Signes

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Signes
Signs
États-Unis, 2002
De M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Avec : Abigail Breslin, Rory Culkin, Mel Gibson, Cherry Jones, M. Night Shyamalan
Durée : 1h45
Sortie : 16/10/2002
Note FilmDeCulte : *****-

Afin de mieux critiquer le film, le texte qui suit révèle de nombreux éléments de l'intrigue qu'il vaut mieux ne pas connaître avant d'avoir découvert le film en salles. La fin est ainsi dévoilée.

Un matin dans un champ de maïs, d’étranges cercles apparaissent. Graham Hess, un ancien pasteur, refuse dans un premier temps d’admettre la vérité: des extraterrestres préparent un débarquement sur la planète Terre. Il devra protéger les siens pour repousser l’invasion.

Au centre du film figure un dialogue crucial, entre Merrill Hess et son grand frère, l’ancien Pasteur Graham Hess. Celui-ci a perdu la foi. Sa femme est décédée dans un accident de voiture et il élève seul ses deux enfants. Ils vivent avec Merrill dans le Comté de Bucks, non loin de Philadelphie. Ils habitent une grande maison entourée d'un immense champ de maïs. Quelques jours auparavant, d'étranges figures circulaires sont apparues. Elles font la taille d'un terrain de football. Elles ne sont pas le fait d'adolescents perturbateurs. C'était le premier signe d’une invasion extraterrestre. Une fois toutes ces informations présentées et définitivement acceptées comme étant la réalité, le porte-parole diégétique du réalisateur – Graham Hess - nous expose alors sa conception du monde, ou plus précisément, la façon dont il divise les gens en deux catégories: dans la vie, quand de bonnes choses vous arrivent, le premier groupe de personnes verra en ces événements des signes, peut-être même des miracles alors que le second groupe réfutera cette interprétation, évoquant des coïncidences chanceuses. Il s'adresse alors à son frère, celui qui l'a toujours vu comme un modèle infaillible, une figure paternelle qui avait toutes les réponses, et il lui dit simplement qu'il faut connaître sa place. Soit on voit des signes et on se dit que les choses arrivent pour une raison précise, et donc que quelqu'un nous protège, soit on n'y voit que des coïncidences, et on vit dans la peur. "J'ai peur", dit Graham Hess. Graham Hess a perdu la foi.

Le héros transmet ainsi le message du démiurge Shyamalan et offre une clé pour la compréhension du film. Signes dépasse le simple statut de film d'épouvante. Il recèle un fond qui remet en question l'issue même du film. Un récapitulatif s'impose. Une fois le jour levé, la famille Hess s'aventure hors de la cave et se retrouve face à un extraterrestre, l’un des derniers à être resté. Il s'agit du spécimen qui fut blessé par Graham plus tôt dans le film. Il tient le fils de celui-ci, évanoui suite à une crise d'asthme, et s'apprête à lui injecter une sécrétion issue d'un dard situé sous sa main. Graham a un flash : il se remémore l'accident de sa femme, il se rappelle ses dernières paroles, qu'il n'avait jamais comprises jusqu'alors. De retour à la réalité, il interprète ces quelques propos de son épouse agonisante et indique à son frère de saisir sa batte de base-ball et de frapper. Il frappe. Il frappe de toutes ses forces, et dans tous les sens. Il heurte même un verre d'eau, un des nombreux verres d'eau "semés" par la petite Bo Hess, qui voit des microbes partout. Le liquide atteint l'extraterrestre et le brûle. Merrill n'a plus qu'à pulvériser les différents verres, posés ici et là, pour neutraliser l'alien. Une fois mis hors d'état de nuire, mais pas avant qu'il n'ait réussi à sécréter une substance volatile dans les narines du jeune Morgan, la famille se précipite hors de la maison pour sauver l'enfant. Graham Hess lui fait une piqûre L’enfant se réveille. La substance n'avait pas pénétré ses poumons. A cause (ou grâce) à son asthme. Du moins, c'est ainsi que l'interprète Graham. Les différents éléments qui ont permis de sauver son fils sont des signes du divin. Le talent de son frère à la batte, l'aversion de sa fille pour l'eau, et l'asthme de son fils sont des miracles, les derniers mots de sa femme une prédiction. Ce dénouement prend un tout autre sens si on interprète ces signes comme de simples coups du hasard et qu’on analyse les indices semés par M. Night Shyamalan.

Le metteur en scène, fidèle à lui-même (et donc à ses deux principales influences cinématographiques que sont Alfred Hitchcock et Steven Spielberg), signe une oeuvre sobre et maîtrisée, un petit bijou d’épouvante sous haute tension. Certains plans, comme les premières brèves apparitions des aliens, sont l’expression de son génie cinématographique. Son talent s’exprime dans une rare composition des cadres. Il enferme ses personnages dans des cadres à l'intérieur même du cadre, réduit leur espace au sein même d'un lieu déjà restreint, jusqu'à les enfermer dans la cave, joue avec la lumière et l’isolement pour provoquer un sentiment de panique. Aucune vulgaire surenchère, aucun effet facile, l'approche minimaliste de Shyamalan traduit une mise en scène personnelle et constante depuis trois films. On assiste à la confirmation d'un auteur. On retrouve les thèmes chers au réalisateur, notamment celui qui guide les personnages principaux de ses trois derniers films: la quête d'un sens à sa vie. Le jeune garçon de Sixième sens ne savait que faire de son don, tout comme son psychiatre ressentait qu'il avait une tâche à accomplir avant d'en avoir fini avec la vie. Dans Incassable, le héros découvrait son pouvoir et, aidé d'un autre personnage cherchant sa place dans ce monde, le déployait alors, s'épanouissant pleinement. Dans Signes Shyamalan ne quitte pas son personnage principal, l’ancien Pasteur Graham Hess. Le film sera son chemin vers l’épiphanie. Comme ses prédécesseurs, il est tout d'abord en phase de déni, puis peu à peu se laisse convaincre. En bon patriarche, il cherche à protéger sa famille, mais cède à certaines contraintes. Afin de mener à bien cette mission, il doit s'informer. Il accepte de regarder la télévision.

Le petit écran est l'instrument essentiel appuyant la thèse selon laquelle les choses ne sont pas telles que veut les voir Graham Hess. Pendant toute la première partie du film, ce dernier limite et finit par interdire l'usage de la télévision, sous prétexte qu'elle rend les gens "obsédés". Ils vivent à l'écart de la population et la télévision est leur unique source d’information. Que présente la télévision? La peur. L'insécurité. Des vaisseaux immobilisés dans les airs, comme pour nous surveiller, une vidéo amateur où passe brièvement un des "envahisseurs" (inspirée de vraies images où l'on verrait soi-disant Bigfoot, dans la même position), des présentateurs effondrés. Le parallèle avec la réalité, notre réalité, est éloquent. Le scénario a été écrit avant les événements du 11 septembre 2001 mais il est saisissant de capter les similitudes dans le comportement des émissions télévisées. La nation est effrayée par les images qui réalisent presque un "lavage de cerveau", en nous abreuvant d’informations non démontrées. Possédé, obsédé par celles-ci, l’individu lambda se met à croire tout et n'importe quoi, accepte comme légitimes les suppositions scientifiques lues dans un livre d'un dénommé Dr.Bimboo, tout en arborant une sorte de bonnet en papier aluminium pour ne pas "qu'ils lisent nos pensées". Shyamalan tourne même plus ou moins en dérision une des thématiques récurrentes de sa filmographie (héritée de Spielberg). Que ce soit le jeune Cole dans Sixième sens ou le fils du héros dans Incassable, les enfants sont généralement (sur)doués ou en avance sur les adultes et c'est encore une fois le cas ici, exploitant évidemment la crédulité des enfants. Le réalisateur transforme les deux adultes initialement incrédules en mômes apeurés. Ils retournent à un âge où il leur sera plus facile de croire.

Cependant, ils deviennent par la même occasion plus naïfs et donc plus enclin à avoir foi dans les rumeurs colportées par la télévision. Pour faire un parallèle avec notre propre actualité, on pourra citer la mise en cause de certains programmes télévisés qui n'avaient pour sujet que l'insécurité et qui jouaient donc le jeu de certains partis lors de la campagne présidentielle. Tout le monde connaît le résultat. On peut donc s’interroger sur le sens profond du film. Une petite famille vivant en milieu rural est confrontée à une situation qui la dépasse. Elle croit aveuglement les médias. De la bouche même de Graham Hess, "la télévision rend les gens obsédés". A partir de ce moment-là, il ne fait plus aucun doute pour les Hess que ces êtres venus d'ailleurs sont belliqueux. Lorsque son fils cite l'ouvrage qu'il considère presque comme une Bible, Graham ne s'intéresse jamais à l'éventualité optimiste, il ne voit que le mal. Il est incapable de penser le contraire. A l'instar de la méfiance de sa fille pour l'eau, il éprouve à présent une peur machinale envers tout ce qui est étranger. Le choix du réalisateur, d'origine indienne, d'incarner l'homme qui a involontairement tué sa femme, ainsi que la seule personne qui ne soit pas de race blanche dans le film, n'est pas anodin. Il représente l'étranger qu'il faut redouter. Et c’est ainsi qu’apparaît une autre version de Signes. Et si l’extraterrestre était venu en paix ?

Ils ne sont jamais hostiles à l'écran. Ils apparaissent de façon effrayante car la mise en scène adopte volontairement le point de vue des personnages avec lesquels nous nous identifions. Et s'ils ne nous voulaient pas de mal? Et s'ils étaient venus pour communiquer? Et s'ils avaient des intentions pacifistes? Lorsque l'un d'eux saisit Morgan dans la cave, par le soupirail, essaie-t-il réellement de l'étrangler? Peut-on en être sûr? Comment peut-on savoir si l'extraterrestre qui tient Morgan, évanoui, d'une main, et qui s'apprête à lui injecter quelque chose dans les narines, n'essaie pas en réalité de le sauver ? Et si c'était justement cette substance qui avait sauvé Morgan? Ils sortent de la cave, ils sont dans le salon et Graham aperçoit alors le reflet du "monstre" dans l'écran de la télévision. Il ne voit pas l'alien directement mais l'image que lui renvoie la télévision. Ce plan symbolise à lui seul cette deuxième lecture possible du film.. "Quelqu'un m'a sauvé?", demande Morgan. "Oui, quelqu'un t'a sauvé", lui répond-on. L'ambiguïté demeure jusqu'au bout.

Bien que M. Night Shyamalan ait déclaré dans certaines interviews qu'il donnait une importance aux différents signes qu'on peut voir dans notre vie, il ne fait nul doute qu'il laisse le choix aux spectateurs d'interpréter le film des deux manières différentes. Il existe deux groupes de personnes: ceux qui voit dans ces quelques éléments (la batte, l'eau, l'asthme) des signes et donc la présence d'une entité supérieure, et ceux qui interprètent ces faits comme des coïncidences, d'affreux sorts du hasard menant à une conclusion plus amère que ne le laisse sous-entendre ce happy end: ils venaient en paix et on les a attaqués.

par Robert Hospyan

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