Camille Claudel 1915
France, 2012
De Bruno Dumont
Scénario : Bruno Dumont
Avec : Juliette Binoche
Sortie : 13/03/2013
Hiver 1915. Internée par sa famille dans un asile du sud de la France –là où elle ne sculptera plus – chronique de la vie recluse de Camille Claudel, dans l’attente d’une visite de son frère, Paul Claudel.
VIE DE GRÂCE
« Qu’est ce que tu fais là ? Tu es venue pour me regarder pleurer ? ». Les tout premiers mots prononcés par Juliette Binoche à l’écran résonnent fort. Et pas seulement parce qu'ils arrivent après de longues minutes austères pleines d’un écrasant silence. Difficile d’ignorer l’ironie de ces mots-là, destinés à un personnage hors-champ comme s’ils nous étaient destinés. Car dès ce début, ce que Camille Claudel 1915 nous donne avant tout à voir c’est une nouvelle incroyable performance d’actrice. Juliette Binoche incarne l’artiste avec ferveur et intensité, presque sans garde-fou. Une performance mise d’autant plus en avant par l’extrême dénuement qui l’entoure. Rareté des dialogues, rigueur du cadre qui isole l’actrice autant que le personnage face à un ensemble de comédiens pour la plupart amateurs, souvent handicapés mentaux. On ne voit qu’elle, et tout est fait par Dumont et son actrice pour qu’on se prennent son calvaire en pleine face. Mais ce début est ce que Bruno Dumont appellerait la partie « eau froide » de son film. Une partie exigeante mais nécessaire pour pouvoir mieux savourer « l’eau chaude » à venir. Sans malice, Dumont se sert de cette austérité monacale pour mieux ouvrir la voie à la grâce.
Camille Claudel 1915 n’est pas réductible au show Binoche, même si ce dernier est incroyable et que l’actrice est elle-même à l’origine du projet. Le dénuement du film n’est pas qu’un écrin ou un faire-valoir paradoxal. D’une part parce que le film devient presque conceptuel (dans le meilleur sens du terme) en mélangeant ainsi une nudité toute bressonienne et une performance qui ne l’est pas du tout (et totalement inédite dans la filmographie de Dumont). D’autre part parce que ce vide qui entoure Camille est le sujet-même du film. Pas de sculpture, pas de proches, pas de communication… Son enfermement est son plus grand degré de solitude. Le film semble se demander « Qu’est ce qui se passe quand on a rien ?», «Qui devient-on lorsqu’on est privé de tout, même de sa liberté et sa parole ? ». La réponse est donc la grâce. L’arrivée au couvent du frère de Camille, l’écrivain Paul Claudel, fait pivoter le film vers le mystique. La ferveur catholique devient le reflet de la folie et les lieux de promenade prosaïques deviennent des montagnes magiques où l’on tutoie Dieu presque les yeux dans les yeux. La mise en scène de Dumont prend alors toute son ampleur et fait décoller le film vers des sommets inattendus, sans rien perdre de sa radicalité.
Dans le contexte de la Berlinale, il est amusant de constater le choix bienveillant effectué par les programmateurs : celui d’avoir programmé La Religieuse avant Camille Claudel 1915. Car c’est dans ce dernier que l’on retrouve tout le souffle et la folie qui manque tant au film de Nicloux. Contrairement à La Religieuse, il ne se passe presque rien (toujours ce fameux vide) dans le film de Dumont, dont l’histoire tient sur trois journées à peine. Et pourtant, malgré son indéniable âpreté, il bout souvent comme une cocotte minute au bord de l’implosion. On retrouve ici le paradoxe des derniers longs métrages de Dumont : le film est à la fois d'une grande simplicité et très ambitieux, et c'est justement cela qui le rend aussi radical.
L'Oursomètre : Ignorer le film au palmarès serait presque une insulte tant sa mise en scène piétine toute une partie de ses concurrents. Tout est possible, tout serait mérité. Quant à La Binoche : on l’a dit et redit, la concurrence est rude cette année chez les actrices, mais peu ont atteint ce niveau.