Secret de Brokeback Mountain (Le)

Secret de Brokeback Mountain (Le)
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Secret de Brokeback Mountain (Le)
Brokeback Mountain
États-Unis, 2005
De Ang Lee
Scénario : Larry McMurtry, Diana Ossana
Avec : Linda Cardellini, Anna Faris, Jake Gyllenhaal, Anne Hathaway, Heath Ledger, Michelle Williams
Durée : 2h00
Sortie : 18/01/2006
Note FilmDeCulte : ******

Eté 1963, dans le Wyoming. Ennis et Jack, qui n’ont pas 20 ans, sont chargés de garder ensemble un troupeau de moutons à Brokeback Mountain. Peu à peu, une complicité troublante s’installe entre les deux cow-boys.

LES AMANTS CRUCIFIES

Insaisissable Ang Lee: des élans réprimés de Jane Austen au comic book trempé dans la mythologie grecque, des flingues du Far West aux lames de l’Orient, l’homme taille son chemin entre les genres, faiseur polymorphe et auteur à la sensibilité exacerbée. Le Secret de Brokeback Mountain brouille une fois de plus les pistes. Une histoire d’amour, mais entre deux hommes. Des garçons d’honneur perdus dans un no man’s land littéral (Brokeback Mountain, jardin d’éden caché à l’autre bout du monde), mais aussi temporel. Cow-boys égarés dans les sixties, Jack et Ennis sont des figures anachroniques dont le récit, qui s’étale sur une vingtaine d’années, marie dans une équation équilibriste le décor de la Chevauchée avec le diable aux désordres sexuels 70’s de Ice Storm et aux carcans affectifs de Raison et sentiments. Un décalage né du refoulement - les désirs s’expriment à rebours ("J’suis pas gay", lancé peu après la première nuit ensemble), comme la rancœur (la dispute avec le beau-père) ou les dernières volontés. Pendant ce temps, l’isolement, froid comme un tombeau, aliène et étrangle ses amants interdits.

LONESOME COW-BOYS

"La chambre empestait le sperme, la fumée, la sueur et le whisky". De la nouvelle d’Annie Proulx à l’écriture incisive, Ang Lee a conservé l’imagerie de fantasme gay et viril, mais le désir ici est hanté. La narration, limpide, triste et linéaire, égrène les secondes de solitude, les années qui se suivent péniblement, et ne s’écarte de son chemin terreux, tout tracé, qu’en trois occasions. Un souvenir obsédant, une projection spectrale, et une réminiscence amoureuse. Souvenir d’un vieux lynché, détruit à coups de démonte-pneu, la verge réduite à l’état de pulpe rouge, pourrissant à même le sol comme un morceau de carne, trauma enfantin en forme de menace permanente. Plus tard, quelques flashes, après une discussion glaciale au téléphone, le temps d’imaginer l’horreur, la violence barbare qui sous-tend tout le film, vision paralysante d’un amour saccagé. "Il y avait un espace incertain entre ce qu’il savait et ce qu’il voulait croire, mais il n’y pouvait rien, et quand on ne peut rien y faire, il faut vivre avec". L’art du montage chez Lee chasse toute ombre de pathos, l’épouvante s’incruste comme de la crasse, un déraillement imprévu dans des comportements qui s’efforcent d’être fidèles aux conventions (mariage absurde, paternité instable) pour un gâchis amer. Une simple réminiscence, Ennis enlaçant Jack, protégés par leur bulle, n’en est alors que sublimée.

A LOVE THAT WILL NEVER GROW OLD

D’abord une pulsion subite, comme un coup de feu: deux cow-boys, haletants et face à face, bouches entr’ouvertes, finissent par s’étreindre, le dos cassé par les coups de rein. Pantalon resté en bas des chevilles au petit matin – comme un rêve, bon ou mauvais, indistinct, puis une envie dévorante, ravivée par ce premier baiser finalement échangé. Sans mot, un amour viscéral, qui ne s’explique pas. Bien plus que l’argument communautaire, Le Secret de Brokeback Mountain accouche du récit amoureux le plus déchirant depuis des lustres. Une passion sur un volcan, sous un ciel lourd, grondant, sur fond de rengaines country élimées, lancinantes comme un mauvais sort joué à ses amoureux, maudits jusqu’au bout, et d’autant plus magnifiques. Heath Ledger, roc marmonnant quelques phrases qui semblent déjà de trop, et Jake Gyllenhaal, plus ambigu, à fleur de peau. Si le film se fait magnifique récit de l’absence, que sa noirceur parfois étouffe, Lee parvient aussi à retranscrire le miracle de quelques rayons de soleil aveuglants, sur sa montagne retirée, là où les moutons se mélangent et où tout semble troublé. "Peut-être un endroit imaginaire où chante le rouge gorge bleu et où coule une source de whisky". Laminé, vieilli, il ne reste au soupirant qu’à serrer contre lui une étoffe, chercher en vain un parfum comme un souvenir, enfiler un habit dans un autre pour qu’ils ne se quittent plus, dans cet amour qui jamais ne vieillira.

par Nicolas Bardot

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