A la petite semaine

A la petite semaine
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A la petite semaine
France, 2003
De Sam Karmann
Scénario : Désir Carré, Sam Karmann
Avec : Clovis Cornillac, Julie Durand, Jacques Gamblin, Gérard Lanvin, Philippe Nahon, Liliane Rovere
Durée : 1h40
Sortie : 25/06/2003
Note FilmDeCulte : *****-

Cette fois c’est sûr, à cinquante ans, Jacques n’ira plus jamais en prison. Il en ressort à peine, et dès lors les difficultés commencent. Son ami Francis a déjà prévu un coup, Didier le petit nouveau de la bande est un fou furieux de l’action, ses anciens commanditaires lui réclament de l’argent qu’il n’a pas, et il serait temps qu’il songe à faire une belle rencontre féminine. Une semaine pleine d’obstacles. Mais les obstacles, paraît-il, on peut toujours les éviter.

Derrière ce très joli titre, se cache avec pudeur une œuvre finement écrite, flirtant tour à tour avec la comédie et le polar, sans jamais se laisser piéger dans un genre. Un titre double, comme chacun des personnages, mais un titre sincère, à l’image de son talentueux réalisateur, Sam Karmann (lire l'entretien). Découvert du grand public comme comédien dans la série Navarro, puis dans Cuisine et dépendances de Philippe Muyl, aux côtés de ses amis Agnès Jaoui, Jean-Pierre Bacri et Jean-Pierre Darroussin, il est passé à la mise en scène de long-métrage il y a quatre ans, avec Kennedy et moi, l’histoire d’un écrivain irascible, en proie à une crise de la quarantaine au sein d’une petite famille bourgeoise (notre American Beauty à nous, les deux films étant d’ailleurs sortis à la même période). Un rôle cousu main pour Bacri, bougon et balbutiant à souhait, mais qui aurait parfaitement collé à Sam Karmann lui-même, tant il est, semble-t-il, d’une part excellent comédien, et d’autre part sensible à ce sujet de la quarantaine. Dommage cependant qu’il nous ait privé cette fois-ci de sa présence devant la caméra (un petit rôle clin d’œil à la Klapisch, certes, face à Lanvin, mais d’une minute bien trop courte), et ce même s’il nous a gâté, en réunissant pour l’occasion une très jolie brochette d’acteurs.

Ce second long-métrage, né de l’envie d’écrire avec Désir Carré, un multirécidiviste des "petites bêtises condamnables", qui lui ont valu quelques séjours en prison, offre donc à Karmann la possibilité d’explorer de nouveau la thématique du choix de vie, et de s’immerger dans le milieu de la délinquance "génération PMU". Chaque personnage est ainsi partagé entre la vie qu’il mène et celle qu’il aimerait mener. Les deux auteurs commencent par évoquer en filigrane la vision idéaliste de Henry Hill (le personnage arriviste du film Les Affranchis de Scorsese, auquel le film fait une autre savoureuse référence, reprenant en VF la célèbre scène de bluff entre Joe Pesci et Ray Liotta), à savoir que le pauvre diable qui trime huit heures par jour pour payer ses factures est un con, et que la vraie liberté est celle que l’on s'octroie, flingue à la main, en dépit des règles établies. Mais très vite, on assiste à un rétablissement de la vérité, plus réaliste mais aussi plus humble, où chaque voyou du film a ses petits rêves de commerce légal et de petit boulot pépère, avec Bobonne à ses côtés.

Une parure sociale qui polit le film dans une humanité irrésistible, sans pathos ni gros sabots, mais avec dérision et simplicité, et qui brise net la filiation avec les films de genre à la Audiard et Melville, autrefois baignés de romantisme et de clichés sur le grand banditisme. Pour y parvenir, le film prend son temps, et c’est bien, mais commence cependant avec difficulté. La première demi-heure n’est pas exempte de tout reproche. La crainte d’assister à un film fleuri du parler-bistrot ou du parler-prison à outrance se fait sentir, les personnages sont présentés en groupe, et les scènes d’exposition ne parviennent que dans la douleur à dessiner les traits de caractère. Karmann et Carré passent par quelques clichés, inévitables ceux-là, et frôlent à de multiples reprises le trop écrit. Mais passé cette délicate entreprise, le film rebondit élégamment, se concentrant sur la facette cachée de chacun des personnages, plutôt que sur une quelconque intrigue centrale qui aurait été déplacée. À la petite semaine réussit à conserver tout du long cette unicité de ton, mi-drôle mi-grave, et à propulser le film vers une richesse d’émotions insoupçonnables en premier lieu.

La plongée dans l’univers de ces hommes est assurément réussie. C’est d’ailleurs un régal de tous les instants de voir Lanvin et autres Nahon prêter leur physique et leur voix inimitables à ces hommes de principes, secrets et complices en communauté, tendres et touchants dans leur solitude, ou leur ménage. L’ensemble de ce flamboyant casting joue sans fausse note. Gérard Lanvin, auguste, et Clovis Cornillac (lire l'entretien), tout en force, effleurent de près le surjeu, mais s’en tirent admirablement grâce notamment à quelques scènes magnifiques. Mais celui qui trône au milieu de tous, c’est incontestablement Jacques Gamblin. De petits travers croustillants, une envie de faire du théâtre, une timidité de tous les instants, il est le personnage savoureux du film. En vrai candide, Gamblin se montre enjoué, généreux et sensible, et comme à son habitude, livre une interprétation admirable. Autour de tous ces acteurs flotte une caméra discrète. A bonne distance, l’œil attentif du cinéaste, qui filme en longue focale, se noie dans le regard de ses acteurs, plutôt que de s’attarder sur les éléments du décor. Bien loin de se filmer le nombril, Karmann filme un peu plus haut, au niveau du cœur.

par Yannick Vély

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