Boulevard de la mort (Le) - Grindhouse

Boulevard de la mort (Le) - Grindhouse
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Boulevard de la mort (Le) - Grindhouse
Death Proof
États-Unis, 2007
De Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino
Avec : Rosario Dawson, Jordan Ladd, Kurt Russell
Durée : 1h56
Sortie : 06/06/2007
Note FilmDeCulte : ******

FESTIVAL DE CANNES 2007 -C'est à la tombée du jour que Jungle Julia, la DJ la plus sexy d'Austin, peut enfin se détendre avec ses meilleures copines, Shanna et Arlene. Ce trio infernal, qui vit la nuit, attire les regards dans tous les bars et dancings du Texas. Mais l'attention dont ces trois jeunes femmes sont l'objet n'est pas forcément innocente. C'est ainsi que Mike, cascadeur au visage balafré et inquiétant, est sur leurs traces, tapi dans sa voiture indestructible. Tandis que Julia et ses copines sirotent leurs bières, Mike fait vrombir le moteur de son bolide menaçant.

QUAND DIEU JOUE AUX DES AVEC SON UNIVERS

Oublions un moment le pseudo scandale cinéphilique qui entoure la sortie de ce Boulevard de la mort (en lieu et place des deux métrages diffusés sous la forme d'un même programme "Grindhouse", nous aurons droit à deux films dans des versions longues validées par leur réalisateur respectif et sorties à quelques mois d’intervalle), pour se pencher sur ce qui fait, dans ce nouveau film, la patte du cinéaste: non pas ses longues plages de dialogues complaisants, ni même sa violence exacerbée de bande dessinée, mais bel et bien cet univers cinématographique (auto)référentiel. Un univers fantasmé, presque fantasmagorique (le grand méchant loup, personnifié ici par un Kurt Russell habité, renvoie directement aux contes de notre enfance), aux symboles sexuels évidents (les coups de butoir entre chaque voiture), prenant ses racines non pas dans notre réalité mais dans la mémoire cinéphilique d’un cinéaste dont la maîtrise n’est plus à prouver. L'univers en question, c'est, ici comme dans Kill Bill (ou Jackie Brown, d’une manière différente), celui du cinéma d'exploitation des années 60 et 70, invoqué non seulement à travers les genres abordés (slasher, rape and revenge, sexploitation, nudies, nukesploitation, kung-fu, etc.) mais également à travers une imagerie volontairement surannée, une photographie surexposée et granuleuse. Poussant le concept à son paroxysme, le plus bavard des réalisateurs américains va jusqu'à recréer les conditions de projection de l'époque, allant jusqu'à jaunir l’image, rayer la pellicule, couper brutalement certains plans, ajouter des ruptures dans la bande son... Dès les premières notes, réjouissantes, du générique, dès même le logo qui apparaît avant ce générique, l’euphorie est totale: Tarantino, qui a bien retenu la leçon d’un Roman Polanski (Le Bal des vampires) ou d’un Mel Brooks (Frankenstein Junior) a l’intelligence de ne pas se placer au dessus du genre auquel il veut rendre hommage: Boulevard de la mort se veut un authentique film d’exploitation, malgré son budget et la présence de têtes d’affiche. Un petit film, certes. Une récréation, un divertissement. Mais qui atteint sans peine le niveau d’un After Hours.

BAVARD COMME LA MORT

Dans l’univers de Tarantino se croisent références et nostalgie, souvenirs et dérision. Un peu, sans doute aussi, de prétention, notamment lorsqu’il cite des répliques de Pulp Fiction ou réutilise la musique (la sonnerie de téléphone) et certains personnages (le Shérif et son Fils N°1, la cascadeuse doubleuse de Daryl Hannah) des Kill Bill, insinuant sans doute que ses films sont eux-mêmes devenus des classiques du cinéma d’exploitation. Bizarrement, il évite pourtant le plan récurrent du coffre de voiture filmé de l’intérieur. Au-delà de ces petits gadgets autoréférentiels, au demeurant amusants, Boulevard de la mort devient un véritable portrait d’une époque indéterminée (Dodges de 1969, juke-box, mais téléphones portables et affiches de Scary Movie 4) dans lequel un tueur sadique et sexuel, armé d’une voiture, agresse des jeunes femmes, avant que celles-ci ne se vengent. Véritable compilation du cinéma d’exploitation, Tarantino retrouve la force désuète de ces films, jusque dans le final expédié. Les actrices ressemblent à celles des nuddies des années 60, parlent comme celles des films blaxploitation des années 70; l’accident et la poursuite en voiture, agrémentée de dialogues explicites, sont les métaphores évidentes d’un viol (rape); la vengeance finale, bien que moins expéditive que celle d’un I Spit on your Grave, rapproche le film du genre Rape and revenge; la voiture ressemble à celle de Enfer mécanique… Mais à ces éléments, Tarantino ajoute cette petite touche qui a tant surpris dans Jackie Brown et Kill Bill, une émotion palpable, sans doute facile (car jouant énormément sur la musique et sur la rupture de ton), mais qui tranche tant avec le reste qu’elle en devient éblouissante. On pense par exemple aux regards tristes et doucereux de Stuntman Mike dans le bar, ou encore à ce petit air qui vient ponctuer chaque SMS que Jungle Julia envoie ou reçoit. Boulevard de la mort est le film d’un cinéaste qui aime ses personnages, jusqu’au plus infime, et le montre. Il leur confère un passé, leur permet de dépasser le statut de vignette figurative (remember Pulp Fiction?), générant par la suite fatalement une véritable empathie de la part du spectateur. C’est là toute la force du réalisateur: en utilisant au mieux son talent et les moyens qui sont mis à sa disposition, il parvient à mettre en scène non pas un simple film d’exploitation, mais un film somme du genre, comme avaient pu l’être avant lui… Jackie Brown ou Kill Bill, justement.

LA COURSE A LA MORT DE L’AN 2007

"J'ai voulu intégrer des courses-poursuites effrénées au slasher-movie. Du coup, le film change de registre en cours de route. A une vingtaine de minutes de la fin, on ne sait même plus à quel genre exactement appartient le film. On s'identifie tellement aux personnages qu'on ne s'en aperçoit pas, mais ce n'est plus le même film." Cette poursuite, viscérale, proprement sidérante, fait d’abord suite à un accident de voiture d’une violence quasi insoutenable. Occupant à elles seules près d’un tiers du métrage, ces deux scènes en constituent les points d’orgue, non seulement visuellement (Tarantino, évitant l’utilisation des CGI devenus si communs aujourd’hui, parvient à retrouver la hargne et la virtuosité d’un Serafian dans Point Limite Zéro – abondamment cité), mais également thématiquement. Explicites, presque pornographiques dans leur déroulement, ces poursuites deviennent des scènes sexuelles dans lesquelles les voitures remplacent les attributs phalliques (alors que Kurt Russell fait vrombir son moteur, Rosario Dawson le traite de "petite bite"). C’est dans cette optique que le film se rapproche finalement le plus du genre du Rape and Revenge. Agressée, violée (le viol répété sous plusieurs angles de l’accident de voiture – rappelons par ailleurs que dans le scénario initial, Russell se masturbait dans la voiture accidentée), la femme se bat et prend sa revanche en utilisant le sexe comme arme principale. Schéma typique d’un genre dont le principal représentant reste le fondateur I Spit on your Grave, dans lequel une jeune femme se vengeait de ses agresseurs en les attirant par le sexe. Etonnement, avec ce parti pris ouvertement féminin, Tarantino poursuit une œuvre de plus en plus éloignée de ses premiers films, dans lesquels la femme était soit absente (Reservoir Dogs), soit potiche (Pulp Fiction). Depuis Jackie Brown, la femme a pris le dessus et les autres personnages gravitent autour d’elle, rendant le cinéma de Tarantino formidablement plus intéressant, et beaucoup plus sensuel. Ceux qui, il y a dix ans, avaient prédit un feu de paille en sont pour leurs frais.

par Anthony Sitruk

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