Green Book : Sur les routes du sud

Green Book : Sur les routes du sud
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Green Book : sur les routes du sud
Green Book
États-Unis, 2019
De Peter Farrelly
Scénario : Peter Farrelly, Brian Hayes Currie, Nick Vallelonga
Avec : Mahershala Ali, Viggo Mortensen
Photo : Sean Porter
Musique : Kristopher Bowers
Durée : 2h10
Sortie : 23/01/2019
Note FilmDeCulte : *-----
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En 1962, alors que règne la ségrégation, Tony Lip, un videur italo-américain du Bronx, est engagé pour conduire et protéger le Dr Don Shirley, un pianiste noir de renommée mondiale, lors d’une tournée de concerts. Durant leur périple de Manhattan jusqu’au Sud profond, ils s’appuient sur le Green Book pour dénicher les établissements accueillant les personnes de couleur, où l’on ne refusera pas de servir Shirley et où il ne sera ni humilié ni maltraité. Dans un pays où le mouvement des droits civiques commence à se faire entendre, les deux hommes vont être confrontés au pire de l’âme humaine, dont ils se guérissent grâce à leur générosité et leur humour. Ensemble, ils vont devoir dépasser leurs préjugés, oublier ce qu’ils considéraient comme des différences insurmontables, pour découvrir leur humanité commune.

GREEN BOUZE

Chaque cérémonie de remise des Oscars a connu un outrage et 1991 ne déroge pas à la règle. Quand Miss Daisy & son chauffeur remporte la statuette face à Do The Right Thing, Hollywood envoyait un message clair et net concernant le genre de film sur le racisme qu'il préférait. Trente ans plus tard, le film qui pourrait faire office de remake officieux, avec son inversion des races de l'employé et du patron qui se croit maligne, est l'un des favoris. Un triste constat au demeurant symbolique du fait qu'effectivement, rien n'a changé. En tout cas, rien ne semble avoir changé pour un certaine catégorie de gens qui semblent préférer toujours célébrer le feel-good movie qui les fait non seulement se sentir bien tout court - sans aller jusqu'à parler de comédie, le film est relativement léger, ce qui s'avère révélateur et problématique par ailleurs - mais surtout qui les fait se sentir bien à propos d'eux-mêmes. Pourquoi? Parce que Green Book est un énième film par des blancs sur un blanc et pour des blancs en quête de bonne conscience, où les questions de droits civiques sont simplifiées au point de se régler une personne à la fois et dans la douceur. Un échec sur le plan politique mais également artistique.

Non content de célébrer l'ouverture d'esprit d'un protagoniste blanc plutôt que de s'intéresser au tiraillement identitaire pourtant intéressant du personnage noir (dont l'acteur est nommé à l'Oscar du Meilleur...Second Rôle), le récit ose donner dans un positionnement ambivalent "tout le monde a raison" en montrant que le blanc apprend autant du noir que le noir du blanc. Certes, le noir est le patron cette fois mais c'est un riche solitaire, froid et condescendant et le gentil raciste blanc, cet homme simple, cet homme du peuple proche de sa famille, va le faire redescendre sur Terre en lui faisant découvrir...le poulet frit et Aretha Franklin. Si le whitesplaining de stéréotypes érigées en rudiments de la "culture noire" n'était pas assez gênant, le scénario se vautre également dans le bon vieux cliché du white savior, comme le vigile de héros sauve à plusieurs reprises son nouveau pote de situations embarrassantes. Au-delà de toute question politique, c'est là que le bât blesse : l'autre chose qui n'a pas changé en 30 ans, ce sont les conventions de ce type de récit en préfabriqué. Sur 2h10 de film, Green Book est absolument dépourvu de la moindre scène qui ne soit pas convenue. Non seulement la structure est répétitive à en mourir, alternant moment de connivence ou de contraste sur la route la journée et confrontation avec les autochtones le soir, mais ces dernières s'avèrent somme toute bien peu graves. Cette légèreté que le film tient à garder nuit non seulement au propos, réduisant le racisme à quelques broutilles peu conséquentes au final, mais également au récit, qui manque terriblement de réels enjeux et de conflit.

À ce titre, l'évolution du personnage principal est quasiment instantanée. Avant sa rencontre avec Don Shirley, on le voit jeter à la poubelles deux verres dans lesquels ont bu les plombiers noirs qui viennent d'intervenir chez lui. Son dégoût est donc montré comme physique. Il estime que les noirs sont sales. Ce racisme viscéral disparaît dès qu'il est embauché et le reste de son arc sert juste à lui faire comprendre qu'un noir ne devrait pas avoir à s'écraser face au racisme systémique. Ce même racisme systémique que notre gentil blanc rejette en sermonnant son patron avec un #NotAllWhiteMen quand il lui dit qu'il n'est pas comme les gens du Sud qui viennent de lui interdire d'utiliser les mêmes toilettes qu'eux et même qu'il vit dans un quartier "bien plus noir que le votre". On voudrait bien distinguer l'aspect politique de la qualité artistique du film mais les deux sont justement liées, le caractère rétrograde du premier s'incarnant justement dans le second et donnant naissance à ses défauts. Est-ce étonnant quand on sait que le film est co-écrit par le fils du protagoniste (lui-même "coupable" d'un tweet islamophobe il y a quelques années)? Un script aussi inintéressant que la mise en scène du frère Farrelly en solo et qui n'a pour seule qualité que celle d'offrir deux beaux contre-emplois à ses comédiens, convaincants, eux. Mais peut-être le changement est-il là. Le film a remporté le prix de la Guilde des Producteurs mais n'a reçu que 5 nominations de l'Académie, qui s'est récemment diversifiée, et Farrelly, pourtant nommé par la Guilde des Réalisateurs, n'a pas été nommé tandis que Pawel Pawlikowski, si. Et surtout, le film, qui avait remporté le Prix du Public à Toronto, n'a pas très bien marché au box-office américain. L'espoir...

par Robert Hospyan

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