Insomnia
États-Unis, 2002
De Christopher Nolan
Scénario : Hilary Seitz
Avec : Martin Donovan, Al Pacino, Hilary Swank, Maura Tierney, Robin Williams
Durée : 1h56
Sortie : 06/11/2002
Will Dormer, un policier médiatique, et son coéquipier Hap Eckhart débarquent dans une petit ville de l’Alaska pour élucider un meurtre particulièrement sordide.
Insomnia est la confirmation du talent insensé du jeune réalisateur anglais Christopher Nolan. L’auteur de Memento continue d’explorer les confusions de l’âme humaine avec un nouveau polar. Remake d’un film norvégien daté de 1998, Insomnia est le lointain cousin de Fargo des frères Coen, d’Un Plan simple de Sam Raimi et de The Pledge de Sean Penn, ces films noirs qui misent sur l’atmosphère et les personnages. Loin d’être un simple copier-coller de l’original mis à la sauce hollywoodienne –plus de dollars, plus de stars, moins de personnalité-, cette nouvelle version se distingue par sa grande humanité. Le cynisme distant du policier scandinave a cédé la place aux doutes existentiels d’un vieux limier américain fatigué, sobrement interprété par Al Pacino.
Dès le générique, Christopher Nolan installe l’ambiance et sème le trouble. Pas de héros dans ses films, mais des hommes perdus qui ne savent plus vraiment si leur action est juste ou non, s’ils sont de véritables ordures ou des hommes intègres et honnêtes. Will Dormer, le vieux flic sûr de lui qui débarque en Alaska pour élucider le meurtre d’une jeune femme, est à la fois un modèle et l’objet d’une enquête disciplinaire, un exemple pour la communauté et un meurtrier prêt à tout pour éviter la justice des hommes. Christopher Nolan multiplie les fausses pistes, délivre les informations au compte-goutte et joue avec les nerfs du spectateur. Quel crime a commis le personnage principal à Los Angeles? A-t-il tué volontairement son coéquipier? La jeune fille a-t-elle été victime d’un simple accident? Le cinéaste anglais ne juge pas ses personnages. Tous ont une interprétation différente d’une même réalité, tous devront faire un choix entre la justice et leur propre survie. L’enquête n’est qu’un prétexte. Ce qui intéresse Nolan, c’est le dilemme moral auquel est confronté son (anti) héros, prisonnier des actes de son passé. Tout s’oppose à lui: sa conscience tourmentée, le suspect, Walter Finch, et bien sûr le paysage imposant de l’Alaska. Le brouillard modifie sa vision, des rondins de bois se dérobent et la lumière du jour, perpétuelle à cette période de l’année, l’empêche de trouver un repos mérité.
Pour faire ressentir le lent déclin physique et moral de son personnage principal, Christopher Nolan a mis au point une texture sonore impressionnante qui reproduit parfaitement l’état d’insomnie. Sa mise en scène sobre et maîtrisée laisse la part belle aux performances d’acteurs. Al Pacino est une nouvelle fois inoubliable. Son terrible affrontement verbal puis physique avec Robin Williams, un monstre sacré de la comédie, utilisé ici dans un contre-emploi étonnant, est atténué par la douceur de Hilary Swank, surprenante en jeune fliquette pleine de charme. Trois brillantes interprétations au service d’un scénario magnifique: avec Insomnia, Christopher Nolan fait définitivement son entrée dans la cour des grands maîtres du polar.