Youth

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Youth
Giovinezza (La)
Italie, 2015
De Paolo Sorrentino
Scénario : Paolo Sorrentino
Avec : Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz
Durée : 1h58
Sortie : 09/09/2015
Note FilmDeCulte : ------
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C’est le printemps, Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingts ans, sont en vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes. Fred, compositeur et chef d’orchestre, est désormais à la retraite. Mick, réalisateur, travaille toujours. Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble. Ils portent un regard curieux et tendre sur les vies décousues de leurs enfants, sur la jeunesse flamboyante des scénaristes qui travaillent pour Mick, et sur les autres occupants de l’hôtel... Contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe. Tandis que Mick s’empresse de terminer le scénario qu’il considère comme son dernier film, Fred, lui, n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps. Mais quelqu’un veut à tout prix entendre ses dernières compositions et le voir diriger un orchestre à nouveau.

LE GOUT DES FILMS LAIDS

"Dans la vie, nous ne sommes que des figurants". "L'émotion, c'est tout c'qu'on a". Ce ne sont pas des paroles extraites de la comédie musicale Roméo & Juliette, mais des répliques de Youth, le nouveau chef d'oeuvre autoproclamé de Paolo Sorrentino. A vrai dire, ces sentences sur la vie, l'amour, la vieillesse, la mort, ne seraient pas si dérangeantes dans un film plus humble (ce qui n'interdit pas le talent) ou peut-être avec plus de candeur (en tout cas, moins de cynisme). Mais lorsque, systématisme absolu, on balance la musique à donf et qu'on fait un grand silence pénétré quand Harvey Keitel sort "Dans la vie, nous ne sommes que des figurants", il y a de quoi soupirer. Youth raconte l'histoire de deux artistes au crépuscule de leur existence (Keitel et surtout un très bon Michael Caine) se questionnant sur leur avenir - s'il en reste un. Ils constituent des héros parfaits pour le cinéma de Sorrentino : deux vieux schnocks qui pourront déverser au mieux leur amertume au pire leur aigreur sur le monde tel qu'il est ou tel qu'il a été.

Il y a toujours eu, de L'Ami de la famille à La Grande Bellezza, une cocasse ambiguité dans le cinéma de l'Italien. Sorrentino parle de vanité, de laideur, de vulgarité mais sans mise en perspective, sans distance: son cinéma est aussi vaniteux, laid et vulgaire que ce que ses personnages déplorent. La vulgarité est à nouveau reine dans Youth, avec ses procédés mélodramatiques pachydermiques. Il n'y a pratiquement pas une scène du film dont l'émotion ne soit pas dictée ou surlignée par la musique. On balance la compilation pop-rock émotionnisante qui dit l'humain ému de l'intérieur (des plans muets, ou au ralenti s'il vous plait) parce que c'est quand même plus simple d'exiger du spectateur qu'il ressente ceci plutôt qu'il ne le ressente tout seul (ça signifierait faire du cinéma, et Sorrentino, c'est autre chose). On balance du post-rock sur décor paisible et moine bouddhiste : on devrait nous aussi nous envoler mais difficile de léviter sur cette esthétique Ricola. Lorsque Sorrentino tente le non-dit sans musique, celui-ci pèse des tonnes, on voit arriver la fin de la conversation et sa révélation à des kilomètres, et le non-dit finit par être un sur-dit indigeste (surligné cette fois par un personnage au second plan qui, en pleurant fort, nous dicte encore une fois ce qu'on doit ressentir : soyez émotionnés je le veux).

La vulgarité s'applique à tout ce que Sorrentino regarde. Encore une fois, les "personnages" féminins, ou plutôt les évocations d'entités de sexe féminin, sont extraordinaires. Le personnel féminin se change en petite culotte, le personnel masculin se change en blouse. La femme belle est parfaite, la laide n'a aucun intérêt. La Miss est complètement conne (en fait non - mais on la préfère quand même à poil pour vous mes cochons). La vieille actrice n'a réussi que parce qu'elle couchait. Et la fille prétendument sage, qui dit non au dragueur relou : évidemment qu'au fond elle pense oui. La séquence d'hommage aux femmes et actrices, d'une laideur renversante, est encore plus ironique dans ce contexte - on a surtout l'impression de voir un hommage au film Nine.

Outre les gags navrants, les séquences sexy-zap, il y a cette traditionnelle défiance des beaufs pour les intellectuels ou l'art contemporain - c'est anecdotique, ça n'est peut-être que ce que les héros désabusés du film pensent, mais c'est une odeur suffisamment présente dans le cinéma de Sorrentino pour qu'on puisse en douter. Tout ce pompiérisme ferait moins mal aux yeux s'il débouchait sur quelque chose de plus consistant psychologiquement que les mises à nu grossières du long métrage (l'ex-star ému par une fillette qui, elle, l'a aimé dans un autre rôle que celui de ce blockbuster qui lui fait honte). Le décalage, entre un protagoniste déguisé en Hitler ou vrai-faux clip de star vulgaire (forcément), est imposé façon gros coup de coude complice. Mais le coup de coude génial, fascinant, qui laisse assez bouche bée, est probablement le finale de Youth, avec une séquence qui ressemble à un karaoké : on n'est pas censé chanter ce qu'il y a à l'écran, mais encore une fois le film vous dit comment réagir, ou comment mimer ce qu'on voit. Observez l'oeuvre d'art, le vrai. Sentez l'émotion. Soyez bouleversé par le génie. Silence dans la salle. Applaudissements. N'oublions pas que "la légèreté est une perversion".

par Nicolas Bardot

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