La Vie aquatique: Seu Jorge a l'abordage

Pelé dos Santos ne dit pas un mot dans La Vie aquatique. Mieux, il chante. A peine a t-il effleuré sa guitare que l'intrigue bat de l'aile, les oreilles s'allongent et les pirates se figent. Nostalgique du glamrock et des icônes dépressives, le réalisateur Wes Anderson a l'idée lumineuse de faire appel au brésilien Seu Jorge pour reprendre les standards de David Bowie en bossa nova. Avec pareil sabordeur, l'équipage de Steve Zissou a toutes les raisons de chavirer.

RISE AND FALL OF STEVE ZISSOU

Médusé par les confidences de Nico et du Velvet Underground, cajolé par le regrettés Elliott Smith et Joe Strummer, Wes Anderson avait fait forte impression avec la bande originale de son précédent long métrage, La Famille Tenenbaum. Secondé une nouvelle fois par le compositeur Mark Mothersbaugh, qui a signé la partition de tous ses films (dont Bottle Rocket et Rushmore), le cinéaste américain requinque les playlists de son adolescence. Le spleen contestataire des années 60-70, Bob Dylan, John Lennon, Nick Drake chez les Tenenbaum, repose désormais sur la voix délicate de Joan Baez (Here's to You) et les déchanchements lascifs d'Iggy Pop (Search and Destroy, qu'on ne présente plus). Alternant clins d'oeil de connaisseurs, amples et nostalgiques, et orchestrations naïves et joyeusement foutraques, Anderson évite l'écueil de la redite et de la compilation rebattue. Avec un souci maniaque du détail et de l'exhaustivité (la paire de chaussures siglée, la carte de membre, le collier en fil dentaire et tant d'autres vétilles indispensables), La Vie aquatique poste ses loups de mer dans des périmètres rigoureusement exacts. Anderson retire le toit de sa maison de poupée et observe tout ce beau monde s'agiter. Héros ou imposteur, Steve Zissou laisse planer le doute jusqu'à la fabuleuse plongée sous-marine sur le Staralfur de Sigur Ros, extrait du premier album des Islandais qui ne figure malheureusement pas sur la BO. Mais l'aveu embarrassé des Zombies (The Way I Feel Inside), synchrone à la détresse de Zissou, vaut à lui seul le détour.

FAVELA CHIC

Le point d'orgue, Wes Anderson le confie au charismatique Seu Jorge. Les reprises de David Bowie dépassent l'hommage compassé. A travers quatre titres phares, l'odyssée de Ziggy Stardust se voit réinventée de bout en bout, par petites touches élégantes et amusées. La solitude de Ziggy, égaré dans l'espace, rejoint celle de Zissou, le grognon incompris. Et quand Zissou apprend l'existence d'un héritier, les vers de Life on Mars redoublent ce sentiment d'étrangeté. Wes Anderson n'hésite pas à creuser le décalage, en l'embellissant d'une note d'exotisme supplémentaire. Installé à Paris et célébré par une tournée française à guichets fermés, Seu Jorge ("monsieur Jorge") a d'abord été Manu le Tombeur, chauffeur de bus soumis à une frénétique guerre des nerfs dans La Cité de dieu. Son parcours tourmenté n'est pas totalement étranger au film de Fernando Meirelles. Originaire des favelas de Rio, Jorge Mario da Silva y a perdu un frère et se retrouve SDF à vingt ans. Le théâtre et la musique le sauvent de la misère. Dans les années 90, il s'essaie au hip-hop (Planet Hemp), fonde le groupe Farofa Carioca, mélange de pop et samba, cirque et improvisations, l'engouement est immédiat. La ferveur est encore intacte à la sortie de son premier album solo produit par Mario Caldato, proche des Beastie Boys. Le label Fla Flu Prod du bar-restaurant La Favela Chic abrite Cru, sa nouvelle et flamboyante carte de visite. Seu Jorge côtoie Gainsbourg (Chatterton), ressuscite Jerry Leiber et Mike Stoller (Don't). Et c'est à lui que revient le privilège de clore le générique de La Vie aquatique. Les acteurs conquis (Bill Murray et Willem Dafoe en tête) participent bénévolement à son clip Tive Razão, tourné pendant leur escale à Rome.