Clean
France, 2004
De Olivier Assayas
Scénario : Olivier Assayas
Avec : Tricky, Jeanne Balibar, Ian Brown, Maggie Cheung, Béatrice Dalle, Remy Martin, Don Mc Kellar, Nick Nolte, Laura Smet
Durée : 1h50
Sortie : 01/09/2004
Emilie sort de prison. Elle a perdu son mari, mort d’une overdose. Elle a perdu son fils, élevé par ses beaux-parents. Elle n’a pas le choix, il lui faut changer et se reconstruire.
PRENDRE LA FUITE
Osons le jeu de mot, Clean est un film sale. Un film qui s’évapore, se dérobe sous ses propres fondations, se diluant tel un virus ou une drogue dure dans notre inconscient, le malmenant, sans jamais lâcher prise. Car la dernière œuvre du réalisateur de Demonlover est un film en fuite perpétuelle, après lequel on court; après quelque chose qui, peut-être, n’existe pas. Fuite des personnages, un à un; fuite de la caméra qui ne se stabilise que lors de magiques instants salvateurs; fuite bien entendu de l’héroïne, sublime Maggie Cheung dont la performance toute en nuances et en retenue constitue la première et indéniable réussite du film. Mais fuite surtout du film en lui-même, qui abandonne au fur et à mesure tous ses oripeaux les plus (volontairement) horripilants: archétypes faciles (description du monde du rock), tics de mise en scène (jump cuts), etc. Comme chacun des personnages, le film a un but: se poser et se débarrasser de ce trop plein, se stabiliser autour de sa figure principale, trouver son propre équilibre, fuyant ainsi le fil du rasoir sur lequel Assayas tourne. En deux mots: devenir propre. Clean est ainsi un film d’une grande fragilité, et il n’est pas exclu que son apparente simplicité narrative ne lui soit reprochée, que sa recherche permanente de retenue ne se retourne contre lui. Ce serait un tort. Car Clean, bien qu’intensément inconfortable, est sans doute le plus beau film d’un auteur dont l’osmose avec son actrice fétiche reste d’une saisissante beauté. Une actrice que la caméra effleure et brutalise à la fois, pour mieux la saisir dans ses tourments et ses attentes, pour mieux l’isoler au milieu d’un monde artistique qui ne veut plus d’elle. Bouleversante, troublante mais évitant toute surenchère émotionnelle, Maggie Cheung parvient à se fondre dans une distribution impressionnante de justesse.
A FLEUR DE PEAU
Nick Nolte, Béatrice Dalle, Jeanne Balibar, Maggie Cheung, Don Mc Kellar. La distribution fait rêver, sa concrétisation à l’écran est au diapason du potentiel qu’elle recèle. Isolés par la caméra du cinéaste, qui ne cherche pas à les scruter ou à pénétrer au-delà de figures trop intimes, les personnages opèrent dans le cadre des déplacements systématiques, fuyant, s’enfuyant, à l’abri du regard des autres. Alors que Fin août début septembre fixait à l’écran la façon dont le deuil figeait les proches, Clean réfute cette idée, débouchant ainsi sur un espoir quasi inédit dans la filmographie du réalisateur. Le deuil, ici, remet tout en cause, agite les choses, les maltraite, les retourne, les refaçonne. Sous l’impulsion de fantômes (celui du mari, mais aussi celui d’une époque révolue), l’épouse se désintoxique, le père se rapproche de sa belle-fille pour compenser l’éloignement progressif de son fils, la mère se meurt, le fils cherche. Il cherche, comme les autres, à se raccrocher à quelque chose: les paroles de sa grand-mère, le visage quasi inconnu de sa mère, l’image torturée de son père… Quasi absent, ce personnage de l’enfant est un Graal pour cette mère qu’il n’a jamais connue, et qui va fuir toute la fange dans laquelle elle a un temps cru s’épanouir, pour se reconstruire, seule, au milieu d’un monde qui n’est plus le sien. La première rencontre entre ces deux personnages, qui survient dans le dernier tiers du film, est ainsi d’une sobriété rare et émouvante, l’apogée de deux parcours parallèles effectués à quelques milliers de kilomètres de distance (lui à Vancouver, elle à Paris). Une scène sans fioriture, sans musique, sans pathos, qui se clôt comme elle a commencé: dans la plus belle des tranquillités. Mais avant cette rencontre finale, il y a les autres, ceux pour lesquels Emilie constitue une pierre angulaire. A la lisière de deux univers, de deux mondes, de deux temps, Emilie trace sa ligne.
A LA CROISEE DES CHEMINS
Quatre lieux (Californie, Canada, Londres, Paris, mais dans quel ordre?), quatre temps, quatre alternatives pour un seul futur possible. La purification qu’Emilie doit effectuer n’est pas seulement d’ordre médicale – bien que sa désintoxication en constitue forcément une métaphore. Pour elle, il s’agit de trouver un chemin viable parmi ceux qui lui sont proposés et au centre desquels elle se trouve. Retrouver le passé sex, drugs & rock'n'roll symbolisé par l’image que la jeune Sandrine lui renvoie? Faire du surplace comme Elena (Béatrice Dalle, magnifique)? Accepter le cynisme d’un monde moderne, comme le fait Irène (Jeanne Balibar, fantomatique)? A chaque personnage, à chaque lieu, une option possible, ou un chemin à éviter. Clean, c’est ainsi également la description de plusieurs univers dont certains sont en dégradation pure et simple. Qu’est devenu ce monde du rock indépendant dans lequel Emilie a vécu? Qu’est-elle elle-même devenue, avec le temps et la mort de son mari? Au milieu du film, une scène, intense, d’une beauté à couper le souffle: Maggie Cheung, debout dans le métro, en larmes, choisit de jeter par la fenêtre ses derniers comprimés de méthadone. Dire adieu au passé pour mieux accueillir l’avenir, dire adieu au père pour mieux retrouver le fils. Et pour mieux reconstruire sa vie, "on n’a pas le choix, on change". C’est avec cette phrase que le personnage interprété par un Nick Nolte impérial prend tout son sens. Précis, manuel, simple, il croit au changement, il croit au pardon, sans doute pour se rapprocher tant que possible d’un fils qu’il a perdu. Dernier personnage, dernière voie à suivre, celle d’un père qui tente de réunir les deux êtres qui lui restent; qui choisit la confiance et le courage au détriment de la peur et du mensonge. Un éclair, une lueur dans la vie d’Emilie, un dernier espoir, la première pierre apportée à sa propre reconstruction. Une fois qu’elle est posée, le reste n’est que broutilles.