Dreamcatcher - L’Attrape rêves
The Dreamcatcher
États-Unis, 2003
De Lawrence Kasdan
Scénario : William Goldman, Lawrence Kasdan
Avec : Morgan Freeman, Thomas Jane, Damian Lewis, Timothy Olyphant, Jason Scott Lee, Tom Sizemore, Donnie Wahlberg
Durée : 2h13
Sortie : 16/04/2003
En week-end dans une maison en pleine forêt, quatre amis d’enfance recueillent un homme malade, et remarquent le comportement étrange des animaux. Mise en quarantaine par l’armée américaine, la zone est en fait infectée par une armée d’extra-terrestres qui se reproduisent à l’intérieur des être vivants.
Il s’est toujours posé, depuis les premiers livres de King, le problème de l’adaptation de son œuvre, et surtout de l’acceptation par le spectateur des partis pris de l’auteur, partis pris bien souvent personnels et réellement sincères, mais qui confinent parfois à la naïveté. Il en a toujours été ainsi, y compris dans les écrits les plus autobiographiques du romancier: second degré exacerbé et souvent pesant, sublimation du monde de l’enfance rêvé à partir de souvenirs personnels, obsession discutable pour l’excrément, mise en avant de personnages enfantins, voire infantiles, etc. Ces thèmes, loin de constituer de réels défauts, sont néanmoins redondants d’un livre à l’autre, et il faut tout le talent d’un Cronenberg, d’un De Palma ou d’un Rob Reiner pour les éviter, les contourner, ou les illustrer. L’on sait d’ailleurs que l’une des raisons du semi-ratage de Christine a été la décision prise par Carpenter d’évacuer l’aspect le plus "casse-gueule" du livre, qui consistait en un fantastique naïf et finalement très kingien. La question qui se pose donc immédiatement à l’annonce de chaque nouvelle adaptation du romancier, et plus encore à propos d’un opus aussi extrême que ce Dreamcatcher, est de savoir si le cinéaste choisi sera capable de retranscrire à l’écran une histoire certes extrêmement visuelle, mais également si intimement liée à son auteur qu’elle en devient suicidaire.
A priori, le choix d’un cinéaste tel que Lawrence Kasdan à la direction d’un tel film a de quoi faire frémir. Scénariste de génie à l’aube des années 80 (Les Aventuriers de l’Arche perdue, L’Empire contre-attaque), Kasdan a toujours eu du mal à s’imposer en tant que cinéaste, malgré le succès de La Fièvre au corps, la réputation de culte des Copains d’abord, ou l’Ours d’or de Grand Canyon. Pire, il n’a jusqu’à présent jamais abordé le fantastique de front, le contournant systématiquement par le biais de l’aventure (les films écrits pour Lucas ou Spielberg). Etonnamment, c’est finalement lui le grand vainqueur de ce Dreamcatcher. Adaptant l’histoire à sa propre sauce (pour résumer, le film de groupe), il réalise dans la première heure du métrage un film résolument non fantastique, distillant ici ou là un humour au ras des pâquerettes qui a le mérite de caractériser plutôt bien les personnages. Passant d’une époque à l’autre, tournant autour de ses personnages pour mieux les approfondir, cette première partie du film est une franche réussite, rehaussée par l’interprétation impeccable des quatre acteurs et par les dialogues volontairement comiques. Renforçant le mystère pour finalement mieux le laisser éclater par la suite, lors de délires sanguinolents ou pyrotechniques, Kasdan réussit à imposer une véritable ambiance qui oscille régulièrement entre plusieurs genres (fantastique, drame, film sur l’enfance, comédie…). Pas vraiment surprenant de sa part. Plus étonnant néanmoins est cette incursion dans la mémoire d’un personnage, magnifique idée qui consiste à représenter le cerveau humain par une bibliothèque d’archives aux dossiers classés thématiquement.
Là où Kasdan était en revanche attendu au tournant, c’était lors de l’irruption brutale et traumatisante du fantastique et de l’horreur. Et c’est là également qu’il révèle une véritable compréhension de l’œuvre de l’écrivain. Poussant à son paroxysme le délire et le second degré, il fonce tête baissée dans la thématique de la merde chère à Stephen King par le biais d’une scène choc se déroulant au dessus d’une cuvette de WC. Drôle et éprouvante, cette scène incroyable s’étire, se dilate, et réussit à réellement s’imposer comme l’une des meilleures tirées de l’œuvre entière de l’écrivain. La suite est plus classique, mais parvient tout de même à dérouler les uns après les autres les thèmes de King, les approfondissant par un second degré parfois extrême (la caricature des militaires), une naïveté discutable (le personnage de Duditt), et une inventivité amusante (la destruction du vaisseau extra-terrestre à-la-Coppola). Et même ces scènes et ces idées, bien que parfois limites parce que trop naïves, témoignent bien de l’intention courageuse du cinéaste d’aborder de front une œuvre à ce point stéréotypée que seule une attitude similaire peut aujourd’hui transcender. En fonçant n’importe comment, de façon parfois brouillonne, en mettant le nez là où ça sent mauvais, en grattant les parties les plus obscures d’un cerveau malade, Kasdan a bien compris que la seule manière d’adapter de façon originale un livre de King est aujourd’hui de mettre à jour les obsessions les plus radicales de l’écrivain. Bien que pas forcément à l’aise dans certaines scènes (on pense notamment au ratage relatif de celles de fin, où à cette scène qui a la malchance de venir après une similaire des Deux Tours, dans laquelle un montage alterné sur un même personnage figure une schizophrénie active), Kasdan révèle ainsi une aptitude qu’on ne lui connaissait plus, et on se prend à rêver d’une hypothétique renaissance par laquelle le cinéaste, encouragé par cette réussite, retrouverait sa grâce d’antan.