Gran Torino
États-Unis, 2008
De Clint Eastwood
Scénario : Nick Schenk
Avec : Christopher Carley, John Carroll Lynch, Clint Eastwood, Scott Eastwood, Ahney Her, Bee Vang
Photo : Tom Stern
Musique : Kyle Eastwood, Michael Stevens
Durée : 1h56
Sortie : 25/02/2009
Walt Kowalski, vétéran de la guerre de Corée, anti tout et récemment veuf, aide son voisin Tao, un jeune Hmong, à se sortir des mains d'un gang du quartier. Malgré ses réticences au premier abord il prendra peu à peu le jeune garçon sous son aile.
DAD THINKS HE STILL LIVES IN THE 50'S
Petit budget, tournage express, casting restreint et presque exclusivement amateur, Gran Torino a pointé le bout de son nez dans l'ombre de L'Echange, son diamétral opposé. Comme si, fatigué par tout le barouf entourant ses derniers films - des grosses productions classieuses aux castings et producteurs de renom, baladées entre festivals et Oscars - Clint Eastwood avait voulu revenir à une dimension plus intimiste, quelque chose de moins tape-à-l'œil. Un film plus petit donc au niveau de sa production, mais qui n'en reste pas moins riche que ses prédécesseurs. Sa sortie pré-Oscars prévue en catimini s'est d'ailleurs transformée en succès au box-office américain avec un score trois fois plus élevé que celui de L'Echange. Si Gran Torino marque les esprits c'est avant tout par sa liberté de ton, l'absence de politiquement correct dans les dialogues et les actes des personnages. Aucune provocation ici de la part du réalisateur cependant, simplement une envie de coller à la thématique qu'il aborde et de donner ainsi plus de consistance aux protagonistes et à l'intrigue qu'ils traversent. En résulte alors des monologues succulents d'un Walt qui n'a jamais peur de dire les choses telles qu'il les voit ou pense. Un rôle parfait pour un Clint Eastwood magistral qui aurait largement mérité une nomination à l'Oscar.
Mais ne nous méprenons pas, si le vocabulaire fleuri ici employé a souvent amené les critiques à parler d'un retour de Dirty Harry vingt ans plus tard, Walt est en réalité un personnage qui apparaît comme plus complexe que celui de l'inspecteur de San Francisco, plus mature aussi. Là où le premier était profondément ancré dans son époque et se plaçait tout simplement en opposition au système établi, le second, quant à lui, est un héros militaire old school devenu obsolète, ayant perdu ses repères et cherchant la rédemption quoi qu'il puisse en dire. En cela il se rapproche bien plus d'un Sergent Highway (Le Maître de guerre) ou d'un Frankie Dunn (Million Dollar Baby) voir même d'un Red Stovall (Honky Tonk Man) ou d'un William Munny (Impitoyable). Cela ne fait aucun doute, Walt Kowalski est un rôle typiquement eastwoodien, traversant qui plus est une poignée de thématiques chères au réalisateur. On retrouve ici les discours autour de la figure du héros donc, mais également et surtout autour des relations paternelles (Walt est incapable de communiquer avec ses fils, ce qui le ronge), des traumas du passé (ses faits d'arme), de la mort (sa femme et tous les soldats coréens qu'il a tués) et de la place de la religion.
Cette façon que Gran Torino a de rappeler à notre bon souvenir des œuvres passées de Clint Eastwood se retrouve également dans la mise en scène et l'esthétique, comme s'il passait en revue les bons moments de sa carrière. Réalisation simple, sans fioriture, baignée par la lumière crue du Middle West façon Honky Tonk Man pour débuter le métrage, on pourrait croire au premier abord que le grand Clint a délaissé les images léchées et très travaillées de ses derniers films. Pourtant les indices sont là, disséminés. Il y a la scène de vol de la voiture, où les fenêtres et une simple lampe suspendue mise en mouvement découpent des caches sur les visages. Il y a ce rythme lent, planant, qui occupe toute la durée du métrage et cette lumière éclatante qui s'assombrit peu à peu, menant jusqu'au dernier quart d'heure. Walt, tel Frankie Dunn, assis dans la pénombre entre les pochoirs lumineux, réfléchit aux actes qu'il s'apprête à commettre, à leurs conséquences. Ou encore la silhouette imposante de l'acteur découpée en contre jour comme elle l'avait été dans Le Retour de l'Inspecteur Harry, Impitoyable ou Million Dollar Baby, donnant à voir une autre facette de cet ange de la mort qu'Eastwood aime à dépeindre. La lumière revient, Honky Tonk Man refait surface jusque dans le générique final égrainé par la voix de l'acteur accompagnant cette voiture de rêve laissée en héritage.