Paul Verhoeven
D’où vient la réputation sulfureuse véhiculée par Paul Verhoeven? Est-il un vrai provocateur ou un cinéaste qui essaie bon an mal an de tracer une route plutôt sinueuse? En une quinzaine de longs-métrages, il a en effet bâti une œuvre solide en abordant des genres cinématographiques radicalement différents. Opportunisme ou dispersion, il n’en est rien. Sous le vernis de la diversité, l'on observe en effet plusieurs thématiques récurrentes. C’est le traitement que leur réserve le réalisateur batave qui, parfois, fâche.
C’EST LA GUERRE
Né le 18 juillet 1938 à Amsterdam, Paul Verhoeven est durant son enfance un témoin privilégié de l’occupation des Pays-Bas par les Nazis. Dès 1968, il réalise un documentaire sur Anton Mussert, chef du parti fasciste hollandais jusqu’en 1945. Dans Soldier of Orange (1977), il rend hommage au courage des résistants qui se sont opposés à l’envahisseur allemand. On retrouve aussi un fétichisme digne de celui du troisième Reich dans les uniformes et les insignes de Starship Troopers (1997). A noter à ce titre l’amusante homonymie avec Paul Verhoeven, cinéaste allemand qui a fait ses débuts dans les années 1930. Pour le réalisateur néerlandais, la guerre est sale et sanglante. Le paradoxe est qu’elle est aussi un vecteur de camaraderie virile. Cette attirance / répulsion est manifeste dans La Chair et le sang (1985), épopée médiévale autour d’une bande de mercenaires dont la seule valeur apparente est une parodie de foi chrétienne. Ce film, qui marque la première expérience de Paul Verhoeven outre-Atlantique, reprend, avec l’aide de son fidèle scénariste Gérard Soeteman, l’univers développé dans la série Floris (1969). Grand succès de la télévision néerlandaise, ce feuilleton narrait les exploits d’un chevalier sanguinaire du XVIème siècle, interprété par Rutger Hauer (acteur fétiche du réalisateur, qui l’a dirigé à sept reprises).
SEXE ET POUVOIR
Le sexe est l’un des leitmotivs du travail de Paul Verhoeven. Le spectateur soucieux de se rincer l’œil n’est en général pas déçu par des films qui comportent en général toujours au moins une scène dénudée. L’énorme succès remporté par Basic Instinct (1992) et son actrice Sharon Stone est évidemment là pour en attester. Mais au-delà de l’érotisme pseudo-sulfureux se cache une réflexion plus profonde sur la finalité de la sexualité. Ainsi, Showgirls (1995), souvent considéré comme le plus mauvais film du réalisateur (et grand vainqueur des Razzie Awards 1996), n’est pas qu’un nanar érotique sur l’univers du showbiz à Las Vegas. Il s’agit en fait d’une tentative d’analyser l’utilisation du sexe comme enjeu de pouvoir. Dans Basic Instinct, l’allumeuse Sharon Stone ne faisait rien d'autre qu’utiliser ses charmes pour arriver à ses fins. Dès le début de la carrière cinématographique de Paul Verhoeven, cette thématique se trouve au centre de son œuvre, avec ses trois premiers longs métrages: prostitution dans Qu’est-ce que je vois (1971) et Katie Tippel (1975), confrontation amoureuse dans Turkish Delices (1973). Mais c’est Spetters (1980), portrait sans concession de la jeunesse hollandaise qui, avec des scènes très explicites, fait réellement scandale. Les démêlés récurrents de Paul Verhoeven avec ses financiers et la censure finiront par le convaincre de quitter les Pays-Bas. Le Quatrième Homme (1983) est son dernier film tourné dans son pays d’origine. Primé dans de nombreux festivals, dont celui d’Avoriaz, il y fait cohabiter homosexualité masculine et iconographie catholique.
LA SOCIETE DU FUTUR
Paul Verhoeven émigre aux Etats-Unis au milieu des années 1980 avec Jan De Bont, son chef-opérateur. Il sait qu’il sera difficile de garder sa liberté de ton tout en travaillant pour les grands studios. Le nouveau venu arrive pourtant à résoudre l’équation, en faisant appel au cinéma de genre. Et c’est la science-fiction qui servira de défouloir au réalisateur néerlandais, diplômé de mathématiques et de physique. Aux manettes de blockbusters, Verhoeven démontre qu’il est parfaitement capable de gérer de très gros projets tout en gardant sa verve intacte. Robocop (1987), qui dénonce en vrac télévision spectacle (gimmick qu’il reprendra dans Starship Troopers) et liquidation des services publics, cartonne au box-office. Dans Total Recall (1990), avec un Arnold Schwarzenegger en grande forme, il fustige l’évasion vers le virtuel. Enfin, Starship Troopers (1997) est un film véritablement visionnaire. Paul Verhoeven y raconte la vengeance d’une nation frappée en son cœur par une attaque extra-terrestre, qui l’amène en guise de représailles à se rendre sur la planète d’origine des créatures ennemies en vue de les exterminer. Avec cinq années d’avance, il nous décrit tout simplement la guerre contre le terrorisme entreprise par l’administration Bush. Chapeau bas! Ainsi, la science-fiction n’est qu’un leurre. En réalité, derrière les décors futuristes de cette trilogie, Paul Verhoeven ne parle que du monde actuel et de ce qui lui fait horreur.
ET LE PRESENT?
La méthode Verhoeven fait-elle encore recette? Depuis L’Homme sans ombre (2000), commande qu’il a tenté de s’approprier autant que possible et qui est un épisode mineur dans sa filmographie, il n’arrive plus à monter de projet. Les studios font preuve de plus en plus de réticences, conscients de voir se cacher derrière l’habile technicien un libre penseur. Le Néerlandais semble ainsi se retourner vers l’Europe, à l’image de son dernier projet en date: One Step Behind est l’adaptation d’un roman suédois, Les Morts de la Saint-Jean, racontant les meurtres mystérieux de trois étudiantes. Pour le coup, il retrouve le scénariste Gérard Soeteman, avec qui il n’avait plus travaillé depuis La Chair et le sang. Il ne reste qu’à souhaiter au réalisateur de réussir ce come-back en dehors du circuit hollywoodien traditionnel.