Femis et Louis-Lumiere: comment entrer?
Il y a plusieurs manières de se mettre le pied à l’étrier dans le monde du cinéma. Les stages, l’auto-production et… les écoles. Parmi les nombreux établissements privés surnagent les deux écoles publiques, la Femis et Louis-Lumière. Souvent contestées, car elles représentent aux yeux de la jeune génération l’establishment rétrograde d’un "certain cinéma français", elles offrent pourtant un premier pas constructif dans le métier et surtout, surtout, une foule de contacts. Mais l’entrée ne se fait que sur concours, et un Bac+2 en poche
[NB: les deux écoles offrent plusieurs formations pour autant de métiers, mais cet article ne concerne que les sections destinant au métier de réalisateur]
LA FEMIS
Anciennement IDHEC, la Femis jouit d’un prestige qui n’a d’égal que sa réputation peu flatteuse. En tant que symbole d’un cinéma français nombriliste, l’école est accablée par les idées reçues et la seule mention de son nom ne manque pas de déchaîner les passions. Derrière l’apparence (en partie fondée) d’un royaume du dessèchement créatif, se cache également un formidable moyen de se jeter dans le bain et de se faire des contacts. D’après Nicolas, ancien du département Image, "Tous les moyens de pression sont bons pour te faire changer ton scénario et le conformer à leur désir. Mais j’ai beaucoup appris là-bas et j’ai pu trouver du travail sans problème à la sortie.". L’école est extrêmement sélective car très demandée. En 2002, il y avait eu mille cent-dix inscrits pour trente-quatre reçus, tous départements confondus (cinq-cent vingt-neuf pour quatre en Réalisation). Le concours du département Réalisation est articulé en trois temps.
LE CONCOURS DE LA FEMIS
Le premier volet tourne autour d’un choix de trois thèmes (cette année: le milieu – la machine – le reste; en 2002: la boîte – la feuille – l’unique). Le candidat choisit et doit rédiger un "dossier d’enquête" d’une quinzaine de pages, accompagné de photos maison, autour du thème. L’épreuve se veut un test d’originalité. On a vu par exemple, sur le thème du "noir", une enquête sur les Noirs vietnamiens en France; autour du "reste", un dossier sur les détritus des restaurants; sur le "milieu", un candidat s’est penché sur Maradona, milieu de terrain qui trempe dans le milieu… Il est difficile de savoir précisément ce que recherchent les correcteurs. William, vingt-deux ans, deux tentatives: "Mon premier dossier était un truc personnel et décalé sur le monde du DVD et j’ai eu une mauvaise note. L’année d’après, j’ai rendu un dossier journalistique assez sec et dénué de véritable engagement personnel, et j’ai eu dix-huit et demi. J’ai rien compris.". Cette première épreuve se double d’un exercice d’analyse filmique à passer à Paris en présence de tous les candidats. Cette année, l’extrait proposé était la scène d’ouverture de Femme Fatale de De Palma. En 2002, La Captive. L’année d’avant, Good Men, Good Women de Hou Hsiao-hsien.
Une quarantaine d’aspirants réalisateurs émerge des premières épreuves. Le deuxième tour consiste en la rédaction en quatre heures d’un synopsis de film basé sur un court extrait de texte, suivi d’une épreuve de réalisation. Devant le jury, le candidat dispose d’une caméra, d’un cadreur et de deux comédiens et doit mettre en scène en une heure une petite saynète dialoguée, avant de commenter ses rushes devant un autre jury. William, encore une fois: "Ca sert à rien de mentir ou d’essayer de dire ce qu’ils veulent entendre. Je me suis retrouvé avec Yves Caumon et Emmanuel Finkiel, et j’y suis allé cash, j’ai parlé de ce que j’aimais, de Spielberg, de Michael Bay. Quand tu essayes de les arnaquer ils le voient.". Attention tout de même à savoir appuyer ce qu’on veut dire d’une argumentation solide et d’une belle confiance en soi. Les geeks et les rigolos sont le gibier le plus couru lors de ces épreuves.
Le fameux grand oral va servir à départager la petite quinzaine de survivants du deuxième tour. L’épreuve est simple et directe: un jury composé de techniciens et artistes du cinéma, une table, une chaise. Le jury 2003 était présidé par Benoît Jacquot. Avant lui, Olivier Assayas et Cédric Kahn s’y étaient collés. L’entretien dure une quarantaine de minutes et a lieu en public. Tout n’est alors question que d’alchimie, de quotas, de feeling personnel. Aucun conseil n’est à délivrer mis à part les recettes habituelles d’un oral réussi, quelle que soit la discipline. Il est important de noter que les jurés ne sont pas professeurs à l’école, et sont donc, en théorie, moins axés sur une certaine ligne de conduite immuable. La prime alors au plus original, au plus frais, à celui ou celle qui établira le mieux le dialogue, sans pour autant se conformer à un pseudo "moule Femis", s’il existe. Au bout de cette dernière ligne droite, entre quatre et six candidats sont retenus. Le concours ne peut se tenter que trois fois, et il faut avoir moins de vingt-sept ans.
LOUIS-LUMIERE
L’Ecole Nationale Supérieure Louis-Lumière forme plus spécifiquement aux métiers de l’image, mais il arrive fréquemment que d’anciens élèves deviennent réalisateurs. C’est le cas notamment de Laetitia Colombani, réalisatrice de A la folie, pas du tout ou, avant elle, de Jean-Jacques Annaud. L’école, jadis nommée Vaugirard, porte désormais le nom du père du septième art et a déménagé à Noisy-le-Grand. Les candidats y sont un poil moins nombreux qu’à la Femis, mais le concours est tout aussi long et difficile. Ici encore, trois parties. La première est une journée de QCM. Au programme: maths, physique, chimie, optique, cinéma, culture artistique, culture générale, et anglais. Le niveau scientifique est ardu mais la casse peut être limitée grâce à quelques règles de bases (pH, principes de la géométrie, grandes lignes de la physique et de l’optique géométrique). Le questionnaire de cinéma est axé principalement sur une frange austère du cinéma d’auteur. Parmi les réponses au choix, souvent reviennent Alain Resnais, Chris Marker, Chantal Akerman, Alexandre Sokourov, Robert Kramer… Le quiz de culture comporte de nombreuses questions sur l’art contemporain, parfois le vidéo-art, et le cinéma expérimental. L’épreuve d’anglais exige de la rapidité (quatre-vingt questions en une heure), mais le niveau n’est pas inaccessible.
Le deuxième tour en section Cinéma réunit quatre-vingt candidats et comporte trois épreuves: un exercice de scénarimage qui consiste à assembler des vignettes pour créer le story-board d’une séquence; une analyse filmique comparée; et une épreuve de "réflexion rapide" en trente minutes (en 2003, la question posée était "Les limites du cinéma"; en 2001, les candidats devaient rapidement plancher sur le mot "bleu"). L’oral est réservé à une trentaine d’élus. Trois jurys, trois oraux: un entretien sur la culture visuelle et artistique du candidat (recadrer un tableau, prendre une photo illustrant une citation, associer des images…); un oral sur l’histoire du cinéma avec une question tirée au sort; enfin une épreuve de repérage: sur la base d’un extrait de texte, il s’agit de trouver un décor approprié et de défendre son choix en tant qu’assistant-réalisateur devant le jury. Seize candidats sont retenus au final.
Les concours sont longs, chers (surtout pour les provinciaux qui doivent faire l’aller-retour et se loger), mais pas aussi difficiles que ce que l’on raconte. Une solide culture générale et une expression claire ne font pas tout: ce qui compte, c’est avant tout la motivation. Ceux qui sont pris ne sont pas ceux qui tentent le concours pour entrer à l’école, mais ceux qui pensent déjà à leur sortie. Pour plus de renseignements, vous pouvez contacter les écoles via les adresses internet ci-dessous. Si vous voulez des conseils, vous pouvez également mailer votre humble serviteur à liam@filmdeculte.com. Bonne chance à tous!