Ad Astra

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Ad Astra
États-Unis, 2019
De James Gray
Scénario : James Gray, Ethan Gross
Avec : Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Brad Pitt, Donald Sutherland, Liv Tyler
Photo : Hoyte Van Hoytema
Musique : Max Richter
Durée : 2h04
Sortie : 18/09/2019
Note FilmDeCulte : *****-
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L’astronaute Roy McBride s’aventure jusqu’aux confins du système solaire à la recherche de son père disparu et pour résoudre un mystère qui menace la survie de notre planète. Lors de son voyage, il sera confronté à des révélations mettant en cause la nature même de l’existence humaine, et notre place dans l’univers.

LITTLE ODYSSEY

"Aucun homme n'est une île" dit l'adage (en réalité le début du premier vers d'un poème de John Donne). Ad Astra, en gros, c'est "aucun homme n'est un vaisseau spatial à la dérive aux confins du système solaire". S'il y a donc effectivement du Au cœur des ténèbres dans le concept du récit - un soldat est envoyé à la recherche d'un homme potentiellement devenu fou, le film m'a surtout évoqué les récents Gravity et First Man qui exploraient cette même thématique sur la solitude, ou plus exactement sur l'isolation, ressentie comme nécessaire par ces astronautes en proie au deuil. Dans l'espace, personne ne vous...personne ne vous quoi que ce soit, y a personne dans l'espace. Rarement le cosmos aura été autant exploité comme reflet du vide intérieur de l'humain qu'au cours de ces dernières années et James Gray choisit un chemin situé quelque part entre le survival pur d'Alfonso Cuaron et le biopic de Damien Chazelle. Si le cinéaste évoque Télémaque, c'est également l'Odyssée d'un Oedipe qui se joue ici. Un héros tragique qui ne doit sa survie qu'à un détachement meurtrier et qui se sauve lui-même avant de sauver le monde. Arborant ainsi une dimension mythique, Ad Astra est à la fois mainstream et réservé, didactique mais sec, lisible mais jamais facile, refusant de se gargariser de son héroïsme et de tirer les larmes. Sans doute un peu trop.

L'introduction contient tout le film. De l'isolation hors du globe jusqu'à la chute, les événements font office de prophétie, inscrivant d'emblée le protagoniste dans une fatalité. Son périple peut alors commencer. À ce titre, l'ouverture n'est que l'un des nombreux morceaux de bravoure du film et si Gray avait déjà fait montre de ses capacités en matière d'action avec la poursuite en voiture de La Nuit nous appartient, l'abattage offert par Ad Astra demeure inattendu et impressionnant. À première vue, les scènes d'action peuvent paraître fonctionnelles, comme des concessions au cahier des charges qui incombe à un budget de 90 millions de dollars pour un film de SF original, mais elles s'avèrent autrement plus riches. Au premier niveau, elles ont pour but de montrer le sang-froid et l'efficacité redoutable du Major Roy McBride en situation de crise. Toutefois, ses épreuves campbelliennes ne sont jamais héroïsées. Que ce soit dans la mise en scène - Gray ne filme jamais Pitt comme un héros, même humain - ou dans le texte - jamais de félicitations ni de remerciements pour Roy, qui n'en attend d'ailleurs pas. Au contraire, chaque nouvel "exploit" est accompagné d'un nombre de morts et l'implication de du protagoniste dans celles-ci est chaque fois plus grande. Son côté froid et pragmatique, mécanique en somme (cf. ce plan où Roy, endormi en apesanteur, se réveille en même temps que les machines de la navette) lui permet de survivre mais au dépit des vies qui l'entourent.

Il y a donc une relative déconstruction de la figure du héros, ici un astronaute pas tout à fait autiste ou sujet au syndrome d'Asperger mais quelque part sur le spectre, incarné à merveille par Brad Pitt, non pas tant dans son mutisme mais plutôt dans cette façade de normalité qu'il se construit, comme en témoignent ces scènes récurrentes où le personnage est amené à sourire d'un rictus faux pour mettre les autres à l'aise, pour jouer le rôle de l'individu civilisé, alors qu'il ne pense qu'à une chose : "ne me touchez pas". Certains trouveront sans doute la voix off un peu lourde mais elle a quelque chose de malickien dans l'écriture, entre mantra Zen répété à outrance et monologue intérieur inévitablement omniprésent d'un homme refermé sur lui-même. Quand ce n'est pas le visage de l'acteur qui est impassible, c'est le casque de l'astronaute dont la visière solaire reflète tout de façon déformée, notamment, à plusieurs reprises, un trou. Ainsi voit-on plusieurs fois Roy avec un trou noir en lieu et place du faciès. C'est même plus le Neil Armstrong anonymisé, "illisible", de First Man, Roy est littéralement assimilé à un vide. "En un sens, la véritable inconnue, la vraie terra incognita, c'est le paysage de l'âme humaine," a dit Gray en interview. "Et parfois, au lieu d'explorer vers l'ailleurs, explorez-vous intérieurement. Ne regarder que vers l'extérieur ne vous donne pas vraiment de réponses". Et l'auteur de punir alors son personnage en lui accordant son souhait le plus cher. Confronté à sa propre quête de solitude, celui qui ne sait pas communiquer avec autrui est contraint à communiquer avec lui-même. Ce n'est qu'alors que Roy peut réellement se connaître et donc atteindre la catharsis.

En apportant un élément filial à l'histoire, en faisant de son Marlow le fils de son Kurtz, non seulement Gray s'approprie les inspirations qui ont influencé son récit mais il touche au rapport humain le plus élémentaire, celui d'un parent et d'un enfant. La dynamique générationnelle a toujours été la thématique de choix traversant la filmographie du metteur en scène, notamment dans son précédent film, The Lost City of Z, qui montrait déjà l'éloignement et le rapprochement entre un fils et son père explorateur, mais elle participe tout autant à conférer à la trame son caractère mythique, au même titre que les travaux herculéens susmentionnés qui demandent à chaque fois un saut de foi encore plus grand. Néanmoins, dans la mythologie de Gray, les dieux n'ont aucun rôle à jouer dans la vie des hommes. Après tout, l'exploration, ce n'est que l'Histoire de l'Homme. Jadis, on naviguait à vue pour arriver aux "Indes", aujourd'hui il y a des fast-foods sur la Lune. Ce n'est pas pour rien que la déjà célèbre séquence de course-poursuite armée sur le corps céleste fait figure d'attaque de diligence en plein Far West. La seule exploration vouée à l'échec est la quête du divin. Et si la déception est terrible pour l'un des personnages, elle devient le salut d'un autre. Il n'est pas question de pessimisme ou d'optimisme mais de réalisme, de voir ce qu'il n'y a pas et ce qu'il y a. Et d'apprécier ce qu'on a parce que c'est tout ce qu'on a. Sommes-nous seuls dans l'univers? non. On est 7 milliards. Aucun homme n'est une île.

par Robert Hospyan

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