Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles
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1919. Mathilde, 19 ans, refuse d’admettre la disparition de son fiancé, Manech, envoyé au front deux ans plus tôt. Elle décide de se lancer dans une contre-enquête. Car si Manech était mort, Mathilde le saurait.

BLEU PRESQUE TRANSPARENT

Souvent, chez Jean-Pierre Jeunet, les personnages féminins semblent diriger les rênes d’existences qui n’attendent qu’un dernier coup de fouet pour forcer leur destin et le tenir solidement par les cornes. Et s’il y avait chez Ellen Ripley des soubresauts inhumains dans une femme forte de laboratoire, il y a chez Amélie ou Mathilde cette chair profondément idéaliste, cette volonté farouche qui crève l’écran et laisse en retrait l’alter ego masculin. L’amoureux est la récompense des courses effrénées, le mirage lointain au bout des espoirs chimériques – il est aussi pratiquement muet (Nino), quasiment absent (Manech), une page blanche face au rouge sang des héroïnes exaltées. Manech est un fantôme, un insaisissable visage d’ange, une main gantée de mystère, un feu follet dans les allées du cimetière. D’un bleu presque transparent. Avalé par les tranchées, dans les lueurs ankylosées de Bingo Crépuscule, son no man’s land au nom de code vers l’au-delà. Mathilde ne parle que de lui mais Jeunet ne semble parler que d’elle, de sa jambe morte, traînée par la soif et l’envie, de son héroïne de roman qui ressemble tant aux femmes de son cinéma.

REFLETS DANS UN ŒIL D’OR

Une héroïne qui se retrouve plongée dans la pure veine visuelle de son auteur. La guerre, la grande, mais davantage une évocation poétique, noire et violente, peuplée d’âmes suicidaires aux membres détruits et automutilés. Le Paris de 1920, mais surtout sa vision nostalgique, ce vieux souvenir qui tremble, cette impression capturée sur une ancienne photo, avec ses gueules, sa lumière jaunie, et la déréalisation qui en découle. Jeunet effectue, du point de vue de la mise en scène, un travail méticuleux, ample, et se permet, en même temps, quelques libertés graphiques pour la beauté du geste: le vent qui, d’effroi, bat les herbes hautes à l’enrôlement d’un futur soldat, ou le beau visage de l’intrigante Tina Lombardi (Marion Cotillard, particulièrement gâtée par son généreux réalisateur) qui s’enfonce dans la pénombre après quelque redoutable méfait. A l’image des précédentes œuvres de Jeunet, ces grands coffres remplis d’images fortes et de sentiments furieux, Un long dimanche de fiançailles est aussi un trésor visuel lustré jusqu’au dernier plan, magnifié par la bande originale de Badalamenti, que l’homme retrouve après La Cité des enfants perdus.

BE CAREFUL OF THE LOVE THAT YOU FIND

Mais avant le film de Jeunet, il y avait le roman de Sébastien Japrisot, sa puissance émotionnelle et son lyrisme presque désuet. Le réalisateur français est fidèle à ses couleurs et à ses grands sentiments, à sa gravité, tout en y insufflant son propre ton fait de superstitions comme petits sorts magiques du quotidien, et un humour décalé qui surgit çà et là de situations tragiques et absurdes. Alors que Madeleine Wallace (Yolande Moreau), la concierge du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, se lamentait déjà d’un bel amant disparu, et dont le lien ténu ne résidait plus que dans quelques lettres, Matti, des années auparavant, suivait un même chemin romanesque, dans la peau d’une Audrey Tautou aussi vaillante que son personnage, parfaite en guerrière amoureuse aux poings serrés. Elle est la chef de file d’une troupe qui n’a parfois que quelques plans pour exister, mais qui s’en sort grâce au pur charisme des interprètes ou la beauté de leurs rôles (Jodie Foster, Albert Dupontel, Clovis Cornillac…). Même si, finalement, dans la foule, dans les tranchées ou au fond d’un jardin, on ne voit plus qu’eux deux, amants séparés et maudits, si loin et pourtant si proches.

par Nicolas Bardot

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