Bienvenue à Marwen
Welcome to Marwen
États-Unis, 2018
De Robert Zemeckis
Scénario : Caroline Thompson, Robert Zemeckis
Avec : Steve Carell, Diane Kruger, Leslie Mann
Photo : C. Kim Miles
Musique : Alan Silvestri
Durée : 1h56
Sortie : 02/01/2019
L'histoire de Mark Hogancamp, victime d'une amnésie totale après avoir été sauvagement agressé, et qui, en guise de thérapie, se lance dans la construction de la réplique d'un village belge durant la Seconde Guerre mondiale, mettant en scène les figurines des habitants en les identifiant à ses proches, ses agresseurs ou lui-même.
KLAUS BARBIES
Alors que Robert Zemeckis semblait avoir délaissé la fantaisie en même temps qu'il avait arrêté les films d'animation, le voilà qu'il renoue avec ce registre...par le biais d'une nouvelle adaptation d'un documentaire. En effet, c'est la deuxième fois après The Walk qu'il s'inspire de l'improbable parcours d'une personne ayant réellement existé mais cette fois, le réel n'est plus de mise et ce n'est pas un hasard s'il est allé chercher Caroline Thompson (Edward aux mains d'argent, L'Étrange Noël de Monsieur Jack, Les Noces funèbres) pour co-écrire le film avec lui. Toutefois, si l'on pense par moments à Tim Burton, Bienvenue à Marwen est un film Zemeckis de bout en bout. Contrairement à ce que beaucoup de gens, même parmi les cinéphiles et les critiques, pensent encore, la filmographie du cinéaste est parcourue de thèmes récurrents évidents. Avant même l'auto-citation et au delà du mélange des genres au sein du même film, de la comédie au mélodrame en passant par le film de guerre, cet hybride de prises de vues réelles et d'animation est à la fois un beau petit film et un indéniable film-somme pour l'auteur qui y encapsule absolument toutes ses thématiques phares et propose également un aboutissement esthétique qui renvoie autant à Qui veut la peau de Roger Rabbit qu'à sa trilogie de Noël en performance capture. Un pari casse-gueule pour une magnifique déclaration d'amour à l'art et aux femmes emprunt de la mélancolie de la solitude post-traumatique.
À l'origine, Mark Hogancamp n'est pas un personnage mais une personne réelle. Toutefois, il est un pur personnage zemeckissien. Avant Flight, entièrement dédié à la question de l'alcoolisme, il n'apparaissait pas forcément que l'addiction était une notion récurrente chez le réalisateur. Quand Eddie Valliant flinguait sa bouteille de whisky dans Roger Rabbit ou qu'Ernest Manville vidait son verre dans une plante dans La Mort vous va si bien, cette évolution paraissait fonctionnelle mais depuis que l'on a vu Whip Whitaker vider ses bouteilles dans l'évier avant de les racheter, pour s'en débarrasser à nouveau et rechuter encore, on recontextualise les exemples de jadis. Et Bienvenue à Marwen traite une fois de plus frontalement de cette idée mais pour mieux explorer une autre grande obsession de Zemeckis : comment on se sauve soi-même. De plus en plus présente dans l'oeuvre du cinéaste, la figure de la foi a pu revêtir un aspect plus ou moins lourdingue selon les films (Contact ou bien Le Pôle Express et, de manière plus prêchi-prêcha, Flight) mais le salut ne vient jamais d'ailleurs. Chuck Noland s'échappe tout seul de son île, Beowulf et Whip entreprenne seuls leur propre rédemption, et même quand il y a intervention extérieure (le conducteur, le vagabond fantôme et le Père Noël dans Le Pôle Express, les Fantômes des Noëls Passés/Présent/Futurs dans Le Drôle de Noël de Scrooge), Zemeckis sous-entend qu'il n'est question que de projection de soi, les personnages en question étant tous joués par le même acteur qui interprète le protagoniste. Dans Bienvenue à Marwen, Zemeckis épouse plus que jamais cette idée. C'est au travers de ce double - thématique qui traverse la carrière du cinéaste, rappelez-vous Retour vers le futur II - de cette projection de soi et donc de son art que le personnage exorcise son trauma. D'ailleurs, s'il y a un dieu ici, c'est Mark lui-même. Après plusieurs personnages de quidams ou de scientifiques, Zemeckis choisit, pour la deuxième fois en trois films, des protagonistes qui se présentent ou sont présentés comme des artistes. Il y avait Philippe Petit dans The Walk et désormais Mark Hogancamp.
Comme tout bon personnage zemeckissien, Mark est en isolation. Comme plusieurs de ses prédécesseurs, il est coincé dans le temps. Il est coincé dans le souvenir de son trauma, une histoire condamnée à se répéter encore et encore. Un cycle qu'il faut casser pour aller de l'avant, comme dans la saga Retour vers le futur. Oui, parce que chez Zemeckis, il n'y a pas que les personnages qui sont "doublés". Ainsi Mark rejoue-t-il son agression dans des scénarios qu'il met en scène sous forme de fantasme de vengeance. En un sens, c'est comme s'il faisait son propre rape-and-revenge movie encore et encore, chaque jour. Derrière ses airs de mélo fantaisiste voire niais, Bienvenue à Marwen cache une grande violence, permise par l'animation. La déformation du corps est autre marotte de l'auteur : Marty qui s'efface, Eddie Valliant écrasé par la gravité dans l'ascenseur, les toons déformés dans tous les sens, les cous tordus et ventres troués de La Mort vous va si bien, la distortion d'Ellie lors de son passage dans le trou noir sans oublier le morphing d'émotions sur son visage qui redevient même celui qu'elle avait enfant dans Contact, le visage de Claire qui devient celui du fantôme dans Apparences (#double), le gros Chuck qui maigrit sur son île déserte, les différents visage de Tom Hanks dans Le Pôle Express ou de Jim Carrey dans Scrooge, le corps difforme de Grendel, et les pieds-talons de sa mère, une créature métamorphe, dans Beowulf... Ici, les corps deviennent des figurines aux jointures articulées, aux silhouettes amincies par rapport à leurs modèles, quand elles ne sont pas régulièrement cassées en plusieurs morceaux. D'ailleurs, Zemeckis a tiré les meilleures leçons de son expérience avec la performance capture, inversant les effets de la uncanny valley. Jadis, les personnages avaient des yeux morts de poupée, ici les yeux et les bouches (et donc dents) sont véridiques et c'est tout le reste qui fait poupée...à raison!
La question du corps est au coeur du film parce qu'il renvoie au genre et c'est là que le film s'avère le plus surprenant. Parler de masculinité toxique dans sa critique semble déjà être devenu un cliché en cette ère post-#MeToo mais dans un film où tous les hommes sont des nazis, il est impossible de ne pas y voir un message clair. La masculinité toxique fait des hommes des nazis. Et Mark, campé par un Steve Carrell excellent et qui semble avoir été grimé en Robert Zemeckis, se sent plus proche des femmes. Bienvenue à Marwen est l'ultime déclaration d'amour de Zemeckis aux femmes. Dans son cinéma, la femme est souvent le moteur de la survie, de la progression, de l'évolution (Jenny dont Forrest ne fait que rêver, Kelly comme but à atteindre pour Chuck). Le titre original du film était The Women of Marwen parce qu'ici, chaque personnage qui permet à Mark de survivre, de progresser, d'évoluer, est une femme. Il ne s'agit pas d'une simple romance et les romances n'ont rien de simple chez Zemeckis, surtout quand on sait comment se terminent celles susmentionnées. À ce titre, de tous les plans-séquences du film, le plus fort n'est pas l'un de ceux, géniaux, qui font la liaison entre deux réalités et deux échelles de façon invisible et énergique, mais un long plan fixe et large sur deux personnages ne laissant aucun échappatoire au spectateur. Parfois plus grossier qu'il ne devrait l'être et un peu trop rapide sur la fin, Bienvenue à Marwen demeure une œuvre dense pleine de parti-pris audacieux sur ce qui sauvera le monde : l'art et les femmes.