Temps qui changent (Les)

Temps qui changent (Les)
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Antoine cherche à reconquérir Cécile, qu’il n’a pas vu depuis trente ans et qu’il aime toujours à la folie. Cécile s’est remariée et l’a oublié. Elle vit à Tanger avec son époux. Elle a eu un fils, Sami, qui vit à Paris avec une jeune marocaine, Nadia.

LE TEMPS NE DETRUIT RIEN

Bien malin celui qui saura prévoir la direction que prendra dorénavant le cinéma de Téchiné. Le cinéaste emprunte des sentiers inconnus depuis Alice et Martin, échec commercial sans doute immérité qui interrompit cette période prodigieuse et enchantée des années 90 durant laquelle il enchaîna les œuvres lumineuses (Ma Saison préférée, Les Roseaux sauvages, Les Voleurs). Deux films viennent bouleverser un dispositif lentement mis en place, et sans doute pressé jusqu’à la dernière goutte: Loin, et Les Egarés. Déplacement du cinéma de Téchiné en d’autres lieux (le Maroc), d’autre temps (la guerre 39-45). Deux longs métrages radicaux dans leurs choix, par lesquels le cinéaste redéfinit son propre système en approfondissant des thèmes éternels et établis depuis ses premiers films. Les temps changent, donc. Certes. Mais pour qui, pour quoi? Puis changent-ils réellement ou sont-ils au contraire de simples reformatages d’expériences déjà vécues? Que de questions… Caméra à l’épaule, image granuleuse, présence imposante de Depardieu, dès les premiers plans, dès même le générique (d’une touchante simplicité), Téchiné fait un pont entre son cinéma du passé et celui d’aujourd’hui. Deux extrêmes qui se croisent à travers les destins de plusieurs personnages aux allures connues pour les habitués de l’œuvre du cinéaste. Deux extrêmes qui se cognent, qui se heurtent durant toute la durée d’un film qui hésite constamment entre ces deux fantômes. Ce qui fait sa beauté… ce qui fait également sa limite. Car si Téchiné se montre plus que jamais à l’aise avec les matériaux nouveaux qui s’offrent à lui (nouveau lieu, nouveau format de pellicule, tentatives expérimentales de filmage…), il ne parvient jamais à réellement transcender cette histoire d’amour qui dure depuis plus de trente ans, à nous émouvoir par le destin de ces deux êtres que la vie a séparé pour on ne sait quelle raison.

LOIN DES YEUX MON COEUR PLEURE

Un homme et une femme qui se désirent parce qu’ils se menacent, un couple qui s’est aimé il y a trente ans et se retrouve aujourd’hui, un jeune homme amoureux d’un autre mais entretenant une jeune marocaine à Paris, autant d’archétypes (on pense aux Roseaux sauvages, à Ma Saison préférée, à Loin) d’un cinéma entièrement centré sur les notions du déracinement et de la recherche d’une place dans une "presque famille" (l’expression, tirée de Rois et reine, conviendrait également à ce film). On se construit un simulacre de vie, on s’invente des amours publiques pour mieux oublier les histoires du passé. Mais au fond, le passé, on vit avec, il nous poursuit, et l’amour avec. C’est toute la force d’un film non exempt de défauts évidents (caméra sans doute trop mobile, maladresses dans la construction…), mais qui parvient à faire exister un passé en ne montrant que le présent, à créer un hors champ palpable en ne filmant que le champ. Les temps changent, certes, mais ils laissent des empreintes indélébiles, qui se lisent sur les traits d’acteurs lumineux, avec à leur tête la somptueuse Lubna Azabal échappée de Loin. C’est principalement avec elle, par elle, que le film existe. Son caractère grave et secret permettent systématiquement de relancer une intrigue qui aurait presque trop tendance à s’enliser, voir à se disperser. Reste à savoir s’il vaut mieux enterrer ce passé sous les gravas d’un hôtel en construction comme le suggère la première scène, ou au contraire le prendre par la main, l’accepter, pour mieux y revenir. C’est le dilemme qui se pose au personnage joué par Catherine Deneuve. Qui se pose à ces clandestins qui attendent un bateau en partance. A Nadia qui ne se sent plus chez elle dans son pays natal. C’est aussi, sans doute, celui qui se pose à un cinéaste qui semble en perpétuelle recherche d’un renouveau.

par Anthony Sitruk

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