Elle
France, 2015
De Paul Verhoeven
Avec : Charles Berling, Anne Consigny, Virginie Efira, Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Vimala Pons
Sortie : 25/05/2016
Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d'une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d'une main de fer. Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s'installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.
FAITES ENTRER L'ACCUSEE
On pouvait être surpris, il y a quelques années, à l'annonce de ce nouveau projet de Paul Verhoeven : un film en français, adapté de Philippe Djian, avec un cast qui, Isabelle Huppert mise à part, ne semblait pas immédiatement coller avec l'univers du cinéaste. Mais pour qui a lu l'excellent roman de Djian, Oh..., cette adaptation coule de source. L'ironie mordante et l'absence de morale de l'ouvrage sont taillées pour l'iconoclaste Néerlandais, et il est pratiquement impossible de lire le livre sans imaginer la Huppert dans le rôle principal.
Oh... avait beau être un matériau idéal pour Verhoeven, il fallait s'emparer de ce récit rocambolesque dont les thématiques peuvent être particulièrement sensibles. Il aurait été tentant d'en faire un thriller : Verhoeven et son scénariste choisissent plutôt la comédie noire. Le résultat, méchant et insolent de la première à la dernière seconde, est hilarant. Le ton n'est jamais à la séduction dans Elle et c'est son jusqu’au-boutisme sassy au bord du camp qui le rend irrésistible. On savait déjà qu'Huppert était géniale, elle prouve ici avec un timing et une distance millimétrés qu'elle est la meilleure actrice comique française.
« C'est à croire qu'ils ont peur du sexe », entend-on dans Elle. Leitmotiv de la filmo du cinéaste, le sexe comme outil de pouvoir trouve ici une variante particulièrement tordue lorsque l'héroïne, une femme de tête qui a l'habitude de tenir les commandes, est victime de viol. Michèle ne semble pourtant jamais victime de quoi que ce soit : elle prend le contrôle dans tout rapport de force. La suite ne sera pas un rape & revenge et encore moins un magnifique portrait de femme digne. L'or dont est constitué ce personnage hors normes, c'est justement sa nature indigne – et elle vous emmerde. A travers elle, Verhoeven teste les limites morales de la société tout en évitant d'être moraliste. Inconfortable ? C'est justement l'absence de curseur qui rend Elle complexe. Cette farce méchante pourrait n'être qu'un habile divertissement (c'est ce qu'elle est aussi, et c'est terriblement fun), mais en refusant la formule toute faite, en laissant le spectateur reconstituer le puzzle, Elle gagne en vertige et en liberté.
La transgression chez certains cinéastes marche surtout comme un coup de pied dans votre siège. Chez Verhoeven, elle est le reflet grimaçant de personnages complexes, dont la liberté peut déranger parce qu'ils ne réagissent pas comme tout le monde - notamment les héros de films un peu plus infantilisants. Si Elle est en permanence dans l’ambiguïté (et le viol ici est plutôt traité à la façon d'un Piscine sans eau qu'un Les Accusés), le film ne se prend jamais trop au sérieux. C'est ce périlleux mélange de tons qui fait d'Elle un long métrage qui ne rentre dans aucune case. C'est ce qui le rend excitant et inattendu. Et lorsqu'il nous mord, on en demande encore.