Marie-Antoinette

Marie-Antoinette
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Marie-Antoinette
États-Unis, 2006
De Sofia Coppola
Scénario : Sofia Coppola
Avec : Asia Argento, Steve Coogan, Judy Davis, Kirsten Dunst, Marianne Faithfull, Jason Schwartzman, Molly Shannon, Rip Torn
Durée : 2h03
Sortie : 24/05/2006
Note FilmDeCulte : *****-

A 14 ans, l'archiduchesse d'Autriche Marie-Antoinette épouse le dauphin Louis, futur Louis XVI. Mal aimée, incomprise et délaissée, la jeune fille fuit ses devoirs de reine et trouve refuge dans les plaisirs de la vie mondaine.

I WANT CANDY

"Elle ressemble à un petit gâteau." Marie-Antoinette n’est pas une reine, encore moins une leçon d’histoire, c’est un sucre d’orge, une papillote dorée, une vestale aux boucles relevées en pièce montée. Une cerise négligemment posée sur une prison en chocolat. Un portrait comestible, vivant, sans patine ni plâtre. La table onéreuse confine à l'absurde, le champagne coule à flots, le jasmin éclot dans une tasse, les macarons roses et pistache jalonnent les appartements du roi. Les jeunes filles masquent leur solitude et diluent leur ennui en aiguisant leurs sens. Versailles a des allures de maison en pain d'épices. Attentive au goût, à la couleur, au grain, Sofia Coppola croque un château surprise, Marie-Antoinette enrubannée se laisse dévorer et engloutir par les fines bouches et les regards cupides. Les correspondances amusent et fascinent, l'étiquette et la chronologie sont constamment subverties par la musique et la langue, les cartes sont inversées, les légendes altérées. Bow Wow Wow, The Cure, New Order rivalisent avec Jean-Philippe Rameau, les accents indécis, américains, anglais, français, invitent à une cour dissonante. Marie-Antoinette n’est pas une biographie, encore moins une fresque politique, Sofia Coppola évince la nation, ébauche une révolution en sourdine, sabote l'arrestation, le procès, la guillotine, émiette les après-midi de farniente pour n’en retenir que la lumière déclinante et diffuse. Têtes blondes enlacées dans le Michigan (Virgin Suicides), flâneurs insomniaques à Tokyo (Lost in Translation): où qu’elles soient, les héroïnes captives de Coppola restent d'éternelles étrangères. La détresse de Marie-Antoinette l'Autrichienne, "l’Etrangère" par excellence, a trouvé une parfaite chambre d’écho.

UNE VRAIE JEUNE FILLE

Sofia Coppola clôt une trilogie sur l’adolescence, c’est encore la nuit et l’aurore qui happent les anges blonds. Terrées chez elles, enterrées vivantes, les sœurs Lisbon de Virgin Suicides composent un paradis mortifère régi par des lois secrètes. Charlotte dort éveillée, se perd dans les néons et se retrouve au petit matin dans Lost in Translation. A son tour, Marie-Antoinette refuse de quitter le bal, s’accoutume aux identités floues et aux énigmes d’un soir, dévale les escaliers pour assister au lever du soleil. Comme le serine sa mère, l’impératrice Marie-Thérèse tenue à distance, la situation est critique: la petite princesse n’est pas chez elle, c’est le règne de l’éphémère, la mue vient à peine de commencer que l’épouse docile, sous le poids de la couronne et des rituels compassés, incline sa fierté et penche la tête de côté. Habillée, déshabillée, conseillée, déconseillée, la poupée ventriloque acquiesce et s’émerveille d’un rien. Très conscient de ses artifices, Marie-Antoinette sublime les anachronismes et les rituels alambiqués, adoucit les adieux, en touchant au plus près à la tristesse d’une mère-fille intruse. La reine est une passagère clandestine, une contemplatrice puis une actrice. Le film obéit à trois temps: la découverte de Versailles et du beau monde, la vie de château et les errances de la cour, l'intimité du Petit Trianon à l'abri des discordes. Plus le portrait se précise, plus les repères s'estompent. Marie-Antoinette est à la croisée des chemins, masquée, déguisée, une fugueuse et un fantôme de jour, tiraillé entre ses rêves d'adolescente et ses devoirs d'héritière.

L'ENFANT ET LES SORTILEGES

L'horizon se voile, les liens se distendent. Une mère meurt, des courtisanes disparaissent. Sofia Coppola fait le deuil d'un sanctuaire idyllique, mais ne lâche plus la main de son héroïne. Les rituels et l'entourage volent en éclats, le charmant Fersen sur son cheval blanc déguerpit, les dialogues s'appauvrissent, les tableaux crispés sont laissés à l'abandon, la caméra s'embrase et se rapproche. Seuls comptent les émois de la reine, la joue rosie, la fossette, la respiration saccadée et les larmes. A son premier enfant (une fille, sans intérêt pour la succession), Marie-Antoinette confie: "Tu ne seras rien qu'à moi". L'aparté envoûtant du Petit Trianon est conforme à ce dernier caprice. Coppola recrée pour sa protégée un monde rien qu'à elle, un microcosme débarrassé des querelles et des importuns. Une serre amoureuse et champêtre, un concert privé au firmament, un jardin secret où les chevelures roses se battent en duel avec les dentelles et les éventails. Marie-Antoinette n'en dit pas plus que Virgin Suicides, Sofia Coppola édifie de nouveaux obstacles, déploie un faste spectaculaire, mais reste attachée aux mêmes frémissements, au même désarroi. Le décalage entre le monde adulte (la cour) et le berceau (les enfants rois) est d'autant plus saisissant. Sofia Coppola ne "dit" pas les tourments de l'adolescence, elle ne raconte pas une page d'Histoire, elle murmure un souvenir nuageux, cueille des sentiments, ravit des chagrins, vole un sourire. Au lever du jour, la bonbonnière a disparu, les rêveurs ont cassé leurs jouets. Mais c'est une autre histoire.

par Danielle Chou

En savoir plus

Le tournage a eu lieu dans l'enceinte même du château de Versailles. La réalisatrice new-yorkaise a même reçu l'autorisation, exceptionnelle, de tourner dans le théâtre en bois du Petit Trianon. Férue de musique, Sofia Coppola a soigné la partition. Au générique, on retrouve bien sûr Air mais aussi The Cure, New Order, Aphex Twin, Gang of Four, The Radio Dept, Siouxsie and the Banshees ou encore The Strokes. C'est la deuxième fois que Kirsten Dunst collabore avec la réalisatrice, sept ans après Virgin Suicides, présenté en 1999 à la Quinzaine des réalisateurs.

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