Podium
France, 2004
De Yann Moix
Scénario : Olivier Dazat, Yann Moix
Avec : Julie Depardieu, Marie Guillard, Anne Marivin, Benoît Poelvoorde, Jean-Paul Rouve, Odile Vuillemin
Musique : Jean-Claude Petit
Durée : 1h35
Sortie : 11/02/2004
Bernard Frédéric a la profession particulière d’être un Claude François, il est même le meilleur Claude François de sa génération. Après avoir raccroché pour mener une vie tranquille avec sa femme Véro, son ancien collaborateur du nom de Couscous vient lui mettre en tête de participer au concours de la La Nuit des sosies diffusée en "prime time" sur une grande chaîne télévisée.
CETTE ANNEE-LA
Pour son premier long métrage, Yann Moix a mis en place un processus peu ordinaire. Il en a développé lui-même le scénario tout en écrivant en parallèle un roman éponyme sur le même thème. L’un n’est pas l’adaptation de l’autre, ils sont juste deux variations sur un même sujet. Sous couvert des excentricités du personnage de Bernard Frédéric, Podium développe une intrigue des plus traditionnelles : un homme soumis à une dépendance, confronté à l’envie de décrocher et à la tentation de la dernière fois. Première incursion dans les années soixante-dix à travers une trame typique des films américains de cette époque (de Rocky à Que le spectacle commence). Le voyage dans cette décennie chère à Cloclo se poursuit à travers une recherche esthétique très poussée. Teintes, lumières, textures, les seventies sont décomposées en plages de couleurs uniformes serties de paillettes, accompagnées par des chansons populaires de la même période. Cette ambiance se retrouve jusque dans le montage mélangeant séquences oniriques, films d’archive et scènes rythmées à la manière des clips de musique pop. Mais c’est bien dans les années deux mille que Bernard Frédéric mène son existence. Un mélange entre modernité et passé qui permet de franchir la barre du simple regard nostalgique, de le transformer en poésie. Podium est un film populaire d’auteur ou encore un film d’auteur sur la culture pop, un trait qui tend à se développer dans les nouvelles productions françaises comme Mon idole ou Janis et John.
MY WAY
“Un sosie est un homme qui n’a pas de personnalité”, explique Véro à son fils. Pourtant le personnage de Bernard Frédéric est bien plus complexe que cela. Comme il le dit lors de la scène chez le psy spécialisé dans les sosies, il ne se prend pas pour Claude François, il est seulement un fan dont le métier est d’être Claude François. Il n’y a pas chez lui perte de personnalité, comme chez beaucoup de sosies, mais dédoublement de celle-ci. Lorsqu’il devient son idole, son amour sans mesure lui fait perdre tout discernement, toute humilité. Il est égoïste, misogyne et ne vit plus que pour sa passion. Mais derrière l’écran Cloclo, Bernard Frédéric apparaît comme un homme qui n’arrive pas à se contenter de sa vie réelle, constamment pris entre le désir de gloire et l’amour pour sa femme. Le choix de Benoît Poelvorde comme sosie de Claude François, alors qu’il n’y a aucune ressemblance physique entre les deux hommes, se place dans cette idée de dédoublement de personnalité. Ce n’est qu’à travers ses costumes et sa mise en scène que l’un peut devenir l’autre. Le travail de l’acteur est ici exemplaire. Crédible de bout en bout grâce à son charisme et sa présence scénique, il a fourni un réel investissement physique, interprétant toutes les chansons et chorégraphies. Ce n’est qu’à la fin du film que les deux facettes de l’homme se retrouvent dans une scène certes très convenue mais émotionnellement très forte.
LES MAGNOLIAS
Autour de Bernard Frédéric, trois types de personnages : les Bernadettes, sa famille et Couscous, qui fait le lien entre les deux. Comme Cloclo avait ses Clodettes, Bernard a ses Bernadettes. Soumises tous les jours à des tests sur leur culture générale concernant la vie de l’idole, elles font partie intégrante de la panoplie Cloclo de Bernard. A l’opposé, représentant la voix de la raison, Véro, sa femme, en est le personnage le plus éloigné. Elément révélateur, elle est la seule à porter des tenues aux couleurs pastels et chamarrées, en contrepoint aux vêtements flashy et uni-teintes qui composent la garde-robe de son mari. Sincère, interprétée avec intelligence par Julie Depardieu, elle aime profondément son homme mais souhaite le voir changer pour le bien de leur couple et de leur vie de famille. Le pire ennemi de Véro n’est pas Bernard, mais Jean-Baptiste Cousseau, dit Couscous, alias Michel Polnargé. Sosie raté de Claude François reconverti en sosie de Polnareff, il a la particularité d’être fan de Bernard, un fan de fan, un "fan au carré". Complètement déconnecté de la réalité, vivant dans un local de costumes utilisés pour des show télévisés, il ne doute de rien et a une foi aveugle en Bernard. Tous deux constituent le duo classique du maître et de son fidèle suivant, à la fois ange gardien et démon tentateur. Parfaitement complémentaire à Benoît Poelvoorde, Jean-Paul Rouve insuffle la dose adéquate de mystère et d’absurdité qui caractérise son personnage.
LE PUBLIC NE ME CONNAISSAIT PAS
Au-delà de l’hommage à Claude François, à ses sosies, ses fans, au-delà de la fable sur la culture des années soixante-dix, Podium propose à travers ses personnages différents degrés de lecture. Derrière Bernard, Couscous, Véro et les Bernadettes, se trouve tout un questionnement sur l’amitié, l’amour et leur rapport au fanatisme et à la dépendance. Où se trouve la limite entre ces sentiments? Jusqu’à quel point les différents protagonistes sont-ils dépendants les uns des autres? Jusqu’où peut-on pousser sa dépendance, sa passion, son ambition sans se détruire et détruire son entourage? Podium pose également un regard analytique sur le désir, de plus en plus développé dans notre société moderne, de devenir célèbre. Matérialisé par la soirée de La Nuit des sosies (but ultime pour Bernard Frédéric), animée par Evelyne Thomas en personne, le film pointe du doigt ces émissions de télévision florissantes qui font partie intégrante de cet engrenage, de cette volonté permanente de reconnaissance à travers la starisation. Etre la star d’un mois, d’une semaine, d’un soir, monter sur le podium de la renommée pour se sentir exister, serait-il devenu le credo de ces dernières années ? En traitant le tout sous forme de comédie, poussant parfois jusqu’à la parodie, Yann Moix évite de se placer en juge, car bien plus qu’une banale critique qui tomberait comme un couperet inquisiteur, c’est un état des lieux de notre société que le réalisateur propose à travers son film.