Basic
Basic
États-Unis, 2003
De John McTiernan
Scénario : James Vanderbilt
Avec : Samuel L. Jackson, Connie Nielsen, Giovanni Ribisi, John Travolta, Brian Van Holt
Durée : 1h38
Sortie : 28/05/2003
L’agent Tom Hardy est appelé sur une base militaire pour aider le capitaine Julia Osborne dans son enquête: l’ancien instructeur de Hardy, un homme qui s’attirait la haine de ses recrues, a disparu durant un banal exercice. Les deux survivants de l’expédition donnent chacun une version différente du drame.
PUISSANCE DE LA PAROLE
Une voix off couvre le Boléro de Ravel, expliquant que les choses ne sont jamais telles qu’elles le paraissent, un hélicoptère survolant la jungle du Panama par une journée d’orage… Une impression de déjà-vu comparable à celle ressentie devant les premières minutes du sensuel Femme fatale de De Palma dans lequel, sur une variation de ce même Boléro, les images retournaient systématiquement les idées préconçues du spectateur. Et déjà, le langage. Celui employé par un instructeur sur ses recrues, celui par lequel le supérieur inculque à des hommes conditionnés des idéologies révoltantes. Faire entrer à coup de massue, par le langage, des idées, des notions, extirper des révélations sur les faits survenus dans cette jungle. Pas étonnant que McTiernan, après avoir contourné pendant quinze ans le sujet – que même Predator n’abordait pas vraiment -, se lance aujourd’hui de plein pied dans l’étude du comportement militaire, et plus particulièrement de sa rhétorique.
Ainsi, dans ce Basic au titre évocateur (le langage comme instrument basique de supériorité – une fois que l’action est terminée, que les corps sont immobilisés, le combat devient oral), la violence ne se situe plus au niveau du corps, mais à celui de la phraséologie. La sauvagerie de l’homme ne passe plus par son mouvement, mais par le flux des mots qu’il emploie. Il va de soi que le dernier film de McTiernan explore les chemins déjà entamés avec ses précédents films, tout en brouillant certaines pistes. Le langage n’est plus seulement le premier pas vers la civilisation ou vers la communication (la scène d’apprentissage du 13ème Guerrier), mais littéralement une arme qui influe sur la diégèse même du film. Ainsi, chaque discours donnera lieu à un nouveau film, une nouvelle vérité, un nouveau flash back qui viendra contredire le précédent. Et chacun de ces discours sera extirpé de la même façon, par une torture linguistique entre l’enquêteur et le témoin – auquel il faudra vider la mémoire de la substance vocale laissée par l’instructeur West, substance qui agit comme un virus et annihile la personnalité du soldat.
THE JULIA OSBORNE AFFAIR
Au centre de ce combat textuel se trouve néanmoins le nouveau personnage féminin de la filmographie du cinéaste. Comme Aurora dans Rollerball, le capitaine Julia Osborne sait "faire passer beaucoup de choses sans dialogue. Elle ne perd pas son temps en vaines paroles". Il est d’ailleurs significatif de constater que le seul combat véritable du film constitue également la plus belle scène de drague qui soit: faisant littéralement décoller Travolta, Connie Nielsen lui assène des coups violents comme autant d’arguments dans une bagarre qui tourne rapidement à l’affrontement amoureux. Il faut ici louer la perfection ciselée des dialogues (au contraire de l’intrigue qui apparaît parfois comme vaguement incohérente) qui illustrent ce subtil jeu du chat et de la souris, ainsi que leurs interprètes, Travolta en tête, impérial dans son rôle flegmatique d’ex soldat bourru et séducteur.
Car c’est bien de séduction qu’il s’agit dans cette partie de chasse énigmatique, dans laquelle chaque mot a un impact sur l’autre. Immédiatement, l’on pense au somptueux et romantique Thomas Crown, qui faisait lui aussi déjà suite à une bataille juridique entre producteurs et réalisateur (celle qui a eu lieu après le tournage du 13ème guerrier). Là aussi, un film mineur explorant sous son allure modeste les thématiques du cinéaste. Quelque soit l’affrontement, qu’il soit violent ou sensuel, il passe par l’échange, la transmission d’un savoir, de la parole, par ces mots qui parfois se susurrent, que l’on n'entend pas toujours, mais qui produisent systématiquement leur effet. D’ailleurs, ce n’est pas tant le mot en soit qui importe que le résultat qu’il produit sur l’inconscient de l’interlocuteur. Ainsi, l’argument peut aussi bien passer par un mouvement, une attitude, un signe écrit, ou même par ce tatouage que porte Travolta sur l’épaule et qui délie la langue des deux témoins.
GHOSTS OF PANAMA
"Il est tout à fait normal que les journalistes cherchent à me catégoriser en tant que spécialiste de tel ou tel genre. Et il est également tout à fait normal que je leur prouve à tous qu’ils ont tort au fur et à mesure que je bâtis ma carrière. Petit à petit, je fais des choses qui sont totalement hermétique à toutes les règles existantes". Ces mots, McTiernan, que ses fans considèrent comme le plus grand cinéaste au monde, les prononcent quelque temps avant le tournage de Basic. Rétrospectivement, ils prennent toute leur importance, dans cette façon que le film a de nous mener par la main, de nous indiquer plusieurs chemins possibles sans jamais les emprunter, pour mieux tracer sa route au milieu.
Nul doute que McTiernan s’est retrouvé dans ce personnage d’enquêteur désavoué suite à ses récents échecs, devant supporter d’autres scénarios que le sien. Nul doute que nous nous retrouvons dans ce personnage féminin à la recherche d’une vérité, de l’identité réelle de ses interlocuteurs. Le film sonne pour le cinéaste comme un constat judicieux et réjouissant, comme une acceptation de sa propre condition: il ne fait pas partie du système, il n’en fera jamais partie et serra toujours à sa place aux côtés d’un Carpenter, autre maverick hollywoodien. McTiernan nous fait ainsi le plus beau des cadeaux, celui de nous emmener avec lui dans une équipe de marginaux, en dehors d’un système classique et concentrationnaire, lors d’un final twist amusant et récréatif qui sonne comme d'intimes retrouvailles - celle d'Osborne avec tous les personnages, morts ou vivants, du film. Le metteur en scène de l’inoubliable Die Hard n’est pas passé à l’ennemi, malgré l’aspect d’œuvre de commande de ce film. Il nous propose même, par un regard caméra éblouissant - et une bière tendue -, de refaire un petit bout de chemin avec lui. On va se gêner.