Mots bleus (Les)

Mots bleus (Les)
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Mots bleus (Les)
France, 2005
De Alain Corneau
Scénario : Alain Corneau
Avec : Cédric Chevalme, Camille Gauthier, Sergi Lopez, Mar Sodupe, Sylvie Testud
Durée : 1h54
Sortie : 23/03/2005
Note FilmDeCulte : *****-

Clara a peur des mots. Sa fille, Anna, a peur des autres. Vincent a peur de grandir... Mais il n'aura pas peur de les aimer.

FLEURS DU SILENCE

Contaminé par l’univers résolument claustré d’Amélie Nothomb, dont il a adapté le livre Stupeur et tremblements, le cinéma de Corneau semble avoir trouvé un second souffle aussi soudain qu’inattendu. Comme si entrer de plein pied dans une thématique qui longe en filigrane ses films précédents lui avait permis de réaliser son œuvre la plus belle, la plus limpide depuis des années. La communication... Elle parcourt et habite l’œuvre du cinéaste, que ce soit dans Le Cousin, Tous les matins du monde, Police Python 357, Le Nouveau Monde, etc. Autant de films dans lesquels l’absence d’échange et la quête du dialogue font avancer une intrigue souvent feutrée et discrète. Ici, trois personnages, triangle de l’absurde et du secret, où chacun est amoureux de l’autre, a peur de l’autre, se sent attiré par l’autre. Entre les trois, des liens indéfectibles mais distants, des raccords aléatoires, des croisements inévitables. De peur que l’attachement ne devienne une entrave, de peur de perdre l’un en se rapprochant de l’autre, Clara fuit Vincent, Vincent fuit les femmes, et au milieu vit Anna. Le plus beau personnage de l’univers du cinéaste, ange charismatique aux yeux aussi bleus que les sons qui ne parviennent pas à sortir de sa bouche. Il faut dire ici un mot des acteurs, tous saisissant d’émotion et de beauté. "J’ai toujours senti que Les Mots bleus serait un film d’acteurs, explique le réalisateur. Car la poésie qu’on ressent en lisant le roman va, dans le film, s’exprimer à travers eux. La mise en scène de ce film était vraiment fondée autour d’eux". De la grâce sibylline de Sylvie Testud à la démarche maladroite et enfantine de Sergi Lopez, la distribution parait comme naturelle et éthérée, renforcée par la présence vaporeuse de l’enfant, incroyable Camille Gauthier qui parvient, par un véritable tour de force, à faire exister des dialogues muets.

NO MAN’S LAND

Surprise: de ce cinéaste dont, avouons-le, nous n’attendions pas de réelles surprises visuelles, vient la beauté affable et la pureté fantasmagorique d’une image enregistrée en haute définition, comme pour mieux coller à l’aspect onirique de certaines scènes (celles de l’oiseau chanteur). Film tourné pour les acteurs, mais que Corneau, donc, choisit d’approcher de façon irréelle et singulière, enregistrant leurs regards, scrutant leurs visages, renforçant ce curieux rapport qu’ils entretiennent avec l’espace. L’espace, cet autre grand pilier du film, celui sans lequel les personnages ne sont rien. La maison de la sœur comme refuge pour fuir une relation gâchée; l’école comme jaillissement de vitalité et de liberté; le cabanon sur la plage, véritable no man’s land, terre de réclusion, du refus à la vie et au monde, où Clara peut s’enfermer à l’abri de toute souffrance. Terre par ailleurs filmée en 35 millimètres, à l’encontre du reste du métrage: "On est tout au bout du refuge, dans un lieu où on peut échapper à ses peurs, donc là où les choses peuvent se résoudre". Lieu de l’enfance, lieu de l’enfermement aussi, dans lequel Clara a trouvé ses meilleurs moments et où elle cherche à enfermer sa propre fille, à l’abri du besoin, à l’abri surtout de ce professeur susceptible de la lui prendre, lui qui n’a justement qu’une peur: quitter ce monde de l’enfance qu’il côtoie tous les jours, dans lequel il se plonge pour mieux se perdre. Ces espaces, ces mondes parallèles, sont dans le film autant de bulles étanches qui ne se croisent jamais. Ou du moins qui, selon Clara, ne devraient jamais se croiser. Car la moindre jonction peut lui enlever sa fille. Partagée entre l’amour et l’effroi, entre la dignité et la honte, elle choisit la fuite. Sans même se rendre compte qu’elle fuit l’élément salvateur.

FIGURE DE L’ABSENTE

Revenons aux mots, qui sont le traumatisme de Clara, et deviennent celui d’Anna. Au milieu du film, il y a cette scène bouleversante de sobriété et de justesse, celle de l’enfance de Clara, au chevet de sa grand-mère. Eloge de la parole, pouvoir des mots: les mots peuvent tuer, il vaut mieux les oublier. Ne pas apprendre à lire, ne pas apprendre à parler, pour être sûr de ne pas s’attacher. En un sens, cette scène cristallise l’instant initial du film, celui par lequel Clara va soudainement arrêter de grandir, rester dans ce monde de l’enfance où rien n’est grave, où rien ne se joue réellement, jusqu’à la (re)naissance finale (on pourrait justement reprocher à Corneau, cependant, de jouer un peu trop sur les symboles). L’adulte de l’histoire, c’est Anna, l’enfant pourtant. Celle dont le regard exprime plus de maturité, plus de magie, que sa mère ne sera jamais capable de ressentir. La scène de la grand-mère, c’est par ailleurs celle qui fait basculer le film dans un univers proche du fantastique. Les oiseaux chantent, une maison est vampirisée par une petite fille, les personnages sont captifs de leurs peurs, les couleurs sont chatoyantes, renforcées par la haute définition, etc. Sous couvert d’éviter le misérabilisme, Les Mots bleus devient ainsi un film d’une beauté lumineuse, radieuse, qui confine, on l’a vu, à la fantasmagorie la plus pure. Il n’est pas certain que ce flottement entre onirisme et réalisme séduise tout le monde, et certains pourront en faire le reproche au cinéaste. Ils auront tort. Car Les Mots bleus est sans conteste le plus beau film de ce début d’année, le plus pur, le plus immaculé, un petit miracle cristallin aux contours limpides. La fluidité du récit, l’harmonie des images... Alain Corneau a sans doute réalisé son plus beau film depuis deux décennies.

par Anthony Sitruk

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