Retour à Cold Mountain
Cold Mountain
États-Unis, 2003
De Anthony Minghella
Scénario : Anthony Minghella
Avec : Nicole Kidman, Jude Law, Natalie Portman, Philip Seymour Hoffman, Donald Sutherland, Jack White
Durée : 2h35
Sortie : 18/02/2004
L’amour entre Ada, fille de pasteur connaissant les choses de l’art, et Inman, simple ouvrier sudiste, vient de naître lorsque celui-ci est contrarié par les premières ombres de la guerre de Sécession. Pour Inman, envoyé au bourbier, le seul rempart mental est l’espoir de retourner un jour là où Ada l’attend, à Cold Mountain.
LA PATIENTE SUDISTE
Anthony Minghella aime les beaux ouvrages bien faits et ça se voit. Son Patient Anglais était emprunt d’un lyrisme qui a fait mouche (pluie d’Oscars) tandis que Le Talentueux Mr Ripley jouissait d’une élégance à l’ancienne alanguie sur le vieux continent. Retour à Cold Mountain creuse le même sillon de spectacle classique à sentiments venteux et passionnés, emprisonnés dans les froufrous de riches étoffes et dans la terre qui use les tenues de soldats. On aura pourtant bien vite condamné l’auteur à ses frivoles eaux de rose. Chez Minghella, la mort est tout aussi présente et palpite avec autant de ferveur que les sentiments amoureux, Eros et Thanatos qui gouvernent main dans la main l’œuvre du réalisateur. Le patient se meurt comme son amour qui s’éteint dans la nuit froide d’une grotte, l’amour insatisfait s’étrangle en reflets multipliés par un Ripley brisé, et la course vers l’être aimé s’effectue ici en traînant des chaînes au bout desquelles se trouvent des cadavres comme boulets. Toujours chez Minghella cette idée romanesque et exaltée d’une balance en fragile équilibre entre vie et mort, où l’existence est régie par des pulsions qui ne peuvent s’assouvir, l’essence de la tragédie sans issue.
RETOUR A ITHAQUE
En adaptant le roman de Charles Frazier, Minghella avait le charbon idéal à lancer dans son feu de sentiments. A la grandeur de ces derniers s’ajoute un décor des plus imposants: celui de l’Odyssée homérique comme paysage archétypal de la tragédie. L’histoire du retour d’Inman comme celui d’Ulysse en sa cité, et de Pénélope dans l’attente comme Ada captive de sa demeure en friches. Montagne froide, nouvelle Ithaque. Et Minghella de convoquer les Dieux sur son chemin (ou les démons derrière chaque volatile), sous le quotidien de sa guerre de Sécession. Les sirènes qui attirent un instant l’attention des âmes échouées, ou une Calypso transfigurée qui accueille le héros égaré. La terre qui se déroule, infatigable et inexhaustible comme les mers qu’Ulysse traverse, tapis stagnant comme support des sentiments tourmentés. Le bateau américain est ivre sous les coups de la guerre, comme le chariot qui transporte la musique que joue Ada, piano volant qui tente de tracer sa route sans toucher le sol des hommes. Dans l’Amérique en sang de Minghella, on tombe à la renverse pour apercevoir les oiseaux de mauvais augure, là où l’avenir semble se nicher: au fond d’un puit. Au lieu de s’attarder sur le nerf de la guerre (qu’il peint admirablement dans une soufflante séquence d’ouverture), le réalisateur se penche sur le décor de sa folie, sur la longue et lente marche que réclame sa guérison.
ENTRE CIEL ET TERRE
Certes, il y a ces personnages romanesques comme figures de proue (Kidman et Law, très solides et superbement filmés), mais il y a surtout cette toile de fond. Si les dialogues au lyrisme magnifique et exacerbé s’assènent à distance, parfois acharnés comme les déclarations amoureuses qu’on répète comme on ferme le poing, il y a aussi ce décor qui parle plus que les mots. Le sang qui se mêle à la terre lorsque les corps ou visages des soldats sont écrasés dans la boue, la neige qui se dépose délicatement sur les mains d’Ada, et la couleur cuivrée, le blanc immaculé qui semblent alors s’emparer des personnages. Le fleuve traversé et la survie sur l’autre rivage, le feu des armes et celui des espérances, et la beauté d’un monde (magnifiquement photographié par John Seale) qui se heurte au tranchant de ceux qui l’animent. Si Retour à Cold Mountain appuie parfois maladroitement son bon vouloir (ses méchants de Disney, sa Zellweger surchargée, ses colombes qui se cognent aux murs, quelques dernières secondes malhabiles) et peut susciter au premier abord la frustration du fait de son classicisme linéaire, c’est finalement son élégance et la hauteur de ses sentiments, sa naïveté comme sa pureté qui prennent l’avantage. Et lorsque la caméra s’élève au-dessus de l’arbre, elle n’oublie pas derrière elle la terre et les racines qu’elle a parcourues longuement durant ce voyage à travers les mythes.