LA PLANETE PIXAR

La recette du succès de Pixar réside dans ses innovations techniques, ses personnages attachants, ses thèmes récurrents et travaillés, mais également dans ses bandes originales. De Toy Story à Cars, les partitions musicales sont de réels bijoux en adéquation parfaite avec les images, devenant des éléments constitutifs et indispensables aux mondes ainsi créés. Entre la voix rauque de Randy Newman, les ambiances feutrées de ses successeurs, les Yudelaye de Jessie, les grognements monstrueux, les hits aquatiques et standards d’autoradio, voici un tour d'horizon du juke-box Pixar.

DES BO PAS COMME LES AUTRES

Les dessins animés américains ont souvent l'habitude d'être des dérivés de comédies musicales, dont les chansons sont en premier lieu destinées à être fredonnées par nos chères têtes blondes. Et même si la petite souris en culotte rouge nous épargne depuis quelques temps ses mièvreries parfois agaçantes, il semble ne pas exister un seul dessin animé estampillé Disney et consorts sans son lot de chansons "tristounes" ou braillardes. Enfin, presque... Tel un petit village d'irréductibles Gaulois qui résisterait à l'envahisseur, le studio Pixar ne s’est pas laissé influencer par leur affiliation avec le grand Walt. Dans leurs bandes originales, pas de complaintes guimauves pour accompagner l'action, si ce n'est le thème de Jessie, When She Loved Me, nommé à l'Oscar de la meilleure chanson originale en 1999, qui fait encore pleurer dans les chaumières, et la ballade de Cars, Our Town interprétée par James Taylor. Les chansons, quand il y en a, sont ici enlevées, bondissantes, jazzy et servent de génériques aux films. You've Got a Friend in Me pour les Toy Story, The Time of Your Life pour 1001 Pattes, If I Didn't Have You pour Monstres & Cie, une reprise de Beyond the Sea, interprétée par Robbie Williams, pour Le Monde de Nemo et Route 66 de Chuck Berry pour Cars. Les images quant à elles sont habillées par des mélodies de grande facture. Entre soie, fourrure, lycra et peinture pailletée, elles alternent allégresse, mélancolie et suspense. Du grand art digne des plus grandes comédies et films d’aventure qui ne laisse personne indifférent.

L'HOMME DERRIERE LE PIANO

Ces joyeux accompagnements musicaux riment la plupart du temps avec le nom de Randy Newman. Issu d'une famille de musiciens, ce jazzman rocker à la voix écorchée, adepte de la syncope et du piano endiablé s'est fait connaître du grand public avec des chansons ayant caracolé en tête des charts. Il est l'auteur de titres comme I Love Los Angeles, Guilty ou encore le très célèbre You Can Leave Your Hat On. C'est au début des années soixante-dix qu'il se tourne vers la composition de bandes originales. En plus de trente ans, il s'est spécialisé dans les comédies et les films d'animation récoltant de nombreuses récompenses. Pour Pixar, il est l'auteur, interprète et parfois chef d'orchestre des thèmes des quatre premiers longs métrages et du court La Nouvelle Voiture de Bob, tous nommés aux Oscars. Après seize nominations, un record, c'est la chanson If I Didn't Have You de Monstres & Cie qui lui a rapporté sa première statuette. Après quatre ans d’absence depuis cette dernière collaboration, l’homme a repris du service chez Pixar pour le nouveau né du studio, Cars. Si les mélodies de Randy restent reconnaissables derrière les notes country d’une Gibson, la bande originale dans son intégralité change quelque peu de tactique par rapport aux précédentes. Aux instrumentaux originaux s’ajoutent une demi-douzaine de chansons afin de mieux coller à l’image flashy de McQueen et Middle West de Radiator Spring. Le juke-box de Pixar s’enrichit, se renouvelle.

LES REMPLACANTS

Pour leur cinquième film, le studio Pixar s’est tourné vers le cousin de Randy, Thomas Newman, acclamé et reconnu pour ses bandes originales entre autres de American Beauty, Erin Brockovich, Les Evadés ou tout récemment Jarhead. Le compositeur est entré dans l'industrie cinématographique en 1983 lorsqu'il participa à l'orchestration du Retour du Jedi. Plus habitué aux drames et comédies amères qu'aux univers féeriques, ses tonalités mélancoliques et planantes s'accordent avec le côté plus mature et mélodramatique du Monde de Nemo. La bande originale qui en résulte est d’une extrême finesse, parsemée de petits bijoux qui lui ont valu une nomination comme meilleure musique originale aux Oscars 2004. Pour Les Indestructibles, c’est à un troisième homme que Pixar a fait appel en la personne de Michael Giacchino, jeune compositeur spécialisé dans les jeux vidéos (Medal of Honor, Call of Duty) ayant assis sa renommée en écrivant les morceaux originaux des séries télévisées Alias et Lost. Fort de ces expériences dans le domaine de la musique d’action, s’inspirant principalement des scores de John Barry, il a composé une bande originale digne des plus grands James Bond alternant partitions orchestrales enlevées et musique d’ambiance typique des années soixante, le tout enregistré "à l’ancienne" sans aucun ajout électronique. Il a également signé les quatre minutes musicales du dernier court métrage Pixar, L’Homme-orchestre, et s’est déjà installé derrière sa console pour composer la bande originale de Ratatouille prévu pour l’été 2007.

WOODY'S ROUNDUP

Parallèlement à ces bandes originales, et faisant suite au générique de Western Woody composé par Randy Newman pour Toy Story 2, le studio Pixar a édité un album des musiques de la série en guise de complément. Le show du shérif Woody ayant été créé de toutes pièces, les morceaux figurant sur ce disque sont des compositions originales. Ecrit et interprété par le groupe de cowboys les Riders In The Sky, il contient un thème propre à chaque personnage dans la pure tradition des western shows des années cinquante-soixante comme Gillian's Island ou Maverick. Dans le style des Cowboys Favourites qui fleurissaient sur le petit écran d’après-guerre, les quatre musiciens chantent les exploits de Woody, Jessie, Pile-Poil et Papy Pépite accompagnant leurs morceaux d'adresses au public et d'instants parlés. Les paroles sont à la fois touchantes, marrantes et instructives (pour les enfants) rythmées par la country d'époque. Cet album propose un voyage dans le temps qui, à l'instar de la scène où Woody découvre ses origines, fait revivre l'ambiance des séries naissantes en noir et blanc. Le produit fini reprend également le célèbre thème de Toy Story, You've Got a Friend in Me, à la sauce western, des anciennes compositions des Riders In The Sky replacées dans le contexte du film, et ménage, en fin de parcours une piste surprise très sympathique. A ranger entre le générique de Rawhide et un best of de Chet Atkins.

UN BONUS MONSTRE

Dans la même lignée de produits dérivés musicaux estampillés Disney/Pixar, le studio a édité l'album Scream Factory Favourites comme complément de la bande originale de Monstres & Cie. Il se présente sous la forme d’un bonus dans un coffret double CD. Egalement interprété par les Riders In The Sky, il fonctionne sur le même principe des thèmes propres à chaque personnage (à savoir Bob, Bouh, Germaine et Sulli), mais dans un registre totalement différent. Hormis le Monster's Jubilee qui propose une sorte de danse de saloon mettant en scène des petits monstres, finis les airs country. Après une version amusée de If I Didn't Have You de Randy Newman, l'album s'ouvre sur une reprise adaptée à Bob de Doo-Wah Diddy Diddy de J. Barry et E. Greenwich, pour se clore sur The Perfect Roar, une comptine chantée par Sulli expliquant comment apprendre à rugir. Entre les deux s'enchaînent des rocks et swing sautillants (I Only Have Eye for You, It's Our Job), des marches militaires ou funèbres détournées (Monsters Inc. March, Under the Bed), une berceuse (Lullaby for Boo), un air de pedal-steel ambiance hawaïenne garantie (Paperwork), une ballade mélo (Monsters ABC), sans oublier la piste cachée totalement inattendue mais parfaitement bienvenue. Le tout forme un disque très jovial empli de bonne humeur dont les chansons se fredonnent à longueur de journée. A ranger entre le dernier Henry Dès et le best of des Beach Boys.

EASE ON DOWN THE ROAD

Voyant le succès de ces deux disques bonus s’accroître aux Etats-Unis auprès des bambins, Disney, avec l’accord de Pixar, a décidé de renouveler l’opération pour Le Monde de Nemo et Cars. Cette fois-ci ce ne sont plus seulement des chansonnettes et comptines originales inspirées des films, mais des compilations thématiques regroupant plusieurs artistes. Ainsi Ocean’s Favorites, diffusé dans toute anémone qui se respecte, regroupe à la fois des chansons interprétées par Tim Buppert reprenant des épisodes du Monde de Nemo (Fish School, Catch a wave, Octopus’ Garden et Turtle Rock), et des standards comme Sea Cruse, Three Little Fishies ou Beyound the Sea dans la version de Kandace Williams. Idéal pour faire prendre le bain avec entrain à des enfants récalcitrants. Le disque Lightning McQueen’s Fast Tracks quant à lui laisse de côté Cars pour se contenter d’accumuler des chansons énergiques, prônant la vitesse, la liberté et les grands espaces, destinées à être écoutées sur des autoradios fenêtres grandes ouvertes. Ainsi on retrouve des titres comme Road Trip, You Can’t Catch Me, On The Road Again ou I’ve Been Everywhere. Si ces deux derniers produits dérivés musicaux restent forts sympathiques avec des chansons relativement intéressantes, il est dommage d’avoir abandonné peu à peu l’idée de ces airs tendres et amusants présents sur Woody’s Round Up et Scream Factory Favorites qui, commandés et supervisés par les réalisateurs, se voulaient être un réel prolongement de l’esprit du film.

Julie Anterrieu