Mondo Mulloy
, 1991
De Phil Mulloy
Scénario : Phil Mulloy
Durée : 1h27
Sortie : 28/04/2004
Compilation de onze courts métrages d’animation (Souviens-toi de sanctifier le jour du Sabbat, Slim l'entourloupeur, Tu ne voleras point, La Chaîne, L'Histoire du monde : la découverte du langage, Tu ne commettras point l'adultère, Le Vent des changements, Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain, Cow-boys : le train sifflera trois fois, Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, Intolérance), Mondo Mulloy est une excellente introduction à l’univers torturé, sombre et acide du britannique Phil Mulloy.
THOU SHALT WORSHIP PHIL MULLOY
Véritable bête de festival, créateur prolifique (pas moins de quarante films en vingt-quatre ans, plus trois en cours de finition), provocateur patenté, Phil Mulloy figure, entre autres, aux côtés du grand Bill Plympton et des étranges frères Quay, sur la courte liste des résistants du monde de l’animation. Artisan pointilliste, aux choix esthétiques dictés par les contraintes économiques (minimalisme des formes, animation réduite au fonctionnel, insistance sur le hors-champ et la bande-son pour densifier l’épure de l’image), Mulloy s’est érigé en divinité d’un univers d’anthracite, de sang, de larmes et de sperme, en lequel volent régulièrement en éclats conventions, institutions et bonnes mœurs, découvrant par l’exagération l’absurdité des compromis auxquels nos sociétés occidentales et puritaines ne cessent de se plier. Mondo Mulloy constitue, hors du circuit festivalier et événementiel, la première incursion du cinéaste britannique dans l’hexagone. En espérant que ce premier pas, en plein dedans et du pied gauche, sera suivi de bien d’autres.
SAINT-MULLOY, PRIEZ POUR NOUS
C’est avec le troisième épisode, Souviens-toi de sanctifier le jour du Sabbat, de la série des Dix Commandements, initiée avec l’édifiant Tu ne tueras point (1993, 3 minutes), que la compilation s’ouvre. Le choix est pertinent: durée moyenne (6 minutes) par rapport au reste de la sélection (de 3 à 15 minutes), déroulement narratif linéaire et structurellement classique (mise en place des protagonistes, conflit, résolution, "morale" assénée par la flegmatique voix-off, marque de fabrique de la série), Souviens-toi… donne le ton des dix œuvres à venir. Les thèmes récurrents de l’univers de Mulloy s’y trouvent condensés, en vrac: travail de sape des institutions morales et coercitives (ici l’Eglise, mais aussi l’Etat), déséquilibre exacerbé entre la masse et l’individu, mise au ban des marginaux, ambiguïté et tabous sexuels… Mulloy brasse large mais demeure cohérent de par la simplicité – au sens positif du terme, entendez efficacité – de son graphisme et de son scénario. Comme souvent chez le cinéaste, la trame est bâtie à partir des poncifs du cinéma de genre américain, en une approche qui rappelle celle de Philippe Squarzoni (Zapata, en temps de guerre). En effet, à l’image du bédéaste français, détournant certaines icônes immédiatement reconnaissables (Dark Vador, le Peter Pan de Disney, Zorro…) pour mettre les valeurs positives du cinéma hollywoodien au service d’un propos politique à la pertinence troublante (selon Squarzoni, les modèles donnés par le cinéma américain sont en tous points opposés à ceux que la politique des Etats-Unis développe), Mulloy s’accapare les codes du cinéma de genre (en l’occurrence l’invasion extraterrestre) pour mieux en détourner le sens.
LES ZOBS DES ZOGS
Cette méthode, Mulloy ne cessera d’y avoir recours au long de sa carrière. Ainsi, l’invasion alien des Zogs ébauchée par ce premier court métrage sera reprise par deux fois, avec le diptyque Intolerance (2000, 11 minutes) et Intolerance II: L’Invasion (2001, 15 minutes). Seul le premier épisode est présent dans cet assortiment, malheureusement, mais sa force graphique et narrative compense ce manque. L’idée de base est classique: des scientifiques terriens découvrent sur une bande vidéo l’existence d’extraterrestres aux mœurs et habitudes de vie déconcertantes. Il faut dire que les Zogs ont cette particularité, en dépit de leur apparence banale d’humanoïdes, d’avoir la tête entre les jambes et le sexe au cou. De fait, si le déroulement de la vie de ces êtres intelligents n’a rien de foncièrement nouveau (patriarcat phallique, capitalisme, train-train quotidien), ce sont leurs comportements les plus anodins qui posent problème à la morale chrétienne et pudibonde occidentale. Pensez un peu: le port de vêtements est tabou, on se fait la bise d’un coït, on évacue les excréments et on échange les liquides séminaux par la bouche… Il n’en faut pas plus pour effaroucher les âmes pieuses et déclencher une guerre intersidérale dévastatrice. Supporté par un graphisme à mi-chemin entre Vuillemin, les albums-concepts au fusain et à la suie de Manu Larcenet (Presque, L’Artiste de la famille) et les récentes évolutions, de plus en plus axées vers un art primitif, du travail graphique du collectif Chats Pelés (voir les dernières jaquettes des albums des Têtes Raides ou les crobards au pinceau autour de l’Avis de K.O. Social), Intolerance ne va évidemment pas dans le sens du bon goût et se plaît à mettre le spectateur face à son dégoût propre, dans un effet de miroir embarrassant.
DURA SEX, SED SEX
Il ne faudrait cependant pas limiter Phil Mulloy au stade anal. Certes, la mise en images des tabous organiques et notamment sexuels occupe une grande place dans son œuvre (membres tranchés nets, organes génitaux en gros plan, pratiques sexuelles déviantes, telles que la zoophilie dans l'ahurissant Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, 1996, 9 minutes), mais son fond ouvre souvent des perspectives politiques et sociales plus profondes qu’en apparence. Mètre-étalon de cette tendance, la géniale Histoire du monde, dont un seul fragment nous parvient – mais quel fragment! – dans cette compil, à savoir La Découverte du langage (1994, 3 minutes). Dans ce court métrage, qui se distingue visuellement des autres œuvres que Mondo Mulloy donne à voir par une épaisseur moindre des traits, pour un style évoquant feu Reiser, des femmes préhistoriques en tenue d’Eve s’affairent à déterrer des lettres et à créer des mots. Surviennent un V, un A, un G, un I, un N et un autre A qui, mises bout à bout, font scandale et donnent naissance à une apocalyptique et cruelle conscience des sexes dans une civilisation jusqu’alors hédoniste, où personne ne s’inquiétait de la nudité de l’autre et où une volupté tranquille régnait sans heurt. Parallèlement, les hommes fouillent aussi, mais, maladroits, cassent le 'S' final de leur P-E-N-I-S et dès lors se perdent en conjectures… Métaphore, d’une simplicité enfantine mais réservée aux adultes, des hypocrisies communes et de la phallocratie ordinaire, La Découverte du langage est emblématique des obsessions mulloyiennes.
REACTIONS EN CHAÎNE
Chez Mulloy, un interdit mène à un autre, une catastrophe en déclenche une autre. De fait, au-delà du sexe, l’argent et la guerre sont également sources d’inquiétude pour Mulloy. Ainsi, dans Slim l’entourloupeur (1992, 3 minutes), épisode emblématique de la série Cow-boys (dans laquelle l’on retrouve le détournement des icônes hollywoodiennes, habituel chez Mulloy), l’argent, donc le pouvoir, et sa compagne directe, à savoir la propagande, ici incarnée dans un déluge de téléviseurs, font naître la paranoïa dans la virginité des grands espaces du Far-West. Dans les sardoniques septième et neuvième Commandements, Tu ne voleras point (1994, 5 minutes) et Tu ne convoiteras pas ce qui appartient à ton prochain (1996, 5 minutes), Mulloy pousse ses raisonnements par l’absurde au maximum sans crainte du paradoxe, brocardant dans l’un l’excès de droiture et dans l’autre l’hypocrisie dans la malhonnêteté. Mais c’est avec La Chaîne (1997, 10 minutes) et Le Vent des Changements (1996, 15 minutes) que Mulloy finit de nous conquérir. En décrivant dans le premier, par des couleurs criardes se débattant sur des fonds charbonneux, les rouages irrationnels qui déclenchent les guerres et les génocides, avec charniers et fosses communes apparents, pour aboutir au déchirant "Why am I so lonely?" d’un Roi sanguinaire, Mulloy parle aux viscères et tape juste. En opposant dans le second, sur la sublime musique d’Alex Balanescu, entre deux fulgurances de noir et de rouge, l’intégrité et la singularité artistique au diktat uniformisant d’un pouvoir despotique, Mulloy frappe au cœur et parle juste. Forcément, au sortir de cette heure et demie de chaos, on gît, mal en point, sur le ring. Mais, fourbu, malgré tout, on en redemande.
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Pour prolonger l’expérience de la salle, E.D. Distribution met en libre téléchargement le quatrième épisode des Dix Commandements, écarté de la sélection, Tu Honoreras ton père et ta mère
Espace de la Animation Network Gallery dédiée à Phil Mulloy
Un DVD de 2H30 de courts métrages retraçant la quasi-totalité de la carrière d’animateur de Phil Mulloy est disponible en Grande-Bretagne (en savoir plus)