Des ravages du maccarthysme
Parce que les derniers témoins disparaissent et qu'Hollywood s'en remet à peine, George Clooney a décidé, pour sa deuxième réalisation, Good Night, and Good Luck., de mettre en images une phase sombre de l'histoire américaine : le maccarthysme, plus connu sous le nom de "chasse aux sorcières". Retour point par point sur ce triste phénomène.
"MEURS, POURRITURE COMMUNISTE!"
Si l'on situe habituellement la période maccarthyste entre 1950 et 1954, la chasse aux sorcières a en fait commencé bien avant, en 1938, quand le Congrès américain crée le HUAC (House Un-American Activities Comittee), un comité d'enquête sur les activités anti-américaines. Il est chargé de combattre les idéologies fascistes, nazies et communistes sur le territoire américain. Parallèlement, le FBI est, depuis sa création en 1924, sous l'égide de John Edgar Hoover, dont la mainmise sur les affaires internes du pays est exceptionnelle. Friand de ragots, il n'hésite pas à faire poser des micros chez tous les gens qu'il suspecte d'activités illégales ou simplement de moralité douteuse. Officieusement, il se régale des secrets d'alcôve des politiques et des stars des Etats-Unis (il aurait été ainsi l'un des premiers à connaître la relation entre Marilyn Monroe et les Kennedy). Ses écoutes lui permettent de créer des fiches sur tout le monde et n'importe qui, et son obsession à chasser les communistes est sans fin. Malgré leurs différends, le président Truman abonde dans son sens et crée en 1946 une commission chargée d'enquêter sur la loyauté des fonctionnaires fédéraux. L'occasion est trop belle pour Hoover: les employés administratifs de tout le pays seront interrogés. L'Internal Security Act de 1950 lui donne encore plus de pouvoir et à partir de 1951, non seulement la délation est encouragée, mais en plus de simples doutes suffisent à accuser quelqu'un. Ainsi, de 1947 à 1953, 26 000 employés feront l'objet d'une enquête approfondie; 16 000 sont innocentés; 7 000 démissionnent et 739 sont "révoqués" pour diverses raisons, de l'appartenance à une organisation subversive à l'homosexualité (alors que selon les rumeurs, Hoover l'était lui-même) en passant par l'usage de drogue.
LA LISTE NOIRE
Hollywood est un repère de gens riches, puissants, qui touchent le peuple et ont donc des facilités pour rallier les Américains à leur cause. C'est aussi un vivier d'artistes avec un œil critique, sujet à réfléchir sur la politique, et donc à critiquer le gouvernement. En bref, c'est aux yeux des conservateurs un repère de révolutionnaires, de communistes. Car si la Russie a fait front commun contre l'Allemagne nazie, après-guerre, elle est à nouveau l'ennemie; c'est la guerre froide. Les interrogatoires commencent ("En cas de guerre entre les USA et la Russie, à qui irait votre loyauté?") et une liste de onze personnalités est établie, dont l'un, Bertolt Brecht, scénariste et immigré allemand, réussit à s'enfuir. Restent ainsi les fameux Hollywood Ten, condamnés à la prison. La machine s'emballe et ratisse large. En 1948 éclate le scandale Alger Hiss, un diplomate ayant participé au New Deal, aux accords de Yalta et à la fondation de l'ONU. Il est accusé d'avoir appartenu au parti communiste et, comme tous les autres accusés, soupçonné d'avoir transmis des informations confidentielles à l'Union Soviétique. On ne saura jamais la vérité, mais il fut condamné à cinq ans de prison pour faux témoignage. Celui qui l'a "démasqué" ? Un jeune élu républicain de Californie, Richard Nixon qui, vingt ans plus tard, en tant que président, tentera d'améliorer les relations des Etats-Unis avec la Chine et la Russie. Un second scandale éclate : on accuse les époux Rosenberg d'avoir livré aux rouges le secret de la bombe atomique; ils seront exécutés en juin 1953, discréditant les Etats-Unis aux yeux du monde : eux qui étaient si fiers de combattre le système communiste en mettant en valeur les libertés de leurs citoyens se voient réduits à une dictature inquisitoriale.
A DIRTY SHAME
Le 9 février 1950, le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy affirme dans un discours donné en Virginie que les communistes ont de l'influence à tous niveaux dans le pays, même si les effectifs du parti ne sont pas spécialement garnis. Ils sont partout, il n'a pas de preuve mais il le sait. La paranoïa fait rage, on déforme et amplifie les rumeurs, des noms circulent. Les suspects sont sommés de dénoncer leurs camarades, et certains cèdent. Le réalisateur canadien d'origine ukrainienne Edward Dmytryk dénonce 26 personnes. Elia Kazan, militant communiste entre 1934 et 1936, dira tout ce qu'il sait, se payant une page du New York Times pour expliquer son choix - il sera pourtant surnommé dès ce moment "le rat". Il signera même en 1954 Sur les quais, faisant l'apologie de celui qui dénonce. L'American Film Institute ne lui décernera jamais de prix pour son œuvre, mais il reçut finalement un Oscar, décrié par beaucoup, en 1999. Au contraire, le dramaturge Arthur Miller (futur mari de Marilyn Monroe) écrit pour dénoncer ce système les pièces à succès Les Sorcières de Salem et Vu du pont. Suivant son exemple, Fred Zinnemann réalise Le Train sifflera trois fois, tandis que Charlie Chaplin et Jules Dassin (sur la liste noire depuis 1947) fuient en Europe. En 1952, Eisenhower arrive au pouvoir et, devant l'influence à son comble de McCarthy, se sépare même de quelques-uns de ses collaborateurs. Ronald Reagan, alors président du syndicat des acteurs, profitera de sa position pour espionner ses amis et collègues et, sous le nom d'agent T10 (sa femme Jane Wyman étant T9), fournira bon nombre d'informations au FBI et témoignera à l'HUAC contre de nombreux accusés. Le principe pour ne pas être condamné était simple : il fallait apporter la preuve de son innocence.
Les conséquences à Hollywood furent désastreuses, laissant une vraie cicatrice psychologique dans toute l'industrie. Tous les auteurs, réalisateurs, acteurs figurant sur la liste noire furent obligés soit de fuir en Europe soit de travailler pour un salaire minimum sous des noms d'emprunt. Ainsi, beaucoup de noms sont réhabilités aujourd'hui sur des classiques du cinéma, comme Spartacus (Kirk Douglas fut un fervent combattant du maccarthysme), Lawrence d'Arabie ou encore Le Pont de la rivière Kwaï. A l'époque, des acteurs ont aussi profité de leur notoriété pour manifester contre les méthodes de McCarthy, en créant le CFA (Comittee for the First Amendment) : Humphrey Bogart, sa femme Lauren Bacall, John Huston, Gene Kelly… Les chasseurs de sorcières, de leur côté, produisent quelques films utilisant comme métaphores des communistes des fourmis géantes (Les Monstres attaquent la ville, Gordon Douglas, 1954) ou des extra-terrestres (Invasion of the Bodysnatchers, Don Siegel - celui de L'Inspecteur Harry -, 1956) et ont de leur côté le héros américain par excellence, John Wayne qui, dans Big Jim McLain d'Edward Ludwig (1952), démantèle une organisation communiste. Sortent aussi le film de quasi propagande I was a communist for the FBI (Gordon Douglas à nouveau, 1951), qui suit un agent infiltré permettant de nombreuses arrestations, et son opposé, So Young So Bad (1950), condamnant l'univers carcéral américain. Le réalisateur de ce dernier, Bernard Vorhaus, fut dénoncé par Ronald Reagan et dut fuir définitivement en Angleterre. Et à l'exemple du cinéma, tous les arts et médias, théâtre, littérature, télévision, radio, presse furent touchés par le phénomène, licenciant à tour de bras après des pseudo-enquêtes de moralité et de loyauté.
AS SEEN ON TV
C'est justement la télévision qui signera la perte du sénateur McCarthy. Donnant une interview au présentateur vedette Edward Murrow sur CBS en 1954, il apparaît dans toute sa folie paranoïaque et vingt millions de téléspectateurs le voient et l'entendent s'en prendre ouvertement à l'armée. Le Général Marshall, entre autres, figure héroïque de la Seconde Guerre Mondiale, fera l'objet d'attaques. L'interview de 187 heures sera diffusée sur 35 jours et permettra à ses partisans, en le voyant par le biais du petit écran, de se réveiller et de regarder la réalité en face : McCarthy est un dangereux affabulateur. Le sénat réagit aussitôt, défendant le Pentagone, qui a l'appui du président Eisenhower. A son tour sur le banc des accusés, McCarthy doit s'expliquer sur ses méthodes d'un autre temps. Le sénat lui adresse un blâme et tous ses amis l'abandonnent. Il devient alcoolique et meurt, oublié de tous, en 1957. Depuis, quelques cinéastes osent se pencher sur le sujet. Irwin Winkler, producteur entre autres de la série des Rocky, de Raging Bull et des Affranchis, réalise en 1991 La Liste noire, avec Robert De Niro, concernant surtout les procès de l'époque. Woody Allen jouera quant à lui en 1976 dans Le Prête-nom, revenant de manière plus comique sur les soucis des blacklistés. 2005 : George Clooney choisit pour son deuxième long métrage en tant que réalisateur, Good Night, and Good Luck., de s'intéresser à la fameuse émission d'Edward Murrow, idole de son père journaliste, et nous fait vivre ces instants de vérité dans un noir et blanc réaliste. Et toute la lumière n'a pas encore été faite sur le sujet.