Lord of War
États-Unis, 2005
De Andrew Niccol
Scénario : Andrew Niccol
Avec : Nicolas Cage, Ethan Hawke, Jared Leto, Bridget Moynahan
Durée : 2h02
Sortie : 04/01/2006
Fils d'immigrés russes, Yuri Orlov gagne sa vie en vendant des armes au monde entier. Son credo: ne pas se faire descendre par sa propre marchandise. Sa faiblesse: un amour de jeunesse conquis par la force de ses mensonges
FASTER, PUSSYCAT! KILL! KILL!
Quel chemin suit la balle d'un fusil d'assaut? Où finit la vie d'une arme? A-t-elle un sens? Combien d'existences sont reliées à une munition anonyme? Le monde tourne autour de l'axe du canon d'une mitrailleuse. Prenant une fois de plus son sujet à bras-le-corps, Andrew Niccol, réalisateur et scénariste émérite, livre sa peinture d'un univers à peine maquillé par la révérence. Des gens polis qui parlent de gros sous et d'armes destructrices, injectés dans un milieu où les morts et le profit font bon ménage. En s'éloignant des peintures poético-philosophiques qui définissaient ses précédentes œuvres, Niccol dessine au métal et à l'hémoglobine le portrait d'une dure réalité, celle du trafic d'armes. Extrêmement documenté, le réalisateur va suivre le chemin d'un jeune caïd dans les bouleversements géopolitiques de l'histoire récente. Mieux, il va se servir du contexte non pas pour livrer une unique dénonciation convenue de la guerre et de ceux qui la décident, mais pour en retour construire un personnage déchiré par ses ambitions, sa famille et ses contrariétés. Youri Orlov est-il un guerrier, un immonde salopard sanguinaire? Certainement pas, et c'est ce qui risque de faire grincer des dents. C'est avant tout un type simple, profondément humain, qui a enterré son éthique et sa déontologie sous trente tonnes de plomb et de billets verts sans odeur. Soucieux de ne pas juger son personnage, Niccol construit son histoire en ajoutant une à une les couches de sa déchéance sans les nommer. Depuis ses parents – ayant fuit les communistes – jusqu'à son frère junkie, tout en passant par sa femme, qui ne se laisse pas berner par le rideau de fumée qui entoure ses activités, l'environnement d'Orlov multiplie les alarmes. Qu'importent toutes les conséquences pourvu qu'il ait l'argent et la vie ad hoc.
LA FAÇON LA PLUS RAPIDE DE METTRE FIN A UNE GUERRE EST DE LA PERDRE
Avec un sujet délicat révélant les conflits d'intérêt des grandes puissances, capables à la fois de fournir l'arme et la leçon de morale qui va avec, Andrew Niccol canarde tous azimuts. Certes le thème n'est pas nouveau et le réalisateur ne propose rien de révolutionnaire – juste la confirmation de ce que l'on aurait pu voir dans Bowling for Columbine – et pourtant la stratégie est payante. Documenté et sérieux, Lord of War est avant tout un constat sur la déliquescence du monde pré-11 septembre, la chute de la puissance bipolaire, qui maintenait l'illusion d'une stabilité mondiale basée sur l'opposition de forces s'annulant… Pour finalement se fragmenter en cellules indépendantes trop petites pour êtres contrôlées. En parfait caméléon, Nicolas Cage – par ailleurs producteur du film – baroude de l'ex-URSS jusqu'en Afrique, monte les échelons du juste trafiquant, embobine, tchatche comme un marchant de tapis, se vend à toutes les causes pourvu que l'on achète sa marchandise, et joue au chat et à la souris avec un agent américain (interprété par le héros de Gattaca, Ethan Hawke). Le tout chemisé par une mise en scène de haut calibre et efficace qui fait passer la pilule de la réflexion par une amorce de divertissement. Car si tout cela ressemble à un jeu aux yeux de Orlov, choisissant consciemment de ne pas se soucier des conséquences de ses actes, il n'en est pas moins en première ligne, sous le feu de ses propres armes. Et si le film choisit de ne pas offrir ouvertement morale et solution (pourquoi le ferait-il?), ce n'en est pas moins un pamphlet light contre toute forme de massacre et de barbarie, qui dérange un certain establishment – Niccol ayant dû chercher ses financements notamment en France, Hollywood refusant de le produire. Et c'est déjà vraiment beaucoup.