Les Révélations de Diane Arbus
Profession de foi ou enquête sur un monde invisible, l’œuvre photographique de Diane Arbus a laissé sa singulière empreinte au cours du XXe siècle. Alors qu’une biographie imaginaire d’Arbus s’invite en salles, retour sur le parcours d’une artiste habillée de nombreux mystères.
REVELATIONS
En 2004 est lancée au Metropolitan Museum de New York une colossale rétrospective des photographies de Diane Arbus intitulée Revelations, exposition qui a ensuite sillonné les Etats-Unis puis le reste du monde (mais pas la France). Celle-ci retrace le travail d’Arbus que rien ne prédestinait à autant d’honneur et de lumières. La jeune Diane Nemerov naît en 1923 dans l’ombre d’un grand frère poète, puis sert d’assistante et styliste pour son époux, photographe de mode. Le milieu des années 50 sonne l’heure de l’émancipation. "Prendre une photo, c’est être sur le point de se convertir à quelque chose" - Arbus révélée réalise portrait sur portrait, souvent marquée par un sentiment d’inquiétante étrangeté. Après les gravures de mode de son mari (dont elle se sépare en 1959), Diane traverse le miroir pour se perdre en ses vertigineux reflets. La photographe démasque ses sujets, drape de bizarrerie le visage d’une vieille New Yorkaise, l’étreinte d’un jeune couple à Central Park, ou les décorations d’un sapin de Noël, dans des situations n’ayant rien d’excentrique mais posant cette question d’identité qui intéressera Arbus tout au long de son travail. A l’inverse, un large pan de son œuvre est consacrée aux travestis, artistes de cirque, prostituées, handicapés mentaux ou simples nudistes, toute une faune de freaks dont la curiosité innée prend un autre éclairage, démystifiant l’énigme tout en préservant leur singularité.
DE L’AUTRE COTE DU MIROIR
"Une chose n’est pas vue parce qu’elle est visible, mais au contraire, visible parce qu’elle est vue". Arbus surprend par ses sujets mais aussi leur traitement, moderne et urbain, fille d’un Walker Evans et tante d’une Nan Goldin. Parmi ses clichés les plus célèbres, Child with Toy Hand Grenade in Central Park, où un blondinet grimaçant tient une grenade à la main, Jewish Giant at Home with His Parents in The Bronx, NY, réunissant un géant et ses parents, ou Identical Twins, photo de jumelles qui a ensuite influencé Kubrick pour une scène de Shining; tous participent à un même désir: "Voilà ce que j’aime: la différence, la singularité de toute chose et l’importance de la vie… je vois quelque chose qui semble merveilleux; je vois le divin dans les choses ordinaires". Dans ses sublimes photos de cirque, dont Albino Sword Swallower at a Carnival, Arbus traque ce qu’elle appelle le "summum précaire du paysage humain", instants de grâce éphémère ou gloire de pacotille, art hanté et obsédant, mais trace indélébile, celle d’un halo fantastique presque invisible, d’un équilibre céleste entre le banal et l’étrange comme une redécouverte du quotidien et des certitudes. Début des années 70, victime d’une dépression, Arbus décide brutalement d’en finir. Des décennies plus tard, ses photos sont toujours présentes, illustrant opportunément les mots de l’artiste: "Elles sont une preuve de ce qui était là et de ce qui n’est plus. Comme une tâche. Et leur immobilité est impressionnante. Vous pouvez faire demi tour mais quand vous reviendrez, elles seront toujours là à vous regarder".