Minority Report
la nouvelle de Philip K. Dick
États-Unis, 2002
De Steven Spielberg
Scénario : Scott Frank
Avec : Tom Cruise, Colin Farrell, Neal McDonough, Samantha Morton, Max Von Sydow
Photo : Janusz Kaminski
Musique : John Williams
Durée : 2h25
Sortie : 02/10/2002
Washington 2054. John Anderton est un agent de la division Pre-Crime, une unité policière d'un nouveau type qui arrête le criminel avant que le crime ne soit commis. Il découvre sa prochaine arrestation et décide de s'enfuir.
"Je suis à une période de ma vie où je souhaite expérimenter, relever des défis, aborder avec mes équipes des sujets nouveaux. Minority report est un mystère, une énigme autour d'un crime futur, un film qui vous embarque dans une aventure humaine: l'histoire d'un personnage marqué par une tragédie et qui tente de retrouver son équilibre". Ces quelques mots résument les intentions de Steven Spielberg concernant sa dernière oeuvre, Minority Report. Un retour au cinéma de divertissement qui s'inscrit tout de même dans la continuité de A.I.. Il ne s'agit donc pas d'un film aussi profondément personnel et risqué que son précédent. Néanmoins, Spielberg parvient à offrir aux spectateurs un film à la fois grand public et intelligent, ce qui en déconcertera plus d'un.
Polar sous influences diverses, Minority Report peut apparaître comme un film d'action dont la richesse se fait pesante par moments. De ce point de vue, il rappelle 1941, oeuvre loufoque des débuts du réalisateur, avec lequel il partage notamment le caractère cartoonesque. Les quelques pointes d'humour du film semblent imprégnées de l'esprit de Chuck Jones, maître du dessin-animé qui avait justement participé à la conception du film de guerre barré du réalisateur, et paraissent d'ailleurs parfois inadéquates avec le caractère sérieux de l'ensemble. Pourtant, l'on finit par s'y habituer, une fois plongé dans la folle course-poursuite qui constitue la partie centrale du film. La présence de cet humour se justifie probablement par une volonté de laisser souffler le spectateur quelques instants avant de le faire pénétrer à nouveau dans un univers d'insécurité constante (NDLR: paradoxal lorsque l'on voit à quel point ce futur est policé). Ce futur, pas si lointain, n'est pas aussi fictionnel qu'il n'y paraît puisqu'il a été "imaginé", pendant 3 ans, par des spécialistes en recherche biomédicale, en architecture, en réalité virtuelle, et en néo-urbanisme. Ces experts se sont consultés afin d'envisager un avenir crédible, situé dans la continuité du monde actuel. Ce désir perfectionniste de crédibilité enrichit ainsi de détails plus ou moins "réalistes" la science-fiction de Philip K.Dick, auteur de la nouvelle originale.
Cependant, le doute de l'individu sur sa propre identité, sur sa personne, l'un des thèmes chers à l'écrivain, n'est pas le thème le plus représenté ici. Spielberg a préféré exploiter la notion de paranoïa abordée par K.Dick en l'accentuant de façon à obtenir un environnement à l'opposé de ce que le système Pré-Crime essaie d'instaurer, la sécurité. Ce thème majeur du film fait alors immédiatement penser à un autre auteur contemporain de Spielberg, Brian De Palma. Outre l'aspect Mission : Impossible général de la trame, le réalisateur fait ouvertement référence à cet autre cinéaste à travers des scènes qui ne seront pas sans rappeler Snake Eyes, jusque dans la mise en scène. En réalité, il s'agirait plus exactement d'un hommage au film noir, Spielberg situant le film entre Les Aventuriers de l'Arche Perdue et Le Faucon Maltais. Le résultat en témoigne clairement, par l'intermédiaire de clins d'oeil plus ou moins appuyés à La Maison de Bambou, L.A. Confidential ou encore à Hitchcock (particulièrement Le Crime était presque parfait, L'Inconnu du Nord-Express et Psychose). On trouve aussi des références à Blade Runner de Ridley Scott, film auquel s'apparente le plus Minority Report, ces deux adaptations d'écrits de K. Dick partageant des points communs, à la fois esthétiques et thématiques.
Le protagoniste, John Anderton, est un homme dérangé à l'image d'Alex, protagoniste de Orange Mécanique, mais il représente également l'archétype spielbergien du parent fautif, de la famille dysfonctionnelle. Parmi la multitude de références à Kubrick, on croisera également quelques personnages secondaires étonnants, penchants noirs et tordus des seconds rôles du conte de fée A.I.. Le réalisateur se permet même des clins d'oeil visuels, comme celui de réutiliser les écarteurs de paupières désormais célébrissimes de Orange Mécanique. On voit là un metteur en scène qui s'amuse, cite mille et un films dans ce qui est une version moderne, voir post-moderne, du film noir (genre auquel l'auteur ne s'était pas encore adonné). Ce n'est donc certes pas un grand film ou l'un des plus mémorables de sa filmographie, mais c'est plus qu'une simple alternative aux blockbusters habituels. Minority Report est une oeuvre de science-fiction adulte et froide, traversée de part en part par la souffrance de ses personnages. Le film dure 2h25 et présente naturellement quelques longueurs, notamment dans le quart d'heure qui suit la magistrale introduction du métrage. Les dernières minutes qui suivent le climax sont du même acabit avant un dénouement évoquant La Soif du Mal, autre grand film noir. Il s'agit là des rares faiblesses du film, qui parvient très habilement à jongler entre l'humour et l'angoisse, l'action et l'enquête, le tout avec une maestria visuelle évidemment éblouissante.
Steven Spielberg bénéficie aujourd'hui du pouvoir nécessaire pour ne plus se soucier de l'avis du public, et bien qu'il s'agisse d'un film plus abordable que son précédent, le réalisateur se fait plaisir avant tout, et reste fidèle à lui-même. Il se permet, à travers cette critique d'une société où les hommes jouent à Dieu, de mettre en évidence les failles du système pénal américain et notamment de la peine de mort. Le système n'est pas parfait et il nous le rappelle.
En savoir plus
Inutile de présenter Steven Allan Spielberg, le golden boy du cinéma américain, le génial réalisateur de E.T. et de La Liste de Schindler, de Rencontres du troisième type et d'Il faut sauver le soldat Ryan. Malgré l'échec public de A.I., il croule sous les projets. Il réalise actuellement Catch me if you can avec Leonardo Di Caprio et Tom Hanks, avant peut-être de mettre en scène les quatrièmes aventures de son héros préféré, Indiana Jones.