L'Enquête
France, 2015
De Vincent Garenq
Scénario : Stéphane Cabel, Vincent Garenq
Avec : Charles Berling, Laurent Capelutto, Gilles Lellouche, Florence Loiret-Caille
Photo : Renaud Chassaing
Musique : Erwann Kermorvant
Durée : 1h46
Sortie : 11/02/2015
1995. Le journaliste Denis Robert démissionne de Libération. Il commence à enquêter sur le monde de la finance, ce qui lui fait découvrir les agissements opaques d’une société luxembourgeoise, Clearstream…
CROC DE BOUCHER ORIGINS
Après être revenu sur le scandale d’Outreau avec Présumé coupable, Vincent Garenq s’attaque de front à un autre fait divers des années 2000 : l’affaire Clearstream – ou plutôt les deux affaires Clearstream. Ne craignant ni la factualité ni la densité, le réalisateur brode un récit très détaillé qui mêle habilement l’enquête de Denis Robert (Gilles Lellouche) sur le monde occulte de la finance, et l’instruction du juge Van Ruymbeke (Charles Berling) dans l’affaire des frégates de Taïwan, avant de les faire se rejoindre dans le troisième acte. Un film d’enquête à l’ancienne donc, placé sous l’obligatoire patronage des "thrillers américains des années 70 " mais qui parvient pour une fois à ne pas faire honte à notre cinématographie nationale. A la différence de son précédent film, Présumé coupable, qui était à dessein recentré, intimiste, L’Enquête déborde d’ambition et d’ampleur. On sent dans l’écriture touffue de Garenq une démarche pointilleuse, procédurière. Le travail de quelqu’un qui n’a pas peur du public. Il y a de la générosité et de la maturité dans cette approche minutieuse et factuelle.
La grande qualité du film est aussi ce qui finit par le desservir. Car on ne peut s’empêcher de trouver ce film, aussi ample soit-il, quelque peu à l’étroit dans les confins d’un long-métrage. La brillante série documentaire Manipulations mettait six heures à retracer l’affaire. Les 106 minutes que s’octroient Garenq ne peuvent rivaliser. Malgré l’intelligence narrative du récit, il en résulte quelques angles morts. Imad Lahoud, par exemple, brillamment interprété par Laurent Capelutto, n’a pas la place pour vraiment exister. Il nous questionne, nous fascine, mais on aurait tellement aimé en savoir plus, plonger aux tréfonds de sa mythomanie. Idem pour la vie intime de Denis Robert. Si le film s’en tire mieux que la plupart des autres récits d’enquête français, on ne peut s’empêcher de ressentir une frustration devant l’absence de vrais enjeux intimes pour le personnage, au-delà de son statut de vecteur d’information. Qu’est-ce que le film nous raconte de plus que les faits ? Michael Mann, à sa grande époque, avait un talent pour transcender la factualité en lyrisme. Malgré les nombreuses qualités du film, cette sensation d’élévation, de libération, fait défaut à L’Enquête, d’autant plus que le récit choisit étrangement de s’asseoir sur une possible catharsis finale.