Collateral

Collateral
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Collateral
États-Unis, 2004
De Michael Mann
Scénario : Stuart Beattie
Avec : Peter Berg, Tom Cruise, Jamie Foxx, Bruce McGill, Mark Ruffalo
Durée : 2h00
Sortie : 29/09/2004
Note FilmDeCulte : ******

Max est chauffeur de taxi de nuit. Douze ans qu’il arpente l’asphalte de Los Angeles. Vincent est tueur à gages. Cinq cibles à éliminer avant l’aube. Jeu du chat et de la souris, course contre la montre, confidences pour confidences.

NO ORDINARY MANN

Rien n’était fait pour rassurer à l’annonce du projet. Ni l’aspect de film mineur ou celui de film de commande, ni la relative déception d’Ali, encore moins ce pitch improbable. Pour le meilleur, on pouvait espérer un Phone Game tendu, pour le pire une resucée du Chacal, déjà tristement misérable. Les premières images présentaient d’ailleurs un Tom Cruise aux cheveux curieusement argentés, clone alarmant de Richard Gere, sur les traces d’une métamorphose aussi réussie que celle de Crowe pour Révélations. Un Cruise toujours aussi prompt à cavaler après la reconnaissance de son talent, tentant inlassablement au travers de sa course effrénée d’accrocher les meilleurs cinéastes, de faire oublier son statut indélébile de star mondiale. Si Michael Mann, par sa simple présence aux commandes, sait insuffler la confiance aveugle, restait à éclaircir la crédibilité de ce scénario douteux. Prétexte à filmer Los Angeles, on le pressentait, prétexte à prolonger l’univers de Thief (Le Solitaire) et de Heat, on en salivait, mais qu'y avait-il à espérer d’un thriller où, dès l’ouverture, les cartes étaient dévoilées? Aucune importance. La virée nocturne que nous propose le cinéaste regorge de bien plus de surprises et d'exhortations qu’un primitif scénario à tiroirs. Et pour les Cruise sceptiques, sachez que le film est à l’image des personnages: Jamie Foxx siège au premier plan, volant du film entre les mains, authentique premier rôle jamais réduit à un faire-valoir. Cruise, en retrait sur le siège arrière, n’en est d’ailleurs que plus à son aise. Mêlant retenue et puissance, il livre une interprétation charismatique emprunte de spleen et de fureur, alchimie étonnante et détonante.

FOXX VS JACKAL

Ceux qui ont vu L’Enfer du dimanche d’Oliver Stone ne devraient pas s’étonner de la performance de Jamie Foxx. Affecté pour seul accessoire d’une paire de lunettes, il s’en sert à merveille pour composer un Clark Kent maladroit, dissimulant avec talent une autre facette de son personnage, un homme de la trempe de Vincent, sorte de Superman ordinaire et moderne, un simple quidam qui ne fonctionne pas sur l’apathie mais sur la survie et l’improvisation. Une fois désinhibé de sa peur de mourir, c’est un plaisir insoupçonné que de le voir reprendre le contrôle de son taxi et de sa vie, de mesurer les risques qu’il encourt et d’en prendre d’autres en conséquences. Cette progression des personnages tout au long du film, leur interaction toujours changeante, toujours trouble, est une vraie réussite. Collateral donne le sentiment d’avoir été sculpté avec minutie scène après scène, et compilé comme autant de courts-métrages réussis, emperlés les uns à la suite des autres. Chaque section se suffit à elle-même, et pourtant chacune tire sa richesse des précédentes. Une horlogerie précise habituellement absente des thrillers, ceux-ci favorisant le plus souvent l’intrigue et la tension qu’elle génère à la psychologie des protagonistes. S’il arrive certes parfois qu’un personnage interpelle dans ce qu’il laisse entrevoir de sa nature, où dans ce qui pourrait se révéler intéressant si l'on développait plus avant son univers, il est rare d’arriver au bout de deux heures de fiction avec ce sentiment de densité, d'aboutissement, où tout serait dit. En quelques heures, Max et Vincent sont eux-mêmes confrontés à une facette de leur personnalité dont ils ignoraient l’existence, et qu’ils nous ont révélée.

LITTLE BIG MANN

Pas une minute n’est ici gâchée par une scène d’exposition pachydermique ou déjà vue. La première course de Max, qui le mènera quelques minutes plus tard sous le joug de Vincent, offre une jolie scène intimiste avec Jada Pinkett Smith. Max est maladroit mais sincère, cliché mais humain. Plus tard, la caméra le piègera à maintes reprises dans sa redondance caractéristique, où il reprend à son compte les répliques des autres. Michael Mann réussit une fois de plus le tour de force de compiler les scènes de dialogues sans jamais lasser, générant même une tension et un malaise croissants. Dans l’intimité à la fois incongrue et propice du taxi, ces deux inconnus qui n’ont à priori rien en commun, parviennent à discuter et se confier des souvenirs et des fantasmes inavoués. On repense aux couples De Niro-Pacino (Heat) et Pacino-Crowe (Révélations) sur la même ossature. Mann troque le ton adolescent des blockbusters, où punch lines et blagues faciles abondent, pour celui plus adulte de la confidence et de la psychanalyse. Le cinéaste s’extrait régulièrement du piège de la standardisation hollywoodienne, ne tombe dans l’action qu’à contrecœur, empruntant à son personnage de tueur à gage son code de l’honneur de la violence, se contentant de l’inexorable, du fatalisme de l’entreprise. Il faudra tuer, il faudra le montrer, il faudra faire face, de plein fouet. Pas d’ellipse, pas de montage ultra-cut, pas de contre-champ sur le regard de victimes apeurées. Mann filme la mise à mort avec respect et fascination, à juste distance entre le spectacle d’un acte dévastateur et le choc viscéral d’une violence à l’état brut. Guidé par les comédiens et les situations extrêmes qui les enclavent, il dépeint une violence jamais étalée aussi brutalement depuis Heat. Jamais l’action ou le scénario ne prennent le pas sur l’identité et les valeurs des personnages.

LA NUIT AMERICAINE

Un réalisme accru par le rendu numérique qui, plutôt que de tirer le film vers un aspect documentaire, le noie d’autant plus dans un trip sous néons, où chaque lumière se révèle à l’œil comme une perdition dans l’immensité de la ville. Dans un océan d’éclats électrisants, au vert ecchymosé, au bleu rocailleux, laissant échapper des flairs réalistes, de beaux reflets composites, Mann va plus loin que jamais dans son exploration de Los Angeles. En s’aventurant à la rencontre de la ville, en s’égarant dans les méandres de ses avenues désertes, abandonnant le soleil qui avait fait le succès de Miami Vice au profit d’une noirceur post-apocalyptique, aux reflets parfois carpenteriens. Il croise la route de buildings baignés de réverbérations métalliques et de coyotes lâchés en pleine civilisation, maîtres de la faune nocturne, symboles de ce souffle libertaire, décadent et contradictoire propre à cette Amérique désertique. Dans cette nuit colorée où la pâleur de la lune s’efface derrière la crépitation des immeubles, où la lumière des projecteurs n’existe que dans le chatoiement palpable des néons, Collateral s’offre comme un western urbain dont seul Michael Mann ose encore la transposition, et laisse glisser ce taxi jaune et rouge comme on verrait s’envoler, dans un autre genre cinématographique, l'un de ces rouleaux de paille balayés par le vent. La sauvagerie, les racines, dans cet univers urbain, dépouillé d’humanité, où résonne pourtant comme un écho un étrange souffle de vie, gigantesque, une énergie intense, colossale, incommensurable, écrasante, à la fois partout et nulle part, agissant sur et tout autour de ces personnages insignifiants. Un univers de béton et de baies vitrées, aux yeux acérés, qui observent du haut d’une vraie altitude, ces insectes se déchirer. Los Angeles ville fantôme.

par Yannick Vély

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