Vendredi soir

Vendredi soir
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Vendredi soir
France, 2002
De Claire Denis
Scénario : Claire Denis
Avec : Grégoire Colin, Hélène Fillières, Valérie Lemercier, Vincent Lindon
Durée : 1h30
Sortie : 11/09/2002
Note FilmDeCulte : *****-

Laure, en plein déménagement, est invitée à diner chez des amis. Elle est prise dans des embouteillages sans fin. Elle décide d'aider un piéton séduisant, Jean.

Une homme et une femme se croisent, s'aiment puis se quittent. De cette trame minimaliste, Claire Denis, la plasticienne du cinéma français, signe une oeuvre magnifique et épurée, un poème musical et sensitif, rare et essentiel. Un film gonflé et un pari réussi: seule la réalisatrice de Trouble Every Day et de Beau Travail pouvait adapter le roman d'Emmanuèle Bernheim, composé uniquement de sensations, de petits gestes réfrénés, de désirs troubles si difficiles à retranscrire au cinéma. La première heure est sublime. A la limite de l'absurde, Laure, qu'un déménagement rend mélancolique, est engluée dans un embouteillage sans fin. Elle accepte dans sa voiture un auto-stoppeur séduisant et charmeur, Jean. Commence alors le grand jeu de la séduction, des mots susurrés aux petits regards insistants, des moments de doute à l'ivresse des sentiments éprouvés. Claire Denis et sa caméra suivent cet amour naissant au plus près des corps. Chaque geste devient un élément d'une parade amoureuse millimétrée, chaque soupir une déclaration d'amour. Elle filme ce désir qui naît sans parole, juste rythmé par le bruit des voitures, le sublime violon de Dickon Hinchliffe, un membre des Tindersticks, et les murmures lointains de la ville. L'habitacle de la voiture devient un espace intime, un cloître secret. Dans le cinéma de Claire Denis, tout est question de désir. Les corps se frôlent, se touchent, s'entrechoquent maladroitement, les regards se croisent et peu à peu s'enflamment. Tout est subtil, délié, limpide, sans artifice dramatique. Sa mise en scène évoque celle de Wong Kar-waï dans In the Mood for Love, avec des ralentis presque imperceptibles et une tension érotique dans chaque plan.

Cette première partie, magnifique est la quintessence de son cinéma sensuel: des petits morceaux de vie, de corps, des fulgurances sonores et visuelles, une utilisation unique de la musique et la formidable photographie d'Agnès Godard. Claire Denis, au sommet de son art, se permet une histoire d'amour sans parole, un coup de foudre sans justification, une heure de lévitation cinématographique sans filet qui peut dérouter et laisser à quai. Valérie Lemercier est bouleversante. Chenille mélancolique au début du film, Laure se transforme peu à peu en papillon de nuit érotique, devient sous nos yeux, de plus en plus belle, de plus en plus libre. Valérie Lemercier, la comique maladroite et sympathique, se transforme sous l'oeil de Claire Denis en femme fatale. Le film suit son regard : Jean (Vincent Lindon convaincant) n'est qu'une figure, que l'archétype d'un homme séduisant. Cela pourrait être un autre homme, un autre soir. C'est elle qui décide, qui vit ce moment unique, qui choisit. La première heure centrée sur son désir est la plus intéressante. L'acte en lui-même filmé avec pudeur et retenue, n'est finalement qu'accessoire, le repas entre amoureux qu'une illusion de séduction, d'un après possible. La seconde partie est donc moins forte, moins attachante. Sa construction alambiquée faite de flash-backs et de tentatives fantasmées masque une réelle baisse de tension. Le film devient plus bavard, plus classique et perd de sa force émotionnelle jusqu'au dénouement sublime et radical. Claire Denis confirme avec ce film son talent plastique insensé et sa singularité dans le paysage cinématographique français.

par Yannick Vély

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Vendredi soir marque la troisième collaboration de Claire Denis avec le groupe Tindersticks après Nénette et Boni et Trouble Every Day. Dickon Hinchliffe est en effet le guitariste de ce mythique groupe anglais natif de Nottingham.

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