Perfect Sense
États-Unis, 2011
De David McKenzie
Avec : Eva Green, Ewan McGregor
Durée : 1h32
Sortie : 28/03/2012
Alors que le monde est en train de s'effondrer et que les gens perdent leurs perceptions sensorielles, deux personnes tombent amoureuses l'une de l'autre.
Les films-concepts font toujours un peu peur. Une bonne idée ne suffit pas à faire une bonne histoire, encore moins un bon scénario ou un bon film. Dans la catégorie « film sur la perte sensorielle », Blindness de Fernando Meirelles était déjà passé par là, et, bien qu’imparfait, plaçait déjà la barre assez haut tant en terme de réalisation que d’interprétation. Ici, l’ambition est clairement moindre, l’écriture beaucoup plus modeste (c’est un scénario original du scénariste danois Kim Fupz Aakeson), au point même que l’affiche et la promotion du film donnent l’impression qu’il va s’agir d’une petite romance en Écosse dont la seule originalité serait de se dérouler dans une ambiance de pandémie et de fin du monde. Ewan McGregor et Eva Green ne font pas partie – à tort, mais c’est un fait – des acteurs foncièrement respectés de la critique pour leur talent et leur profondeur, loin d’une Julianne Moore, pour citer le même film. Tous ces éléments ont peut-être concouru à la réputation globalement assez tiède que se traîne le film depuis sa projection à Sundance en janvier 2011.
L’avantage, c’est que lorsqu’on ne s’attend qu’à voir un petit film un peu raté et probablement bancal, on ne peut qu’être cueilli par la bonne petite surprise que se trouve être ce Perfect Sense. Tout d’abord, le scénario est beaucoup plus construit que ne pourrait le laisser entendre le pitch. Il est bien question de perte des perceptions sensorielles, mais l’une après l’autre, dans un ordre bien précis, et surtout, précédée de symptômes temporaires émotionnels d’une grande intensité, dans un lien fort avec le sens qui va être perdu, proche de la synesthésie. Par exemple, la perte de l’odorat, premier sens à être touché, est précédé d’une « crise » de grande tristesse. Logique pour un sens auquel sont liés beaucoup d’émotions, et tout un pan de la mémoire et des souvenirs. Inutile de trop en dire sur la suite des pathologies qui suivront, mais chaque association fait sens, et fait basculer un peu plus la société dans le chaos. L’enjeu de ces sens qui disparaissent est bien sûr de voir ce qui reste : que devient un restaurant lorsque tout le monde a perdu l’odorat, puis le goût ? Que devient l’intérêt de manger autre chose que « de la farine et du gras », seuls éléments essentiels à la survie ? Et, bien sûr, que devient une histoire d’amour naissante lorsque les sens s’éteignent ?
Le cuisinier et l’épidémiologiste : là encore la caractérisation sur le papier peut effrayer. En fait, dans le film, les deux personnages sont assez peu marqués et leur environnement professionnel n’est effectivement qu’un prétexte pour montrer les conséquences de la « maladie » dans ces deux mondes différents. Ewan McGregor et Eva Green sont comme d’habitude : rayonnants, investis, mais assez peu dans une démarche artificielle de « construction de personnage », et toujours d’une sincérité et d’un enthousiasme appréciables, qui aident à emporter l’adhésion des spectateurs. Peu farouches tous les deux, leurs scènes d’amour en sont d’autant plus détendues et donc d’autant plus crédibles. Malgré le caractère, il faut bien le dire, totalement improbable de la rencontre et de la relation entre ces deux personnages, leur naturel à tous les deux fait que leur histoire tient vraiment la route, et surtout, est vraiment touchante ; jusqu’à la fin du film, on est, crescendo, avec eux, et les épreuves qu’ils traversent n’en sont que plus douloureuses.
Malgré quelques maladresses dans l’approche générale, et une certaine naïveté par moments, on est avant tout frappé par la simplicité et surtout la sincérité de l’ensemble ; avec relativement peu de moyens, le film parvient sans peine à construire son univers de façon cohérente, sans fourberie, sans hypocrisie, et réussit à tenir son propos et à le mener jusqu’au bout. Pour servir ce scénario bien ficelé, la mise en scène ose de vraies prises de risques, qu'il serait dommage d'expliciter ici. Plus encore, alors que le cinéma mondial, depuis plusieurs années, se délecte à montrer la fin du monde dans toutes ses formes et toutes ses hypothèses, avec une pointe de complaisance macabre et de pessimisme voyeur, dépeignant généralement avec une fausse acuité l’état déplorable du monde et surtout la cruauté de l’humanité, il y a ici de vraies touches d’optimisme, voire, d’humanisme. Petites trouvailles, petits détails, mais qui sont menés jusqu’au bout, sans imposture, et qui donnent encore plus envie d’aimer ce film et de le soutenir.