Thor
États-Unis, 2010
De Kenneth Branagh
Scénario : Ashley Miller, Don Payne, Zack Stentz
Avec : Chris Hemsworth, Tom Hiddleston, Anthony Hopkins, Natalie Portman, Stellan Skarsgärd
Photo : Haris Zambarloukos
Musique : Patrick Doyle
Durée : 1h54
Sortie : 27/04/2011
Au royaume d’Asgard, Thor est un guerrier aussi puissant qu’arrogant dont les actes téméraires déclenchent une guerre ancestrale. Banni et envoyé sur Terre, par son père Odin, il est condamné à vivre parmi les humains. Mais lorsque les forces du mal de son royaume s’apprêtent à se déchaîner sur la Terre, Thor va apprendre à se comporter en véritable héros…
LES YEUX VERS LE CIEL
Désormais, c'est incontournable, le film de super-héros fait définitivement du paysage cinématographique. En dix ans, les adaptations de comics se sont imposées comme LE genre dominant de chaque été. Par conséquent, le néophyte serait en droit de remettre en question l'incursion sur les écrans de personnages semblablement de seconde zone, moins connus que Spider-Man ou Batman, mais il ne s'agit pas uniquement de racler les fonds de tiroir en exploitant la moindre licence. Comme l'a prouvé la nouvelle entité Marvel Studios depuis 2008, les efforts actuels, visant à construire un univers constitué de plusieurs films où les héros interagissent d'une franchise à l'autre, s'avèrent des plus ambitieux. Et cette année, le genre entre dans un tout nouveau registre, en abordant des univers au-delà de notre monde. Avant le McGuffin du futur Captain America qui flirte avec le cosmique et les aventures spatiales de Green Lantern, le premier à embrasser cette nouvelle dimension stellaire est Thor. Le défi était de taille. Tout d'abord fallait-il réussir à remettre au goût du jour un concept et une imagerie assez kitsch mais surtout à le faire accepter à un grand public tout juste habitué à voir des mecs en collants grimper les murs et allonger leurs membres, tout en parvenant à inscrire ce nouveau chapitre au sein de la même réalité que des héros tout de même plus terre-à-terre tels qu'Iron Man et Hulk. Si l'on regrettera quelques conventions que s'impose alors le récit pour répondre à ce cahier des charges, on se réjouit de constater que le pari est remporté haut la main, offrant un film qui ne manque ni de gravitas ni de fraîcheur.
LA TÊTE DANS LES ETOILES
Dans un premier temps, on remarque le nombre incroyable d'éléments de design qui pouvaient faire peur dans le matériau de base, dans les premières photos, dans les bandes-annonces et qui à l'écran se révèlent tout bonnement enchanteurs. Certes, il y aura toujours des cyniques ou des gens à la vision limitée qui s'arrêteront à ces détails, tout comme ils pourront s'esclaffer face à la grandiloquence des dialogues ou du jeu des comédiens par moments, mais pour les plus heureux, le saut de foi se fera automatiquement vers l'univers à grande échelle de Thor. On va d'Asgard à Midgard en passant par le Bifrost, on rencontre Loki, Odin, Sif, Hogun, Volstagg, on y voit des géants de glace et des casques à cornes ou à ailes, etc. Cette dimension restera sans doute comme le gros atout du film, son principal intérêt. En effet, pour le reste, le récit a beau sortir d'une narration origin story désormais mille fois vue (l'individu qui découvre ses pouvoirs, apprend à les utiliser, avant de se battre contre le big boss), il reste inscrit au sein d'un canevas classique qui n'est pas sans rappeler les précédents premiers chapitres de l'univers Marvel récemment lancé (Iron Man, L'Incroyable Hulk). Si la continuité de cet univers n'est pas aussi intrusive que dans, par exemple, Iron Man 2 - ce qui en avait agacé certains, il faut savoir qu'à la base, le scénario de Mark Protosevich se situait exclusivement à Asgard, le royaume des dieux nordiques. Il a donc été réécrit pour pouvoir faire partie du même monde que les deux films précités, en vue du mega-crossover The Avengers. Et force est de constater que les meilleures séquences de Thor sont celles qui se déroulent hors de Midgard (la Terre) et plutôt dans de grands palais en or ou sur des planètes de glace. Cela est dû non seulement à l'ampleur impressionnante de ces décors mais aussi parce que c'est sur ces terrains que se joue la dramaturgie shakespearienne du film, à grands coups de conflits filiaux, de quête d'approbation paternelle, de fils préféré, de jalousie et de complots.
LE CŒUR A L'OUVRAGE
On peut être surpris de lire dans plusieurs interviews Kenneth Branagh raconter une anecdote de son enfance, relatant sa découverte du héros, dont il est alors devenu fan, mais on est aucunement étonné de la décision de Marvel de choisir Branagh pour mettre en scène le film. Au vu de la teneur thématique du film, cette option se fait même des plus évidente. Et l'audace paie. Une vraie puissance "royale" émane de ces scènes, et se traduit de manière bienvenue par une vraie émotion lors des quelques séquences-clé qui animent les conflits de l'histoire. Les enjeux personnels qui unissent le trio Odin/Thor/Loki aurait pu paraître bien faibles sans la direction d'acteurs de Branagh et ses choix de casting pour le moins judicieux. Pour Anthony Hopkins, il n'y avait aucun doute. Il est de tout temps impérial et il y a ce moment, qu'un autre réalisateur aurait pu mettre en scène de manière plus négligée, et s'avère vraiment beau, lorsqu'il chuchote la devise inscrite sur le marteau de Thor... L'inconnue dans l'équation résidait davantage dans les performances des deux jeunes frères, Chris Hemsworth et Tom Hiddleston, et ils s'avèrent tous deux brillants. Les yeux de Hiddleston sont suffisamment tristes pour rendre le personnage plus nuancé que ses magouilles ne laissent paraître et la prestation tient beaucoup sur sa voix doucereuse de petit salaud faussement innocent. Hemsworth, lui, il est juste jouissif. Et surtout, il a l'air de se réjouir, presque tout le long. Notamment dans le premier acte, au même titre que ses frères d'armes qui s'en donne à cœur joie dans la première scène d'action. Ce côté jovial se fait vraiment communicatif, ils guerroient mais y a pas de raison pour pas que ce soit fun. Et le reste du temps, sa carrure, sa voix, son sourire...il fait parfaitement l'affaire.
LES PIEDS SUR TERRE
Après, pour être honnête, le film n'a pas un protagoniste aussi attachant que Tony Stark, surtout sous les traits de Robert Downey Jr., qui y est pour beaucoup dans le charme d'Iron Man, film tout aussi classique donc. Cependant, Thor compense ce manque avec son univers, sa dimension cosmique, qui offre quelque chose de presque jamais vu (du moins, pas depuis longtemps). L'autre réussite non négligeable du film, c'est d'avoir su construire un tout cohérent, malgré l'alternance Asgard/Midgard. Les séquences sur Terre auraient pu paraître cheap mais finalement, l'humour - pas trop envahissant - est salvateur, et le rythme reste globalement bien mené. Il se passe toujours quelque chose. On notera juste un léger ventre mou entre la scène de l'interrogatoire et l'arrivée du Destructeur, où le personnage, résigné, se fait moins pro-actif. A ce moment-là, ça patine un peu et on doit souffrir quelques passages obligés, un peu d'exposition superflue alliée à de la romance de base qui parait un peu rapide. A l'instar d'Iron Man encore une fois, le film ne regorge pas d'action. Et la meilleure scène d'action est dans le premier acte. Pour le coup, Branagh surprend lors de cette séquence, sombre et nerveuse mais bourrine tout en n'abusant pas des images de synthèse. Elle fait surtout preuve de bonnes idées quant à l'utilisation du marteau par exemple. Au même titre que d'autres éléments de cet univers, cela aurait pu être ridicule, mais Branagh et compagnie savent comment le mettre en scène. Il en va de même pour la manière dont Thor "vole". Le face à face avec le Destructeur est pas mal, d'autant plus que ce dernier est vraiment bien BADASS, mais la scène reste assez courte. Il sert surtout à l'arc du personnage en fait, un peu comme le duel final qui, à l'instar de Tron L'Héritage, est davantage un climax émotionnel qu'un climax d'action. Sans pour autant manquer de souffle. En somme, Thor fait preuve de suffisamment de fraîcheur et de grandeur dans son univers pour pallier au classicisme de son récit et inaugure avec panache la saison estivale et l'ère des comics cosmiques au cinéma.