantes conspiratrices, les filles piétinent les rêves de bonheur de Billy Brown, de Bud Clay et de Vincent Gallo, affichant leur solitude comme un étendard: Yes, I’m lonely.

SAFE FROM HARM

Control freak accompli, guettant l’intonation exacte, Vincent Gallo cultive des joies simples. Frappé de collectionnite aiguë, l’homme écume les conventions, les marchés aux puces, le moindre vide-grenier à la recherche du manuel et du microphone perdu. Son studio d’enregistrement est un musée dédié au dieu Gibson. Les lourdes étagères témoignent de ces poussées de fièvre acheteuse. "Je pense qu’une grande part de mon fanatisme pour la collection et de mon obsession pour les choses venait de mon angoisse de me retrouver en tête-à-tête avec moi-même" (extrait du livret de Recordings…). Pour les media, la folie des grandeurs ne semble concerner que Gallo réalisateur. Gallo musicien, entité plus discrète, est relativement épargné. Quoi de plus ordinaire qu’un chanteur s’exprimant à la première personne, sur des sentiments qui lui sont intimes? Un artiste mijotant seul son album, on parlerait d’intégrité. Chez Gallo, les deux disciplines relèvent d’une même impulsion. Un "envers et contre tous" résigné, pour mieux ausculter cette énergie malade, minée par une continuelle carence affective. Peu porté sur la lecture, l’homme ne se sent apte à parler que d’une seule expérience, la sienne. Le fantasme de Vincent Gallo est une page blanche, une plaine sauvage à laquelle l’humain n’aurait plus accès. Quelques grésillements, une odeur de bois humide, une muse en chaussons, et une dernière prière en guise d’adieu: "we’re like dreamers / in nice colors / childlike dreamers / underwater".

par Danielle Chou

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DISCOGRAPHIE

Pêle-mêle:

- Album classique de chevet: Bach, La Passion selon Saint Mathieu

- Premier album acheté: The Beatles, Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band

- Groupes de prédilection: Boards of Canada, Aphex Twin, Autechre

Compositions originales:

2002 Recordings of Music for Film (compilation)

2001 When

1998 Buffalo ’66

1986 The Gun Lover

1984 The Way it Is

1981 Downtown 81

1980 If You Feel Froggy, Jump

Formations diverses:

1996-98 Bunny (avec Lukas Haas)

1983 Bohack

1981 Trouble Deuce (avec DJ High Priest)

1979-80 The Nonsexuals

1979-80 Gray (avec Jean-Michel Basquiat)

1978 More

1978 I’ll Wear You

1976 The Plastics

1975-1982 The Good

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